Starve : le "Top Chef" de l’extrême
Autant être honnête, une des réactions naturelles après avoir pris « Starve » en main, serait de le reposer immédiatement. Si dans le monde du comics il y a un artiste aux antipodes d’un Jim Lee ou d’un Olivier Coipel, c’est sans doute Danijel ZezeljAutant être honnête, une des réactions naturelles après avoir pris « Starve » en main, serait de le reposer immédiatement. Si dans le monde du comics il y a un artiste aux antipodes d’un Jim Lee ou d’un Olivier Coipel, c’est sans doute Danijel Zezelj. L’artiste croate a un dessin auquel on n’adhère pas dès la première minute, c’est le moins de le dire. Avec son trait épais et ses gros aplats, il peut se situer dans la lignée de dessinateurs comme Alex Maleev ou Sean Philips, dont les pages peuvent paraitre faussement bordélique, mais qui relèvent au final d’un réel défit artistique.
Urban Comics a condensé les dix « issues » de la mini série « Starve » en un seul volume. Une histoire complète qui nous situe dans un univers dystopique assez proche du monde que nous connaissons. La réalité dans laquelle nous évoluons est fragilisée par une disparité entre l’extrême richesse de certain et la précarité d’une immense majorité. L’homme a épuisé la plupart des ressources alimentaires, si bien qu’il est devenu très compliqué de se nourrir.
Au milieu de ce beau bordel, il y a le chef Gavin Cruikshank, jadis une sommité de la télé réalité pour avoir crée l’émission « Starve » dans laquelle des cuisiniers s’affrontent à travers divers défis tous aussi fous les uns que les autres. Mais cette époque est révolue, Cruikshank a mis les voiles. Depuis quelques années, il a plaqué femme et enfant pour vivre une vie de cuite perpétuelle, jusqu’au jour où un émissaire de la chaine revient le chercher pour le forcer à reprendre en main son émission.
Impossible pour nous de ne pas faire le parallèle avec les nombreuses émissions culinaires dont on nous abreuve depuis plusieurs années, aussi bien qu’avec le cynisme omniprésent dans les médias vis à vis de la crise écologique que nous traversons. En un sens, Brian Wood, le scénariste de « Starve » n’a guère eu besoin de poussez le curseur de ce futur alternatif. A noter que Wood, aussi auteur de « Demo », « Local » et « Northlander » avait déjà utilisé cette pratique dystopique dans « DMZ », sa série multi-Eisnerisée à laquelle avait aussi participé Danijel Zezelj.
« Starve » repose donc sur des bases que Wood maitrise à merveille. Il intègre à son monde au bord de l’implosion, une personnalité explosive en la personne du chef Cruikshank. Personnage à la fois touchant, surdoué et cassant qui, tel un « Spider Jerusalem », cherche à faire tomber le système. Sans avoir le punch d’un « Transmetropolitan », les deux héros ont définitivement des points communs dans leur façon de voir le monde, mais si Warren Ellis voulait définitivement bruler notre civilisation, Wood quant à lui insuffle de l’espoir dans son récit. Un espoir personnifié ici par la fille de Cruikshank. Jeune belle et douée, elle synthétise ce qu’il y a à sauver dans le monde. Pour arriver à trouver la rédemption, le chef rebelle va devoir apprendre à pardonner et aimer afin de se racheter auprès de sa famille. Si les premières pages nous laissent penser à un climax explosif, le final tout en finesse, donne une lueur d’espoir, quitte à laisser un peu le lecteur sur sa faim.
Sans être une révolution, « Starve » est un comics qui fait du bien dès qu’on arrive à passer la barrière visuelle. Pas que dessin de Danijel Zezelj soit maladroit ou médiocre, bien au contraire, mais son trait à couper au couteau est si particulier qu’il en rebutera certain. Wood arrive à insuffler une atmosphère néo-hippie et contestataire dans son histoire qui, sans être choquante ou alarmante, arrive néanmoins à porter un sous texte à la fois politique et écologique qui forme le socle de son récit.
Christophe Balme