L’Aventure Intérieure : l’odyssée de l’espèce
Réellement vécues ou non, souvent fantasmées, les années 80 et leur cinéma jouissent d’une reconnaissance absolue de la part des cinéphiles, particulièrement en matière de cinéma popcorn.Réellement vécues ou non, souvent fantasmées, les années 80 et leur cinéma jouissent d’une reconnaissance absolue de la part des cinéphiles, particulièrement en matière de cinéma popcorn. Les années 80, c’était le fun, les couleurs, les idées, et Bill Murray. Bien sûr, loin de nous l’idée de déclarer haut et fort qu’il s’agit là de la meilleure décennie qui soit en matière de Septième Art (il s’agit des années 90, et uniquement pour Jurassic Park, mais là n’est pas le sujet).
En revanche, permettez-nous de nous arrêter sur un film méconnu de cette époque. Un petit classique comparé à Ghostbusters et Indiana Jones, mais un grand film, quoi que le premier visionnage puisse laisser imaginer. L’Aventure Intérieure ne figure jamais dans aucun classement, aucune liste. Il n’est pas majeur. Et c’est bien pour cela qu’il figure dans ces pages. Qu’on se le dise : si la pop culture est avant tout une affaire de passion (ce que beaucoup ne comprendront jamais, spéciale dédicace aux émissions de télé ratée tentant d’en parler sans vraiment savoir), Rockyrama est avant tout un gang de fan boys dévoués, curieux. « Hey, boss, je peux te pondre trois pages sur L’Aventure Intérieure ? Ce film est dingue, et personne ne le dit assez - Go ! ». Ainsi est faite la pop culture : d’envies partagées et de passion transmise.
Au départ, il y a un pitch simple : un homme se retrouve miniaturisé, et propulsé dans un corps humain. Un univers de science-fiction au service d’une idée de tous les jours : que se passe-t-il là-dedans ? Encore fallait-il rendre la chose cool et belle. Car là-dedans justement, dans notre corps, c’est en réalité carrément dégueulasse : des entrailles, du sang, des fluides, de l’acide, et plein de saloperies. Il fallait donc rendre cela glamour, ou en tout cas, accessible au plus grand nombre. Cela passera outre la réalité physique : les globules rouges (réalisés à base de gelée) ont des allures de ballons, et sont deux fois plus grand que le vaisseau dans lequel se trouve Dennis Quaid, là où, quelques minutes plus tard, il se retrouvera nez à nez avec un bébé à peine développé, avec de toute évidence un vaisseau plus grand.
Mais l’image est sublime, cette apparition du futur né, inattendue, instaure une émotion nouvelle dans ce film aux allures si simples. Et depuis quand allons-nous au cinéma pour se confronter à la réalité ? Peu importe donc les incohérences (les voix des hommes miniaturisés ne sont pas toujours pitchées) ou les raccourcis (les méchants contre les gentils, le passé d’aviateur de Tuck, sa relation avec Lydia). Le fun est à ce prix. L’époque n’était pas aux origin stories, elle était aux idées fédératrices et tellement évidentes qu’un grand film s’imposait de lui-même. Un homme dans le corps d’un autre homme ? Deal. Réutiliser les codes de la science-fiction, mais pour en faire un voyage intérieur, et donc d’avantage humain ? Oui.
Nous sommes en 1987, et Joe Dante a à son actif Piranhas (1978), Explorers (1985) mais surtout Gremlins (1984), son plus grand succès populaire. Une suite n’est d’ailleurs, à ce moment de l’histoire, pas à l’ordre du jour. Problème : l’ancien disciple de Roger Corman (comme tout Hollywood, d’une façon ou d’une autre) est dans une mauvaise passe. L’Aventure Intérieure, malgré de bonnes critiques, sera d’ailleurs un échec public. Problème: ce n’est ni le premier, ni le dernier. Après la signature de Jeffrey Katzenberg chez Disney au début de l’année 1985, Paramount presse Dante de terminer Explorers, le plus vite possible, au risque de bâcler la chose, afin de le sortir et de le vendre comme LE blockbuster de l'été. Cela ne fonctionne pas. Flop. Puis, souhaitant se diriger vers un cinéma plus « adulte » (le mot fait sourire, tant le visionnage d’un film comme Gremlins, a priori pour les gosses, peut en 2014 choquer par la présence de scènes particulièrement glauques, voire carrément violentes), Dante se rebelle, fait front. Mais ça ne prend pas, et il termine aux commandes des Banlieusards, vrai mauvais film avec Tom Hanks, et, poussé par le studio, Gremlins 2 donc. Ce dernier rapportera 41 482 000 $ au box-office en Amérique du Nord pour un budget de 50 000 000 $. Bide, vous avez dit bide ? Joe Dante est grillé. Et les choses n’iront pas en s’améliorant. Small Soldiers ? Guerre des producteurs, produit Burger King, acteur assassiné, flop, placement raté, quelque part entre Chucky et Toy Story. Touchant film hybride sur le tard, incompréhension totale sur le moment. Bref. L’Aventure Intérieure. Tant de petites histoires composent la grande histoire d’Innerspace (le titre original, malin). Dennis Quaid et Meg Ryan sont tombés amoureux dans la vraie vie sur ce film.
