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Dean Cundey : de l'ombre à la lumière

Chef opérateur de grand talent, Dean Cundey a travaillé avec les plus grands : Steven Spielberg, Robert Zemeckis, Joe Dante…
Dean Cundey : de l'ombre à la lumière

Chef opérateur de grand talent, Dean Cundey a travaillé avec les plus grands : Steven Spielberg, Robert Zemeckis, Joe Dante… Mais c’est avec John Carpenter qu’il s’est fait connaître, notamment pour certains de ses films les plus populaires comme Halloween, The Thing ou encore Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin. C’est de cette collaboration très fructueuse dont il nous parle aujourd’hui !


Vous avez éclairé plusieurs films pour John Carpenter : est-ce vous pouvez revenir sur votre rencontre et sur la relation que vous entretenez avec lui ? 


J’ai rencontré John Carpenter à l’époque du film Halloween – La Nuit des Masques. En ce temps-là, j’avais déjà travaillé sur une douzaine de petits budgets, des films d’action ou d’horreur pas très réussis pour la plupart. Mais c’est sur le plateau de films comme Satan’s Cheerleaders et Bare Knuckles que j’ai connu Debra Hill, qui officiait alors en tant que scripte. Celle-ci avait d’ailleurs occupé le même poste sur Assaut de John Carpenter, mais elle était devenue productrice de ses films à partir d’Halloween. Un jour, elle m’a appelé et m’a proposé de rencontrer John, en insistant sur le fait que nos personnalités communes pouvaient s’accorder. Et cela a été le cas, nous nous sommes bien entendus d’entrée de jeu. Celui-ci m’a alors proposé de travailler sur Halloween, et j’ai accepté après avoir lu le scénario. À l’époque, ce que proposait Halloween tenait du jamais vu, et il était en tout cas bien différent des précédents films d’horreurs sur lesquels j’avais travaillé. Mais ce qui m’a le plus séduit dans l’approche de John Carpenter, c’est cette volonté d’utiliser la caméra pour raconter l’histoire, de la transformer en narrateur actif. Jusque là, je travaillais avec des réalisateurs qui se servaient de la caméra pour « enregistrer » les scènes, sans se soucier des cadres, des mouvements, et ce, qu’il s’agisse de deux acteurs en train de dialoguer, ou bien d’une explosion de voiture. Du coup, j’étais vraiment très content de constater que John et moi avions la même approche du cinéma, que nous tenons pour un médium visuel avant toute chose.


Halloween est aussi un « petit » projet. Mais avec John Carpenter, vous avez fait en sorte que le film ne trahisse jamais son maigre budget. Comment avez-vous procédé pour obtenir ce résultat qui n’a pas pris une ride depuis sa sortie en 1978 ?


Le maître mot est qualité. C’est avant tout ce que John Carpenter recherchait pour Halloween, et ce dans tous les domaines, pas seulement dans le cadre de la lumière. C’était assez rafraîchissant de travailler avec un réalisateur qui ne se contente pas de filmer le scénario avec platitude, mais qui cherche au contraire à l’enrichir au maximum par le biais du langage cinématographique. Nous avons énormément travaillé sur le sens des différents mouvements de caméra, sur le positionnement des acteurs dans le champ et nous avons également pris le temps de travailler la lumière pour chaque axe, afin qu’elle fasse partie intégrante de l’histoire. Et le fait que John s’intéresse au parcours des personnages, qu’il ait cherché à trouver les bons acteurs pour les interpréter à l’écran, tout cela a participé à faire un film d’une meilleure qualité que celle attendue sur un film à petit budget. L’une de mes grandes satisfactions à l’époque – et encore aujourd’hui d’ailleurs – est d’avoir pu travailler sur un film qui a l’air plus riche que ce qui est généralement attendu sur des budgets de ce type. Et c’est grâce à John Carpenter, qui a poussé tous les membres de son équipe à être créatifs, là ou les autres réalisateurs avec qui j’avais travaillé jusqu’alors me disaient régulièrement que la lumière prenait trop de temps et que les mouvements de caméra étaient trop compliqués à suivre pour les comédiens.

