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Dantec est mort, sommes-nous vivants ?

Maurice G. Dantec vient de mourir… Il y a quelques années encore on pouvait régulièrement tomber en deuxième partie de soirée à la télévision sur un Dantec énervé chahutant journalistes, confrères ou hommes politiques de premier plan, caché derrièr
Dantec est mort, sommes-nous vivants ?

Maurice G. Dantec vient de mourir…


Il y a quelques années encore on pouvait régulièrement tomber en deuxième partie de soirée à la télévision sur un Dantec énervé chahutant journalistes, confrères ou hommes politiques de premier plan, caché derrière sa barbe et ses lunettes de soleil – noires dans les deux cas. Mais surtout il écrivait des livres importants, publiés par des maisons d’édition de renom, qui étaient semble-t-il lus par des lecteurs de moins en moins nombreux certes, mais lus tout de même et parfois même encensés – j’aurais aimé écrire « compris » mais je ne suis pas sûr moi-même d’avoir tout compris ce qu’a écrit Maurice Dantec. Puis il est devenu un « catholique du futur », comme il se qualifiait lui-même, ou un « facho », comme l’ont qualifié certains, et petit à petit sa voix s’est éteinte, il a cessé d’émettre, comme une étoile pas encore morte mais dont le scintillement à l’autre bout de l’univers n’est plus visible depuis des lustres.



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La première fois que j’ai vu briller Maurice G. Dantec, ce fut donc à la télévision. Chez FOG ou Guillaume Durand, je ne sais plus, mais sur une antenne du service publique, c’est à noter. On était en pleine intervention, ou invasion  – à vous de voir –, de l’Irak par les forces armées américaines. En France on était plutôt contre, même que le Ministre des affaires étrangères de l’époque avait fait un discours à l’ONU pour dire non – sans doute la dernière fois avec la Panenka de Zidane contre Buffon en 2006 que la France s’est vu plus grosse que le bœuf. À la télé, donc, il y avait des débats et parmi les rares mecs à venir faire les zouaves en soutenant les Américains il y avait ce type habillé comme un membre perdu de Kraftwerk avec lunettes noires et voix rocailleuse taillée pour l’invective. À une autre époque il aurait eu une clope ou un cigarillo au bec et un verre de whisky à la main, mais pas en 2003 – du moins pas dans mes souvenirs. Le mec était habité, séduisant et avait le mérite de sortir du ronron de salon habituel qu’émettaient vaguement ces émissions littéraires qui allaient de toute façon bientôt disparaître dans l’indifférence générale. Le lendemain de ma découverte, ni une ni deux j’allai à l’espace culturel Leclerc de ma petite ville de Province pour tenter d’acquérir l’un des ouvrages de ce prénommé Dantec. Il se trouve que ce jour-là je suis tombé en premier sur le premier tome du Théâtre des opérations, son journal polémique, qui eut un effet bœuf sur le jeune homme de dix-huit ans que j’étais. Il n’y a pas grand-chose à dire de ce livre, il faut le lire, le lire et attendre les premiers effets comme pour son premier joint ou toute autre drogue (de synthèse ou non). À l’époque j’avais lu un peu de Nietzsche, négligemment bien sûr, et obtenu quelques notes (juste) au-dessus de la moyenne en philo en citant une chansonnette de Gainsbourg ou L’Armée des 12 singes, bref j’étais assez passable pour ne pas dire médiocre – à peine moins qu’aujourd’hui, sans doute – mais j’avais le mérite de lire d’autres livres que ceux imposés par une prof de français maniaco-dépressive non diagnostiquée.


