"Royal City", un récit intimiste de Jeff Lemire
De l’action, des extra-terrestres, des combats héroïques… tout ce que vous n’aurez pas dans le dernier comics de Jeff Lemire.De l’action, des extra-terrestres, des combats héroïques… Tout ce que vous n’aurez pas dans le dernier comics de Jeff Lemire. L’auteur canadien, après ses multiples succès de « Sweet Tooth » en passant par « Descender » et « Black Hammer », a décidé de revenir à ses premiers amours.
Il y a dix ans, « Essex County » rencontrait un immense succès critique. Le pavé de 500 pages en noir et blanc proposait une saga familiale au sein d’une petite ville agricole canadienne. Le récit multi-récompensé a ouvert les portes de Marvel et DC à un Lemire alors trentenaire. A maintenant quarante ans, l’auteur est devenu une valeur sûre du comics et même s’il on lui attache plus facilement une étiquette « indé », le bougre est capable d’assurer brillamment la charge super héroïque.
Comme le dit l’auteur dans la postface de sa dernière série « Royal City », la facilité aurait été de faire une suite à « Essex County » mais en l’espace de dix ans, l’homme qu’il est devenu a bien changé et devait trouver un sujet en phase avec sa vie de quadra.
« Royal City » est un récit intimiste qui va suivre une famille dysfonctionnelle que la mort prématurée de Tommy a fait voler en éclat. Du temps s’est écoulé depuis et chaque membre de la famille vit sa vie, mais l’ombre de Tommy va ressurgir du passé pour venir auprès d’eux. Tous vont avoir une vision fantomatique de ce fils ou de ce frère, qui va les ébranler ou les toucher de façon particulière.
Lemire sait écrire des histoires poignantes car il mêle une part d’authenticité à ses récits. Un vécu qui vient donner du corps au premier opus de « Royal City ». Ici les parents sont en perpétuel conflit et les trois enfants représentent chacun une vision du monde du travail. Nous avons respectivement l’artiste en manque d’inspiration, la sœur jeune cadre arriviste et le frère ouvrier perpétuellement en galère. Toutes ces personnes qui n’ont à priori plus rien en commun à part les liens du sang, vont converger sur un point central : le sentiment de leur frère/enfant défunt.
Même si le temps a passé depuis cette disparition tragique, tous pensent encore à lui, chacun à leur manière. Pour autant, « Royal City » n’est pas un récit sur le deuil, pas dans un sens classique tout du moins.
Le récit commence alors que le père de famille a une vision de son fils Tommy qui le plonge dans un profond coma. Petit à petit, nous allons découvrir tout le reste de la famille qui va voir le défunt à sa manière, lui parler et en faire un personnage à part entière. A partir de la vision de chacun, nous appréhendons Tommy en petit frère aimant, en fils prodigue, en source d’inspiration ou pote de beuverie. Jeff Lemire arrive à mêler une œuvre sociale avec un récit vaguement fantastique qui lui permet de parler des multiples traumas de chacun. La qualité d’écriture est imparable si bien que le volume se lit avec une étonnante facilité, d’autant plus pour une histoire qui veut traiter de problème sérieux. La justesse d’écriture permet de passer sur des sujets universels, le tout enrobé par un certain spleen mêlant émotion et nostalgie.
Comme dans « Essex County », « Sweet Tooth » ou bien encore « Trillium », Lemire s’occupe lui même de la partie graphique. Un dessin semi réaliste qui permet de donner aux personnages une grande palette d’émotions, pour le moins qu’on soit sensible à ce type de trait assez rugueux.
« Royal City » est un peu le « Sundance » du comics. Avec un récit intimiste qui traite aussi bien des dysfonctionnements familiaux, du passage à l’âge adulte que du chômage dans les grandes villes américaines, Lemire compose un récit riche et émouvant qui nous touchera pour différentes raisons, d’autant plus quand on cherche autre chose que des héros encapés.
Christophe BALME
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