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Notre génération a principalement découvert Halloween à la télévision et en vidéo, mais pour avoir redécouvert le film en salles il y a quelques années, il semble évident qu’il a été conçu pour le grand écran… 


Je pense que le fait que les spectateurs puissent maintenant découvrir et regarder des films sur des plus petits écrans a tendance à affecter la façon de faire du cinéma, bien plus que ce que la plupart des réalisateurs et producteurs ne veulent bien le reconnaître. À l’époque où nous avons tourné Halloween, il n’y avait pas vraiment de petit écran, pas de tablettes ou d’écrans d’ordinateur. Il y avait la télévision bien sûr, mais elle ne diffusait pas autant de films qu’aujourd’hui et les spectateurs se rendaient en salles pour découvrir les films sur grand écran. De fait, les films étaient conçus pour le grand écran. Aujourd’hui, à cause de la multiplicité des petits écrans, les films contiennent plus de gros plans, le scope est moins employé et l’environnement dans lequel le film est tourné n’est pas autant exploité, si ce n’est peut-être dans les films à très gros budget. Les films d’horreur sont conçus dans l’idée qu’ils vont principalement être découverts sur petit écran. Ce n’est pas le cas d’Halloween et cela semble évident quand on le voit au cinéma. C’est un film plus immersif sur grand écran, les spectateurs peuvent apprécier la façon dont les décors ont été mis en valeur par la lumière. Quand j’évoque la façon dont les petits écrans ont changé la façon de raconter une histoire, je pense aussi au montage, qui est désormais toujours plus rapide, avec plus de coupes. Au contraire, Halloween comporte souvent des plans larges, dans lesquels le personnage est cadré dans son environnement. Et s’il doit interagir avec d’autres personnages, la caméra fait un panoramique pour suivre cette interaction, là où les films actuels ont tendance à faire une coupe pour introduire l’autre personnage dans la scène. Cette façon de faire nous a permis d’utiliser le langage cinématographique à bon escient, mais aussi de faire un film de qualité dans les temps et le budget imparti car nous n’avions pas prévus de faire plusieurs axes différents pour chaque scène : tout était préparé pour être mis en scène en plans larges, avec parfois trois ou quatre personnages dans le champ, ce qui réduit le temps de préparation de chaque plan. De fait, comme Halloween a été pensé pour le grand écran, il passe très bien sur grand écran !


Les films de John Carpenter sont souvent très précis et semblent très préparés. Pourtant, le cinéaste assure qu’il travaille généralement à l’instinct. Comment expliquez-vous cela ? 


Comme beaucoup de cinéastes, John Carpenter a grandi en regardant des films. C’est mon cas également. La raison pour laquelle je me suis lancé dans une carrière de cinéma, c’est précisément parce que j’adore regarder des films. J’adore l’illusion qu’ils procurent, le fait qu’ils me permettent de faire un voyage qui n’est pas concevable dans la réalité. Et quand vous regardez autant de films et que vous voulez faire du cinéma, vous commencez à développer un certain sens de la narration, vous commencez à comprendre quelle est la façon la plus efficace de raconter une histoire car vous en avez fait l’expérience en tant que spectateur. Vous vous posez les bonnes questions : comment est-ce que cette scène a réussi à me toucher ? Comment se fait-il qu’elle soit aussi dramatique, ou aussi drôle ? Et d’une certaine manière, cela commence à faire partie de vos réflexes, de votre intuition. Comme John, je travaille à l’instinct. Quand je travaille sur un plateau, je me demande instinctivement ce que le public a besoin de voir à tel ou tel moment pour comprendre l’intrigue ou la motivation des personnages, et pourquoi. Le fait de se poser cette question vient du fait d’être soi-même spectateur et de comprendre l’importance de certains mécanismes narratifs. En cela, vous développez ce sens qui permet de visualiser le film dans votre esprit, avant de le tourner. De fait, vous n’avez plus vraiment besoin de vous asseoir et de faire des story-boards. Il suffit de lire une scène, de vous demander ce qui est important et ce que les spectateurs ont besoin de voir et comprendre dans cette scène. Souvent, il me suffit d’aller voir les acteurs et de les positionner dans le décor pour savoir quel angle de caméra et quelle focale je vais utiliser pour impliquer les spectateurs dans l’émotion de la séquence. C’est une question d’expérience en fait : au fur et à mesure que vous progressez dans votre travail, vous en venez à savoir quelle focale est trop courte pour un gros plan et ce genre de choses. L’instinct dont parle John Carpenter, c’est l’expérience qu’il a acquise sur les nombreux plateaux de cinéma qu’il a fréquenté au fil des années, et il en va de même pour moi aussi.


