Kalifornia : entretien avec Tim Metcalfe, co-scénariste du film
La figure du redneck a beau être majoritairement employée, et connue, dans le sous-genre horrifique que représente le survival, il arrive que sa représentation emprunte quelques chemins détournés. C’est le cas du film Kalifornia sorti en 1993.La figure du redneck a beau être majoritairement employée, et connue, dans le sous-genre horrifique que représente le survival, il arrive que sa représentation emprunte quelques chemins détournés.
C’est le cas du film Kalifornia sorti en 1993 et réalisé par Dominic Sena. Passé inaperçu à sa sortie malgré un casting de jeunes premiers (Brad Pitt, David Duchovny, Juliette Lewis), le long-métrage jongle entre les genres et tente le rapprochement entre le « redneck movie » et l’exploitation du mythe qui entoure les serial killers, un lien souvent surligné dans le cinéma d’horreur mais rarement disséqué et analysé. Hélas, à l’écran ce canevas de départ n’est jamais vraiment exploité et Kalifornia se résume davantage à une efficace et consensuelle série B (Dominic Sena aux commandes en même temps) qui abuse des clichés et n’approfondis jamais vraiment son propos. Encore moins enthousiaste face au résultat final, son co-scénariste Tim Metcalfe ne porte pas l’adaptation de son script dans son cœur.
Malgré tout, il nous en parle volontiers.
Comment est né le scénario de Kalifornia ?
"A l’origine, le script est né de ma fascination et de celle de mon ami d’enfance Stephen Levy pour les tueurs en série et les meurtriers de masse. Le script a été conçu comme une comédie noire, avec une ironie évidente: le héros pense qu'il est un expert en meurtres, mais il lui faut une éternité pour comprendre qu'il a un véritable tueur en série qui traverse le pays sur le siège arrière de sa voiture. Stephen et moi voyions cela comme un amusant, et réalisable, point de départ, notamment inspiré par Hitchcock".
Le personnage d’Early Grayce, interprété à l’écran par Brad Pitt, est au centre du récit. De quelle manière as-tu abordé l’écriture du personnage ?
"C’est un psychotique, et j’ai essayé de le traiter avec subtilité. Dans le script original (qui a été réécrit par le réalisateur et ses sbires), il n’était pas aussi ouvertement grossier et stupide. Il était même, à sa manière, un homme très moral".
Les personnages campés par Brad Pitt et Juliette Lewis appartiennent à l’univers white trash tandis que ceux de David Duchovny et Michelle Forbes sont des citadins, auteur d’une thèse pour l’un et photographe pour l’autre. Tu souhaitais jouer sur cette dualité sociale ?
"Pas vraiment, l'idée était de créer une tension dramatique et comique à travers leurs interactions alors qu’ils sont pris au piège ensemble dans une voiture et dans d'autres lieux confinés".
Et le personnage de David Duchovny se confronte à la réalité alors qu’il ne connaît finalement les tueurs en série qu’en théorie…
"Oui, c’est un connard prétentieux qui ne connait la vie que dans les livres".
Le scénario mélange différents genres: road movie, thriller, film de rednecks, de tueurs en série…
"Je ne pense pas en terme de genres lors de l'écriture mais juste à la façon de raconter une histoire particulière, de la bonne manière. J’aime les road movies qui sont également des thrillers, le meilleur d'entre eux étant, peut-être, « La Balade Sauvage » de Terrence Malick. Par ailleurs, je ne sais pas vraiment ce qu'est un film de rednecks. