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Vinyl : la série rock'n'roll de Scorsese

Depuis le temps que les frontières s’abolissent entre cinéma et séries télé, souvent au détriment du cinéma d’ailleurs, doit-on s’étonner de voir débouler aujourd’hui un pilote de série d’1h52, au budget colossal (autour des 100 M$ au global) et sign
Vinyl : la série rock'n'roll de Scorsese

Depuis le temps que les frontières s’abolissent entre cinéma et séries télé, souvent au détriment du cinéma d’ailleurs, doit-on s’étonner de voir débouler aujourd’hui un pilote de série d’1h52, au budget colossal (autour des 100 M$ au global) et signé en plus par un des derniers géants du Nouvel Hollywood : Martin Scorsese ?


Si HBO a souvent montré son ambition et sa générosité pour proposer des programmes toujours plus novateurs, il semblerait que la nouvelle alliance avec Marty et Terrence Winter (producteur et scénariste de Boardwalk Empire, mais aussi du Loup de Wall Street ou des Sopranos) n’ait plus aucune limite. D’autant plus qu’il faut rajouter à la genèse de cette “History Of Music“, son nom originel, un certain Mick Jagger, portant en lui depuis longtemps l’idée de raconter les années fastes de l’industrie musicale, vues de l’intérieur. Mr Big Lips s’était d’ailleurs fait la main en 2014, produisant “Get On Up“ le biopic sur James Brown, son modèle. Quant à Scorsese, son amour pour la musique n‘est plus vraiment à  démontrer. De ses bandes-son incroyables à New-York New-York (77), de son amour pour Dylan (No Direction Home en 2005) ou The Band (The Last Waltz en 78), de son clip de Bad pour Michael Jackson en 87 en passant par ses séries sur le Blues en 2003, le cinéma du réalisateur a toujours débordé de son amour pour la soul et le Rock N’ Roll. Le point d’orgue sera alors Shine And Light en 2008, concert filmé de ses idoles de jeunesse : les Rolling Stones.

Vinyl est donc l’aboutissement logique de ces années passées dans la peau d’un fan et de l’envie commune avec Jagger de montrer l’envers du décor, le fonctionnement d’une maison de disques en pleine ébullition musicale. Mais les coulisses des labels n’intéressant à priori pas grand monde et les biopics musicaux s’étant souvent pris les pieds dans les fils du micro, il fallait donc trouver autre chose pour embarquer le spectateur dans une série aussi ambitieuse que foisonnante. Mais dans son sujet même, Vinyl possède tous les ingrédients et toutes les obsessions chères au réalisateur de Casino : la musique, New-York, un héros d’origine italienne, des figures mafieuses et une période bénie, les seventies.

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En 1973, date choisie pour poser le décor, New-York est encore une ville dangereuse qui brille pourtant de mille feux. Marty y tourne Mean Streets, premier coup d’éclat remarqué sur sa ville fétiche. Warhol et sa cour sont au cœur des débats artistiques, Lou Reed sort Berlin, Iggy est encore avec les Stooges et n’a pas rencontré un Bowie qui vient d’enterrer Ziggy pour mieux se relever en Aladdin Sane. Album sur lequel il reprend “Let’s Spend The Night Together“, morceaux des Rolling Stones qui sortent alors Goats Head Soup, un de leur dernier grand disque…Pour les Beatles, l’histoire est entendue depuis quelques années lorsque sortent le Rouge et le Bleu, compilations soldant (presque) la carrière du plus grand groupe du monde. Le gros Elvis donne un show en mondovision à Hawaii, mais le King n’est plus l’idole des jeunes depuis bien longtemps. Et si dans le New Jersey voisin un certain Bruce Springsteen et son E Street Band s’annoncent comme le futur du rock, personne n’y prête vraiment attention, les radios US surfant sur la vague glam que T-Rex, Bowie et ses clones ont imposé au monde. Slade, Mott The Hoople et consorts vendent des millions de disques, Queen arrive. Une piste rentable à suivre pour les jeunes directeurs artistiques, qui ne supportent pourtant pas cette musique maquillée comme un camion volé. Dans les bureaux d’American Century, maison de disques en déclin menée par l’intraitable Richie Finestra (Bobby Cannavale, impeccable), on préfère écouter les premières démos de Suicide, des K7 de groupes plus qu’underground ou chercher à signer Led Zeppelin pour sauver la boîte et faire bonne figure face au rachat prévu par les méchants allemands de PolyGram. La mondialisation est en route, mais le Rock N’ Roll est mort. C’est en tous cas cette peur et ce basculement qui intéressent Scorsese.  