En parlant de votre expérience de spectateur et de celle de John Carpenter, Halloween a souvent été comparé à Psychose d’Alfred Hitchcock. Est-ce que c’était vraiment conscient de votre part quand vous tourniez le film ? 


Je dirais que c’est le cas, mais pas vraiment de manière consciente. En tout cas, nous n’avons pas revu Psychose pour tourner Halloween. Mais il se trouve qu’à l’époque, Halloween abordait le cinéma d’horreur de façon très différente, de la même manière que Psychose a changé les règles du suspense au cinéma. John et moi-même sommes des grands fans d’Alfred Hitchcock, c’est vraiment le « maître du suspense » comme on l’appelle. Mais ce qui nous a toujours impressionné dans ses films, c’est la façon dont il a mis en place un langage cinématographique pour raconter ses histoires et développer le suspense à travers l’usage de la caméra. Et il est évident que son travail nous a grandement inspiré. Nous n’avons pas repris des plans ou des scènes spécifiques de Psychose, mais le film nous a clairement affectés. D’une certaine manière, nous avons repris ce langage du suspense de manière instinctive, et nous l’avons appliqué à notre propre film.


Halloween est un classique de l’horreur, un film presque automnal, tout en suggestion. Avec The Thing par contre, vous tournez un film très graphique pour John Carpenter, et ce en pleine lumière. Est-ce que vous vouliez aborder l’horreur de façon radicalement différente, en opposition à Halloween ? 


Toute l’idée d’Halloween était de créer le suspense et l’horreur sans montrer une goutte de sang. C’était le challenge du projet, de faire un vrai film d’horreur psychologique en sorte. Avec The Thing, le projet était déjà différent par la force des choses : le décor évidemment, mais aussi l’intrigue qui tourne autour de ce groupe d’hommes et de la paranoïa qui s’instaure entre eux. On savait dès le départ que le film serait plus graphique et violent, car nous savions que nous allions montrer la créature, la « chose » du titre. Nous avions d’ailleurs une idée précise de la façon dont nous allions filmer la créature. J’en ai longuement parlé avec Rob Bottin, le spécialiste des effets spéciaux qui a créé et fabriqué la créature, et nous avons convenu que nous voulions la dévoiler tout en maintenant une part d’ombre. La « chose » ne devait pas être surexposée par la lumière du film. Du coup, certaines parties étaient éclairées tandis que d’autres restaient dans l’ombre, et c’était intentionnel car nous voulions avoir le contrôle sur les différentes formes de la créature et la façon de la dévoiler au public, en jouant sur sa forme de manière suggestive. L’idée n’était pas de changer de ton ou de style par rapport à Halloween, mais plutôt d’optimiser la façon de raconter cette histoire spécifique.

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Aujourd’hui, The Thing est considéré comme un classique mais à l’époque de sa sortie en 1982, le film n’a pas marché au box-office et surtout, il a été très mal reçu par le public, y compris par les fans de cinéma d’horreur. Pourquoi selon vous ? 


Avec le temps, The Thing a été reconnu comme un classique de l’horreur, et les gens qui ont redécouvert le film après sa sortie en salles reconnaissent la valeur des nouvelles techniques que nous avions utilisées. Mais c’est vrai que le film n’a pas marché au moment de sa sortie, et je pense que c’est dû à deux raisons particulières. La première, c’est que le public avait le choix entre deux films d’extraterrestres, à savoir E.T. de Steven Spielberg et The Thing de John Carpenter. En d’autres termes, le film avec le gentil extraterrestre et le film avec le méchant extra-terrestre. Et ils ont choisi d’aller voir le film avec le gentil extraterrestre. La seconde, c’est que la fin du film est un peu obscure, elle ne concluait pas l’intrigue de façon satisfaisante pour le public de l’époque. La plupart des spectateurs préfèrent généralement que la fin soit plus explicite, qu’elle indique clairement ce qui s’est passé. Mais c’est précisément tout le mystère de The Thing : on ne sait pas si l’un des deux survivants est contaminé par la « chose », on ne sait pas si elle s’est échappée. C’est une fin sombre, qui n’a pas contenté les spectateurs à l’époque mais je suis heureux de constater que le film est aujourd’hui apprécié pour ce qu’il est vraiment.