Par la suite j’ai dû lire Babylon Babies, d’abord, puis son dernier livre en date à l'époque, Villa Vortex, un livre qui me marqua sans doute autant que les deux tomes de son journal, une sorte d’Everest de la fiction littéraire qui sans même l’avoir relu depuis me donne rien qu’en y repensant des frissons au cervelet. Un peu plus tard j’ai lu Les Racines du mal, un sacré bon livre aussi, et La Sirène rouge, polar plus classique. J’ai lu aussi tous les textes signés Dantec qui sortaient ici ou là sur l’Internet. Des textes le plus souvent polémiques et parfois abscons traitant généralement de la « quatrième guerre mondiale » qui finirent par valoir à leur auteur l’ignominieux sobriquet de « réac’ » dans un premier temps puis celui de « facho » lorsqu’il s’avéra qu’il considérait l’Islam comme une source de désordre dans notre beau monde harmonieux – avec moins de bonhomie tout de même qu’un Michel Houellebecq à peu près à la même époque. Peu à peu il fut jugé infréquentable et disparut donc des plateaux télé et des colonnes des journaux. Je ne vais pas m’appesantir sur cette époque ni sur les Unes du style « Faut-il brûler Dantec ? », ce dont je me souviendrais le concernant c’est cette appétence pour le savoir scientifique et philosophique, la littérature, le rock, le cinéma et tout ce qui pouvait lui passer sous la main et se transformer plus tard en une influence pour l’un de ses romans dans une sorte de geste pop ultime dont ses journaux seraient la notice. Dantec se rêvait sans doute en fils prodigue d’une trinité ubuesque formée par Philip K. Dick, Pierre Drieu La Rochelle et Hunter S. Thompson et à bien y réfléchir ce n’est pas impossible qu’il l’est véritablement été, au moins à sa grande époque. Car malheureusement, après son départ (forcé ?) de chez Gallimard, l’homme a rebondi chez Albin Michel, où sa production a gagné en régularité ce qu’elle a perdu en intensité. Cela restait de grande qualité et bourré de fulgurances comme cette folle introduction de Cosmos Incorporated (son premier roman chez son nouvel éditeur) qui plaçait le lecteur le temps de quelques pages à l’intérieur d’un laser de reconnaissance, mais le niveau et le style étaient moins élevés.


C’est à peu près à cette époque que j’assistai, curieux et perplexe, à une soirée organisée à la Cigale, salle de concert parisienne bien connue, par son nouvel agent-éditeur, en l’honneur de l’écrivain esseulé. Il y avait là pas mal de mecs entre vingt et trente ans habillés en noir par commodité et quelques autres tribus. Il y eut un concert de rock pas fameux, une conférence de l’écrivain dont j’ai oublié le sujet – probablement la quatrième guerre mondiale – et beaucoup de mise en scène virile et tape à l’œil. J’étais assis dans le fond et pas loin de moi il y avait semble-t-il ces fameux mecs du Bloc identitaire avec lesquels on avait accusé Dantec de fricoter. Des mecs qui étaient là seulement pour gueuler et se faire remarquer mais qui n’avaient très certainement jamais lu un livre de l’homme que d’autres étaient venus écouter tel un prophète. Il y eut aussi une séance de dédicace improvisée et même si je crois bien que j’avais un de ses livres dans mon sac je me suis bien vite rendu compte que c’était un peu grotesque d’aller faire signer mon exemplaire telle une groupie intimidée. (Le seul autographe que j’ai jamais quémandé et obtenu, c’est celui de Laurent Madouas, mais c’est une autre histoire… et une autre passion). Plus tard dans la soirée il y eut des questions du public, comme on dit, et j’ai à peu près tout oublié sauf cette vieille mégère illuminée qui prit la parole pour déverser des inepties à propos des Illuminati ou de ne je ne sais quoi. Là, le ton monta, Dantec s’énerva au point de quitter subitement la scène – et donc sa propre fête – sans plus d’explications. Dans le public, des huées se firent entendre ainsi que des cris « Dantec président ! » venant des brutes décapillarisées elles-mêmes huées  par une partie de la salle. Mes souvenirs sont flous, j’en conviens, mais c’est peu après cette débandade générale que j’ai quitté la salle passablement éberlué.


J’ai encore lu quelques livres de Dantec par la suite, il y avait toujours de bonnes choses mais le cœur – le sien, le mien, voire les deux – n’y était plus. Puis j’ai arrêté – j’ai acheté la suite de Babylon Babies sans jamais la lire –, comme beaucoup de monde, apparemment. Mais un jour je rouvrirai Villa Vortex et à coup sûr je retrouverai le frisson que je ressentis en ce lendemain de Noël breton lorsque j’entamai la lecture de cet opus magnum. Un jour il faudra relire Dantec, ou au moins le lire.


Aubry Salmon