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On a parlé à celui qui a découvert J.J Abrams

Gerard Ravel. Ce nom ne vous dit rien, c’est bien normal. Il ne fait pas la une des journaux, n’est pas un réalisateur maudit, ni un acteur culte, malgré une brève tentative de percée sous les spotlights. 
On a parlé à celui qui a découvert J.J Abrams

Gerard Ravel. Ce nom ne vous dit rien, c’est bien normal. Il ne fait pas la une des journaux, n’est pas un réalisateur maudit, ni un acteur culte, malgré une brève tentative de percée sous les spotlights. 


Gerard Ravel est agent immobilier à Hermosa Beach, Californie. Et pourtant, nous avions beaucoup de questions à lui poser. Car Gerard Ravel n’est pas exactement n’importe qui dans l’industrie du spectacle. Il en fut tout du moins un personnage important. En mars 1982, au Nuart Theater de Los Angeles, il organisa un festival indépendant nommé The Best Teen Super 8mm Films of ’81, présentant des créations adolescentes donc, en super 8. Parmi ces gamins rêveurs, deux noms. Matt Reeves, futur réalisateur de Cloverfield. Mais aussi et surtout, un certain J.J. Abrams, pas encore 18 ans, mais déjà très ambitieux. Gerard Ravel se souvient de la rencontre, du festival. Un festival qui donna un article, paru dans le Los Angeles Times, intitulé The Beardless Wonders of Film Making. Kathleen Kennedy, productrice de Spielberg, tombera dessus et donnera 300 dollars au jeune Abrams pour restaurer des vieilles bobines du réalisateur de E.T. Une petite histoire qui en annonce une très très grande, de Lost à Star Wars. Gerard se souvient bien. Gerard se souvient de tout.

“J’ai rencontré pour la première fois J.J. en avril ou en mai de l’année 1981. J’était le producteur et l’animateur de Word Of Mouth, une petite émission du câble, dans laquelle j’invitai des jeunes cinéastes à parler de leurs projets et de leurs idées. Il y avait aussi des chanteurs, des artistes, bref, tout ce qui touchait de près ou de loin à “l’industrie”. Le programme était diffusé le dimanche soir, plutôt tard. Un jour, je me souviens que c’était après la diffusion de la onzième émission, , j’ai reçu un message sur mon répondeur, qui disait: “Bonjour, je m’appelle J.J., j’ai quinze ans, et je fais des films depuis sept ans maintenant. Je devrais être dans votre émission”. Il m’avait laissé son contact, et je l’ai donc rappelé, et nous avons convenu d’un rendez-vous chez ses parents. Il m’a emmené dans ce qu’il appelait son studio, même s’il s’agissait plutôt de sa chambre. Une chambre remplie de films en super 8, de livres sur le cinéma, etc… J’ai tout de suite vu en lui un vrai passionné. Nous avons regardé quelques uns de ses films. Il avait beaucoup de parodies: une parodie de James Bond, une parodie de film fantastique, et même un film catastrophe qui s’appelait The Ultimate Disaster. Je me suis dit que ce serait cool de consacrer deux fois trente minutes à ce gosse. Et cela donna deux très bonnes émissions”. 

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Word Of Mouth, ça a commencé comment ?


“J’ai toujours traîné du côté d’Hollywood. Je suis né et j’ai grandi ici. Mon père était acteur dans les années 50, et j’ai même joué dans American In Paris, avec Gene Kelly, quand j’avais deux ans. Par la suite, j’ai bossé pour de nombreux studios, écrit des comics pour Disney. J’ai rencontré quantité d’acteurs, de scénaristes, de réalisateurs. Il n’y avait pas Internet à l’époque, aucun moyen de révéler tous les talents de la ville. L’idée de l’émission est partie de là. Roger Avary se foutait de ma gueule car j’embauchai sans aucun budget, mais je voulais vraiment que cette émission voit le jour”.


Aujourd’hui, il serait facile de dire que vous saviez au premier coup d’oeil qu’il deviendrait un grand réalisateur.


“Je n’ai pas pensé cela dès le premier coup d’oeil, non. Je l’ai trouvé très intelligent pour un adolescent de quinze ans. Il avait un grand sens de l’humour, une passion pour l’écriture et la réalisation, et beaucoup de cran. Et très franchement, je n’ai pas rencontré beaucoup de jeunes de cet âge avec autant de passion et d’envie. Il connaissait son cinéma sur le bout des doigts. Et il se débrouillait déjà très bien avec certains effets spéciaux. Durant l’émission, devant les caméras, il était très à l’aise. Mais c’est vraiment quand nous avons commencé à parler de ce festival que j’ai réalisé qui il serait, plus tard. Il m’a dit qu’il avait un film en tête, qu’il souhaitait projeter: High Voltage, c’était le titre. Un moyen métrage de 45 minutes qu’il était prêt à tourner et à monter en l’espace d’un weekend. Là, j’ai compris. Là, j’ai su.