Vous avez tourné trois films d’horreur avec John Carpenter, Halloween, Fog et The Thing, et ils sont très différents les uns des autres. Mais est-ce que vous diriez que vous vous reposez quand même sur des « trucs » particuliers pour faire peur au public ?

 

Il faut déjà prendre en compte que le cinéma est un langage et que les spectateurs en ont conscience. Par exemple, quand on utilise un fondu entre deux plans, il s’agit de montrer le passage du temps, et le public le comprend de cette manière. Toute l’idée est d’avoir un petit temps d’avance sur les spectateurs, juste de quoi les surprendre et les impliquer dans l’intrigue que vous racontez, sans trop les devancer afin de ne pas les perdre pour de bon. Comme dans toute forme de langage, on invente constamment des nouveaux mots ou en l’occurrence, des nouvelles techniques cinématographiques. Mais je pense que certaines techniques éprouvées fonctionnent toujours, et c’est le cas pour les films d’horreurs également. C’est dû à la façon dont notre cerveau interprète les images, et les cinéastes doivent le prendre en compte même si ces techniques ont été trouvées à force d’expérimentations. Tout consiste à doser ses effets, car au fur et à mesure que certains « trucs » sont surexploités au cinéma, les spectateurs savent à quoi s’attendre et il faut tout de même les surprendre et leur faire peur d’une nouvelle manière. Chaque nouvelle technique est généralement basée sur une précédente technique éprouvée, et il faut redoubler d’ingéniosité pour faire fonctionner le « truc » en y apportant un petit quelque chose de neuf. Donc pour répondre à votre question, je dirais « oui et non ». Oui car certains « trucs » ont fait leurs preuves et non car il faut tout de même les rafraîchir suffisamment pour ne pas lasser le public.


Parlons de New York 1997, qui n’a pourtant pas été tourné à New York justement. Comment êtes-vous parvenus à retranscrire l’ambiance si particulière de la ville ? La supercherie est invisible à l’écran… 


Au moment de la préparation de New York 1997, l’idée était de tourner dans la ville même, et nous avons fait quelques repérages pour trouver des endroits iconiques. Mais nous nous sommes vite rendu compte que la ville est tellement fréquentée qu’il n’y avait aucun endroit que nous pouvions nous réapproprier le temps de tourner ce dont nous avions besoin. Nous nous sommes alors rabattus sur Saint Louis dans le Missouri, car il y avait un quartier de la ville qui allait être rasé et les rues étaient pratiquement vides. La ville nous a donné l’autorisation de tourner sur place, et nous avons eu de la chance car les immeubles de ce quartier étaient en briques et ont été construits à la même époque que ceux de New York. Du coup, il y avait pas mal de similitudes, et nous avons ramenés plusieurs objets qui rappellent New York afin de simuler l’ambiance de la ville. Et d’ailleurs, nous avons pu tourner à notre guise, car nous avions le contrôle de quatre ou cinq « blocs » du quartier. Donc tous les jours, nous pouvions décider dans quelle rue nous allions tourner sans gêner personne, et nous avions des camions entiers qui contenaient des objets vétustes que nous déversions sur le trottoir afin de restituer l’ambiance déliquescente que nous voulions obtenir. Mais en plus de ce décor providentiel, nous avons été aidés par quelques avancées technologiques. À l’époque, Panavision venait de produire des nouvelles focales anamorphiques plus rapides que les précédentes, dans le sens ou elles avaient besoin de moins de lumière. Nous avons pu obtenir les premiers modèles, et ainsi nous avons pu filmer des zones plus larges sans avoir recours à autant de lumière qu’auparavant. La texture de l’image était différente du coup. Aussi, nous étions les premiers à utiliser les lumières HMI. Aujourd’hui, on les retrouve sur les plateaux du monde entier, mais à l’époque c’était totalement nouveau et nous les avons utilisées pour éclairer les rues avec une ambiance plus sombre et naturelle. Les nouvelles focales étant très efficaces, nous avons pu utiliser différentes sources de lumière qui nous ont permis de crédibiliser l’endroit. Je pense notamment aux feux dans les braseros, qui produisent des sources de lumière pour le tournage et dont les spectateurs comprennent qu’il s’agit d’une source de chaleur et de lumière pour les prisonniers qui ont été incarcérés à New York. Bien sûr, pour que le public puisse croire au fait que l’intrigue se situe à New York, nous avons filmé des monuments comme la Statue de la Liberté ou la vue de la ligne d’horizon de la ville. Mais nous avons filmé 99 % du film à Saint Louis car le faire à New York était tout simplement impossible.