Spielberg, producteur, a failli y perdre sa femme de l’époque, lorsqu’il fit lire le script à Amy Irving, et que, désireuse de jouer dedans, il dit non. Ces deux-là divorceront quelques années plus tard de toute façon (instant gossip, veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée). Il s’agit également du seul film de Joe Dante à recevoir un Oscar, celui des meilleurs effets spéciaux. Donc pas pour Joe Dante, mais pour Dennis Muren, Bill George, Harley Jessup et Kenneth Smith. Dante, en revanche, apparaît au début du film, dans le rôle d’un scientifique. Comme Chuck Jones, réalisateur d'un grand nombre d'épisodes des Looney Tunes. Le réalisateur ira d’ailleurs jusqu’à puiser dans les sons du grand cartoon de la Warner. Mais Innerspace, c’est surtout Martin Short. Le très grand Martin Short.
Discret sur grand écran depuis la fin des années 90 (un coup d’œil à sa filmo nous apprend que s’il n’a jamais vraiment cessé de tourner, ses apparitions ne s’avèrent guère marquantes - un film Barbie en 2004, quelqu’un ? Les 101 Dalmatiens 2, aussi). Mais dans les années 80, et tout particulièrement dans le film qui nous intéresse ici, Martin Short n’était rien de moins qu’un Jim Carrey en roue libre. Jim Carrey donc. Il faut le voir dans ce rôle d’hypocondriaque un peu lourdingue, passer du statut de moins que rien à celui de héros occasionnel. Il faut le voir changer de visage, gesticuler, parler seul devant la glace. Il faut le voir devenir, en 120 minutes, un autre homme. Membre du Saturday Night Live est donc prompt à endosser n’importe quel rôle, Jerry Lewis comme Katharine Hepburn, Martin Hayter Short passe ici du statut d’idiot local à celui de héros tombeur. Il est le méchant, il est le gentil. Il ne s’arrête jamais, joue sur tous les tableaux. Bien sûr, ces sentiments sont, encore une fois, ceux des années 80 : touchants et faciles. Il vit des amourettes. Celles que nous pourrions tous vivre. Martin Short, alias Jack Putter, est le versant humain. Dennis Quaid est le beau gosse, alcoolique certes, mais pilote, beau gosse, crâneur, beau gosse et charmant. Il a la fille à la fin (et à l’époque, tout le monde voulait Meg Ryan - mais ça, c’était avant). Pour le Lieutenant Tuck Pendleton, Innerspace n’est qu’une mission qui foire. Pour Jack, c’est une nouvelle vie qui débute.
Il y a quelques semaines, la toile relayait les 22 règles du storytelling selon Pixar. Elles sont, sur le papier, très simples. Emma Coasts, storyboard artist chez la maison créatrice de Nemo et de Toy Story, a partagé sur Twitter quelques concepts tous très basiques, mais qui, il est vrai, dessinent les contours d’une base pour toute belle histoire. Elles s’appliquent à Innerspace. « Vous admirez un personnage pour ses tentatives plus que pour ses succès ». Martin Short, tout le long du film, est en permanence dans le rôle du héros malgré lui, qui tente d’être à la hauteur de l’enjeu. Il est en est touchant. « Dans quoi excelle votre personnage ? Mettez lui dans les pattes son opposé, et jouez sur leurs différences ». Ici, le maladroit mal dans sa peau face au lieutenant sûr de lui. Et la plus importante de toutes : « si vous étiez dans cette situation, que feriez-vous ? L’honnêteté apporte de la crédibilité à une situation incroyable ». Et comme Jack Putter, nous serions sans doute perdus, effrayés. Idiots. Mais comme Jack Putter, nous aimons penser que nous serions, au bout du compte, une autre personne.
En 1966, Richard Fleischer avait déjà réalisé, avec Le Voyage fantastique, l'histoire d'un sous-marin miniaturisé puis injecté dans un corps humain. Un sympathique long-métrage, mais qui n’égale en rien son remake inavoué. Sans aller jusqu’à parler de chef-d’œuvre, de pierre angulaire du cinéma de science-fiction. Sans aller jusqu’à citer 2001, cela va de soi, il est important de rappeler l’importance qu’a pu avoir Innerspace sur une certaine génération. Comme beaucoup d’autres films. On parle tout de même des années 80. Mais L’Aventure Intérieure, injustement, fait partie de ces films que l’on oublie. Qui traînent dans un coin de notre tête pour un jour ressurgir sans explication. Et il ne s’agit pas de le rejuger à la hausse, déraisonnablement, comme il est souvent de bon ton, par exemple, de le faire avec n’importe quel groupe se reformant dans une indifférence générale, mais hey ! Vu qu’ils se reforment, c’est un petit évènement.
Cela fonctionne aussi pour les films : les déterrer du fin fond de la conscience collective ne les rend pas meilleurs. Mais celui-ci méritait quelques pages. Parce qu’il n’a jamais été jugé à sa juste valeur. Parce qu’après, Dennis Quaid et Meg Ryan tourneront dans une sombre merde (D.O.A), avant de se séparer. Martin Short ne sera jamais la grande star qu’il devait être. Joe Dante est encore aujourd’hui tricard par les studios. Innerspace était une une jolie petite chose, un beau moment. Trop méconnue pour devenir une attraction Disney (alors qu’il y a du potentiel), mais assez ancrée dans son époque, pour encore aujourd’hui, rappeler à un mec de presque 30 ans cette sensation d’émerveillement qu’il a eu, à 7 ans, en vivant lui aussi une part de cette aventure intérieure. Et qui, l’espace d’un instant, se rêva scientifique… avant de bifurquer vers le journalisme. Mais l’ambition était là, l’espace de quelques secondes. Ce sont ces minuscules secondes qui, à la fin, définissent un grand film et son époque.
Nico PRAT