Vous avez participé à ce film ?


J’ai évidemment donné un coup de main car aucun de ceux qui ont bossé sur le film n’avait plus de quinze ans, et donc aucun permis de conduire. J’emmenais l’équipe sur le lieu de tournage, avec les éclairages, des décors… Dans le scénario, il y avait une scène dans laquelle le personnage principal devait conduire. La grand-mère de J.J. était d’accord pour nous prêter sa voiture mais personne d’autre que moi n’avait le droit de la conduire. Il y avait aussi une scène dans un lycée, et J.J. a réussi à mobiliser une centaine d’étudiants, un samedi. Très professionnel. Il savait comment diriger ses acteurs. On tournait quelques prises, et une heure plus tard, nous étions déjà ailleurs.


Mais est-ce que ses films étaient bons ?


“Ils étaient très drôles, il mettait beaucoup de son sens de l’humour dans les scènes. Et surtout, il réalisait des choses dont il ne savait même pas être capable. High Voltage, c’était vraiment un super film, vraiment. Je vois d’ailleurs aujourd’hui, dans son cinéma, des choses déjà présentes dans ses premières réalisations. Super 8, son film avec Kyle Chandler, contient beaucoup de références à The Ultimate Disaster par exemple. Dans les deux, il y a un train qui déraille, entre autres choses”.

 

Vous étiez qui pour lui ? Un mentor, un ami, un père ?


“J’avais 35 ans et lui seulement quinze ans, et il savait déjà ce qu’il voulait devenir plus tard. J’étais un soutien, je pense”.

 

Il y avait de la compétition entre Matt Reeves et lui ?

 

“Il faudrait leur demander. Matt avait réalisé un film de trente minutes, Stiletto. C’était très Hitchcock, je me souviens, et nous l’avons diffusé dans mon émission, puis au Nuart Theater, pendant le festival. Ils était tous les deux amis, tout comme Larry Fong, qui deviendra directeur de la photographie sur Lost et Super 8. Ils avaient tous les trois beaucoup de projets. Et ils sont toujours proches, encore aujourd’hui. Le cinéma représentait toute leur vie”.

 

Comment Steven Spielberg s’est-il retrouvé impliqué ?

 

 “En mars 1982, j’ai envoyé quelques dossiers de presse à droite à gauche pour faire la promotion du festival, qui se tenait au Nuart Theater, dans West Los Angeles. Robert Young, un journaliste du L.A Times, a aimé notre histoire et nous a donc mentionné dans l’agenda du journal. Il est venu, a écrit un petit article sur High Voltage, film qui est devenu le coup de coeur des festivaliers d’ailleurs. Quelques jours après la projection, je reçois un coup de téléphone de la secrétaire de Steven Spielberg. Elle me dit que Spielberg est vraiment désolé d’avoir raté la projection, et qu’il aimerait recevoir une copie du film pour une séance privée”.


Le festival fut un succès ?


“Comme je dis toujours, cela ne dépend pas des portes auxquelles tu frappes, mais de celui qui frappe à cette porte. Et avec ce festival, tout le monde voulait frapper à notre porte. Même Spielberg, c’est pas rien tout de même. Aujourd’hui, J.J. est J.J. Abrams, le réalisateur de Star Wars, je pense donc pouvoir dire que ce festival fut un succès. Quand J.J. et Matt sont partis à la fac, j’ai perdu le contact. J’ai continué le festival pendant quelques années, mais le format vidéo a pris le pas sur le format super 8, et j’ai donc du arrêter, ce n’était juste plus la même chose. Mais j’ai continué à bosser dans le milieu du cinéma, j’ai importé des vieilles vidéos de surf chez les vidéothécaires du coin, traîné un peu avec Avary et Tarantino (c’était avant Reservoir Dogs). Puis, après les vidéos de surf, je suis passé aux vidéos de skate. L’aventure a duré cinq ans”.


Des regrets ?


“Je ne vois plus beaucoup Matt et J.J. Nous nous sommes un peu parlé au moment de la création de la série Felicity, puis plus rien pendant plusieurs années. Puis, en 2011, j’apprends qu’Abrams va participer à l’émission de Jimmy Kimmel, pour la promotion de Super 8. C’était le 9 juin, soit trente ans jour pour jour après la diffusion de notre émission, le 9 juin 1981. J’y suis donc allé, et nous avons passé du temps ensemble dans les coulisses. J’ai voulu lui serrer la main, et il m’a pris dans ses bras. “Où étais-tu pendant toutes ces années ?”, il m’a demandé”.


Vous pensez qu’il en serait là sans vous ?


“Absolument. Je ne peux revendiquer une part sur son talent”.

 

 Votre film préféré de J.J. Abrams ?


“Je dirais Super 8. Dans le film, des enfants décident de réaliser un film pour le présenter dans un festival. Parfois, je fantasme que ce festival, c’est le mien”.