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New York 1997 se déroule intégralement de nuit. Est-ce que vous avez tourné le film de nuit, ou est-ce que vous avez également utilisé la technique de la « Nuit américaine » qui consiste à tourner de jour et faire croire qu’il s’agit de la nuit ? 


Nous avons tout tourné de nuit, car nous voulions une image crue, sombre et naturelle. La « Nuit américaine » est une technique qui existe depuis les débuts du cinéma, mais elle tient plus du concept à mes yeux. C’est une illusion fabriquée, qui est généralement employée comme telle. On l’utilisait dans les westerns à l’époque, quand il fallait montrer toute l’étendue du désert de nuit, et pas seulement la zone illuminée par le feu de camp. Aujourd’hui, cela fait sens d’utiliser la « Nuit américaine » car il est possible de la rendre plus crédible grâce à l’étalonnage numérique, en noircissant certaines zones de l’image, ou en transformant un magnifique ciel bleu en nuit profonde. La technique est donc plus utile aujourd’hui qu’à l’époque de New York 1997 et il m’est d’ailleurs arrivé de l’utiliser depuis car il est possible de la rendre plus authentique.


Parlons du dernier film que vous avez tourné avec John Carpenter : Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin. C’est un film très coloré, très différent des précédents films que vous avez tournés ensemble. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce projet ? 


J’ai immédiatement accepté car j’aime travailler avec John Carpenter. Comme je l’ai dit, c’est l’un des meilleurs réalisateurs visuels. De plus, le projet était complètement différent de ce qu’on avait fait ensemble jusque là. Déjà, c’est une comédie, un genre nouveau pour lui à l’époque. Ensuite, l’intrigue se déroule dans un univers totalement bariolé et unique. Et je peux vous dire que cela a été une belle aventure, car nous avons pu construire des décors gigantesques sur les plateaux de la 20th Century Fox, j’ai pu expérimenter sur les couleurs, les formes, les personnages et les différents lieux de tournage. Mais au delà de la possibilité d’expérimenter plusieurs choses différentes, il y a eu le plaisir de l’aventure humaine. J’ai retrouvé Kurt Russell sur ce film, et c’est un plaisir de travailler avec lui : non seulement il interprète un personnage haut en couleurs, mais c’est aussi l’un de mes acteurs préférés et une personne formidable à côtoyer au quotidien. Donc je peux dire que Les Aventures de Jack Burton a été une formidable aventure sur tous les aspects, à la fois créatifs et humains.


Est-ce que vous aviez des références cinématographiques pour transposer le Wu-Xia Pian, un genre spécifiquement chinois, dans le cinéma américain des années 1980 ? 


Nous avons revu quelques classiques du genre bien sûr, mais l’idée était justement de trouver le pont entre ce cinéma et le notre, car l’aventure est transposée à San Francisco dans ce monde fantaisiste fabriqué par Lo Pan et les autres méchants du film. C’est un peu comme si ce cinéma devait justement s’adapter aux normes américaines en traversant les continents. C’était notre approche, et avec John Carpenter, nous avons surtout cherché à donner notre propre vision du genre. Le production designer John Lloyd était très talentueux également, très expérimenté. Il a utilisé ses propres techniques pour créer cet univers, comme ces couloirs conçus avec une perspective forcée : au premier plan, la taille des murs est proportionnée, mais elle rétrécit de plus en plus au fur et à mesure que l’on avançait dans le couloir, de façon à donner l’impression que celui-ci est sans fin. Ce genre de trompe-l’œil était intéressant à exploiter et j’ai eu énormément de plaisir à tourner ce film car nous avions une certaine liberté dans la création de cet univers certes inspiré par la culture et le style asiatique, mais qui reste néanmoins unique en son genre.

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L’esthétique du film est très marquée par celle des années 1980, notamment dans l’emploi des néons par exemple. Mais malgré cela, Les Aventures de Jack Burton n’a pas pris une ride contrairement à certains autres films des années 1980. Pourquoi selon vous ? 