Les grandes heures de Stax et de Sun Records semblent loin, les bluesmen légendaires n’ont plus leur mot à dire. Motown a industrialisé la chose et la course aux charts et au profit est lancée. On ne cherche plus des artistes, mais des produits, capables d’enfiler les tubes au Billboard et d’enrichir les producteurs et les patrons au nez creux mais poudré. Le glam vient en plus d’émasculer le rock, cette musique de bonhomme qui ne se conçoit qu’avec un Perfecto et des tatouages. La jeunesse s’émancipe, perd ses repères et voit débouler dans les clubs ces DJ black, ces basses slapées et incandescentes qui vont bientôt mettre le disco et la new soul en haut du Top 50. Curtis Mayfield, Isaac Hayes, Marvin Gaye, les O’Jays ou Roberta Flack annoncent l’arrivée du Studio 54 et des nuits enflammées d’un New York en pleine mutation. Les maisons de disques vont devoir s’adapter et les D.A faire des croix sur leurs goûts de jeunesse et leurs envies de guitares furibardes. Richie se gaussera même du premier single d’Abba. On connaît la carrière du groupe…

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Nostalgique, Scorsese place alors des séquences touchantes, montrant là quelques gardiens du temple d’une époque révolue, comme Ruth Brown, Bo Diddley ou le fantôme d‘Otis Redding  chantant son Mr Pitiful, dont le titre semble avoir été écrit pour Richie Finestra. Ce héros aux abois, remis à sa place par Corso, homme de radio puissant qui donne ses rendez-vous pendant des orgies et qui gère la quasi totalité des ondes. « Vous n’êtes rien sans moi, c’est la radio qui a inventé le Rock N’Roll. » Une phrase importante et qui résonne encore aujourd’hui lorsque l’on connaît la toute puissance et le rôle d’NRJ sur les ventes de disques en France.

Ces hommes de pouvoir qui faisaient la pluie et le beau temps sur des carrières, n’ayant pas peur d’intimider physiquement des chanteurs, sont montrés ici de la même manière que d’autres gangsters aperçus dans Les Affranchis ou Casino. Business is business. Des genoux et des carrières brisées pour calmer les plus ambitieux, ceux qui avaient encore la prétention de se prendre pour des artistes, sans vouloir faire de concession…Le bluesman Lester Grimes (Ato Essandoh) l’apprendra ici à ses dépens après avoir vendu son âme au diable, ce Richie Finestra pourtant simple manager débutant. Un beau milieu de crapules intéressées uniquement par le profit, grouillant et fascinant, où rien ne changera vraiment pour les 40 années à venir. Restriction budgétaire oblige, la drogue coulera un peu moins à flot (c’est aujourd’hui le public qui a besoin d’en prendre pour supporter Christophe Maé et les nouvelles vedettes préfabriquées), la créativité s’en ressentira forcément, les carrières deviendront plus aléatoires, les rachats en tous genres bouleverseront la distribution (il n’y a plus que trois majors aujourd’hui pour encore sept au milieu des années 90) et les D.A courront toujours après la perle rare, ce génie capable de changer la face de la musique et d’apporter la gloire et les millions à son label. Avant de passer à la suivante.


Mais en 73, tout reste pourtant à faire. D’ici la fin de la décennie vont apparaître le funk à claviers, le disco, le hip-hop, le krautrock, le hard-rock et le punk, en réaction à toute cette musique de club trop lisse et trop grand public… Avant que les claviers ne reprennent le dessus pour une décennie eighties marquée par la cold-wave, la new-wave, les cols à jabots, le nouveau romantisme et l’arrivée fracassante de MTV, l’ère de l’image et du compact-disc. Plus rien ne sera comme avant.  Scorsese pose donc sa caméra sur un homme, une époque, et une ville en ruines. Et cet écho final au 11 septembre n’en est que plus troublant. A 73 ans Marty garde sa fougue et son talent visuel intacts et son plaisir est communicatif. On en oublierait presque que derrière ces deux heures tonitruantes, gorgées de morceaux incandescents (Rare Earth, Humble Pie, Wishbone Ash, Chuck Berry, The Temptations, ou les New York Dolls sont à l’affiche avec des dizaines d’autres d’une bande-son au coût exorbitant), dans un New-York reconstitué à la perfection (il aurait même inclus des images du tournage de Taxi Driver !),  une série est censée s’installer pour neuf autres épisodes. On souhaite du plaisir à ceux qui passeront derrière lui (on parle tout de même de Carl Franklin, Peter Sollett et Mark Romanek à la réal). On sait combien, dans une maison de disques, les grands noms légendaires du catalogue écrasent toujours les nouvelles signatures, aussi talentueuses soient-elles.


Fabrice Bonnet


VINYL - saison 1 diffusée sur OCS CITY en US 24