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Love : le coeur d'Apatow

Alors que le dernier opus cinématographique de l’ancien chef de file de la nouvelle comédie US avait pu laisser penser que l’homme à la barbe la plus réconfortante d’Hollywood – ex-aequo avec Steven Spielberg – avait définitivement remisé au placard
Love : le coeur d'Apatow

Alors que le dernier opus cinématographique de l’ancien chef de file de la nouvelle comédie US avait pu laisser penser que l’homme à la barbe la plus réconfortante d’Hollywood – ex-aequo avec Steven Spielberg – avait  définitivement remisé au placard ses modestes ambitions d’auteur pour se mettre au service de la nouvelle « nouvelle garde » symbolisée ici par la pétulante et envahissante Amy Schumer, Love marque le retour aux affaires télévisuelles de celui qui échoua magnifiquement, avec Freaks and Geeks et Undeclared, à faire son trou dans la petite lucarne qu’il retrouve aujourd’hui transformée en tablette et autre PC portable chers à Netflix, son commanditaire.


Il fut un temps, pas si lointain, où Judd Apatow se retrouva érigé presque malgré lui en pape du rire américain. Son nom était une marque, ou du moins un label gage d’une certaine qualité. Scénaristes, réalisateurs, acteurs avaient tous commencé ou rebondi grâce à lui ; on le présentait comme le mentor d’une génération qui allait sauver l’humour.

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Et ce fut vrai, un instant. Puis un beau jour la magie cessa d’opérer, la baguette était cassée, le grimoire égaré. Pourtant, Apatow ne cessa pas de creuser son sillon, intime et iconoclaste. Funny People, grand film sain sur la maladie et la peur de mourir, puis This Is 40, comédie-livret de famille tragi-comique, déroutèrent quelques habitués et enclencha le schisme entre le prophète et ses apôtres. Apatow laissa le mouvement qu’il avait lui-même engendré s’autodétruire à petit feu. Déjà avec Girls, la volonté de reprendre les choses là où il les avait laissées était évidente : Undeclared suivait les premiers pas d’une bande de nerds à la fac, ces mêmes nerds qui étaient au moins la moitié du cœur – soit un ventricule – de Freaks and Geeks, tandis qu’au début de Girls, Hannah vient à peine de quitter les bancs de la fac, parachutée sans entraînement dans le monde réel.


Love opère un léger bond en avant dans la frise temporelle du héros apatesque : Gus et Mickey ont encore des rêves, mais déceptions et échecs sentimentaux commencent à s’empiler. Et surtout, là ou Girls est avant tout l’œuvre de Lena Dunham, certes concoctée avec l’aide d’Apatow (qui ne manque pas à l’occasion d’y mettre son grain de sel, coécrivant même une poignée d’épisodes au fil des saisons), Love est bel et bien une série créée par le réalisateur d'En Cloque, Mode d'Emploi (comme Undeclared mais pas comme Freaks and Geeks qui était d’abord l’œuvre de son ami Paul Feig). Nous sommes donc en terrain connu : le Los Angeles pèpère et pas vraiment branché qu’il affectionne, le démontage en règle d’un genre qu’il ne cesse de malmener (la comédie romantique), les outsiders socialement malhabiles et au physique lambda, et un amour éternel pour les saillies si possible truffées de références cinéphiliques. Après un Trainwerck où la voix d’Apatow (d’ailleurs non-crédité au scénario) semblait étouffée par l’énergie et la fureur de son interprète principale (également scénariste du film) ne faisant qu’une bouchée de son love interest (le grand Bill Hader dans le rôle du héros cantonné ici au second plan), Love fleure bon le retour à la maison après une fête épuisante.


Adieu New York donc, définitivement pas le terrain d'Apatow qui se sentait obligé de citer Woody Allen au détour d’un plan pour trouver une légitimé à filmer la grosse pomme ! Les deux héros de Love arpentent la cité des anges au volant de leur voiture respective : une caisse récente, laide et sans doute hybride pour l’un, une Mercedes vintage et so cool pour l’autre. Et à l’image de sa voiture Gus est un trentenaire sans allure ni caractère (de prime abord) alors que Mickey est une égérie cool et cramée qui a brûlé la chandelle par les deux bouts avant de se retrouver trentenaire désœuvrée elle aussi. Panique à bord, la vie file à toute allure, que faire pour arranger ça ?

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C’est à peu près l’argument de Love et c’est le plus beau des sujets pour celui qui ne cesse au fond depuis bientôt vingt ans de chercher un sens au temps qui passe, aux moments simples partagés entre amis, à l’idée saugrenue de partager sa couche, ses WC et même toute une maison avec un membre plus ou moins complémentaire du sexe opposé. Bref, les mystères de la vie (de couple ou en général). Mais l’amour du titre ne joue ici qu’un rôle secondaire ; il n’est pas cette belle utopie vendue dans les comédies sentimentales à l’usage des (plus ou moins) jeunes filles fleur bleue que le héros rejette en se débarrassant de son carton de Blu-ray récupéré chez son ex, mais plutôt une douce malédiction qui nous unit (une sorte de dénominateur commun ultime) et nous blesse à l’occasion avant de nous faire remonter en selle sans trop repenser aux échecs précédents.


Paul Rust (l’interprète de Gus et cocréateur du show) a semble-t-il pas mal bourlingué dans l’antichambre de la comédie US avant de rejoindre le devant de la scène grâce à Apatow. Son visage d’enfant de douze ans qui se serait déguisé en Sean Penn déguisé en Harvey Milk rappelle le cas McLovin dans SuperBad, Sam (le frêle collégien de Freaks and Geeks) ou Jay Baruchel dans Undeclared. Il est leur prolongement, leur égal : un être chétif mais décidé à avancer dans la vie, un garçon pas vraiment cool mais qui ne désespère pas de le devenir (peut-être l’est-il déjà ?). Et si de tout temps la fille canon lui a toujours filé entre les doigts, cette fois-ci elle va peut-être finir par se blottir contre son corps maigrelet inapte aux tatouages et aux prouesses sexuelles. Il l’a tant espéré, fantasmé. C’est ça l’amour, non ? À moins que ce ne soit tout ce qui arrive après.


Aubry Salmon


Love - Sur Netflix