Pour faire un film susceptible de traverser les époques, il faut éviter d’être trop spécifique et de se laisser aller à la mode du moment. Tout ce qui peut paraître trop artificiel est à bannir. De même, je pense que les films amenés à durer sont ceux qui évoquent une aventure humaine relativement universelle et évitent les sujets trop spécifiques ou liés à l’époque à laquelle ils ont été tournés. C’est une chose de considérer qu’un film est daté à cause de la technologie employée, comme les téléphones avec un cadran à l’ancienne. D’ailleurs, nous rirons probablement des smartphones d’ici 10 à 15 ans mais ce n’est pas vraiment ce qui fait vieillir un film. Le fait de raconter une histoire dans un monde fantaisiste nous a permis de concevoir un film qui vieillit bien car ce monde n’est pas spécifiquement lié à l’époque à laquelle nous avons tourné le film. Il émane plus volontiers de la caractérisation des personnages et comme nous avons évité d’employer des effets de mode de l’époque, il se trouve que son style visuel n’est pas particulièrement daté.


Avec le premier Retour vers le futur, vous avez pu travailler votre lumière sur quelques effets optiques très spécifiques. Mais le film de John Carpenter est bourré d’effets spéciaux optiques complexes pour leur époque. Est-ce que c’était un challenge pour vous ? 


La raison pour laquelle je me suis lancé dans une carrière cinématographique tient à l’illusion cinématographique en elle-même. C’est ce qui m’a toujours fasciné depuis tout petit et de fait, je me suis toujours intéressé aux différentes techniques d’effets spéciaux. Dans les années 1980, les effets spéciaux étaient optiques et pas encore digitaux. Aujourd’hui, on peut tout recréer sur un ordinateur mais à l’époque, il y avait beaucoup plus de règles et d’handicaps, et j’ai toujours cherché à me tenir au courant des dernières innovations. D’ailleurs, chaque film que j’ai tourné a été un nouveau challenge, spécifiquement parce que l’équipe cherchait à employer les techniques d’effets spéciaux les plus perfectionnées du moment. C’était clairement le cas sur Les Aventures de Jack Burton, dans l’utilisation des pouvoirs des cavaliers de l’apocalypse par exemple. C’était très amusant à faire, mais dans chaque cas, je tiens à rassurer les techniciens des effets spéciaux sur la façon dont nous allons collaborer. Après tout, l’idée est de mettre en valeur leur travail afin qu’ils puissent eux aussi mettre en valeur le mien. Le cinéma est un art collaboratif, donc il est primordial de créer une entente qui permet à chacun d’être le plus créatif possible. Et dans le cas de ce film, nous voulions vraiment créer des effets spéciaux qui tenaient du jamais vu pour le public.


Comme The Thing, Les Aventures de Jack Burton n’a pas vraiment marché au moment de sa sortie en salles, mais il a trouvé son public en vidéo. Comment expliquez-vous que les films de John Carpenter soient aussi populaires, mais seulement quelques années après leur sortie ? 


John Carpenter a cette capacité à travailler des sujets à la fois classiques et qui sortent pourtant des sentiers battus. Il est capable de s’élever au dessus de ce qui est populaire et mainstream, ce qui est à la fois une énorme qualité et un véritable inconvénient pour lui. C’est un cinéaste qui pousse son équipe – moi compris – à tester différentes choses en maintenant une certaine qualité, et c’est ce qui fait que ses films ont toujours un peu d’avance sur ceux de la concurrence. Mais par exemple, les scènes finales de ses films sont généralement pointées du doigt comme des fins très éloignées des attentes du public, et c’est peut-être aussi ce qui fait qu’ils ne connaissent pas un succès immédiat. L’avantage, c’est que cette façon de faire est en dehors des effets de mode et chacun de ses films est généralement réévalué à la hausse pour ses qualités narratives. En ce qui me concerne, je suis très fier du travail que nous avons accompli ensemble, d’une part parce que nous avons pu innover sur certains passages psychologiques et certaines techniques narratives qui n’avaient jamais été testés auparavant, mais aussi car ce sont des films qui résistent à l’épreuve du temps et qui sont aujourd’hui appréciés à leur juste valeur par un public fidèle.


Propos recueillis et traduits par Stéphane MOÏSSAKIS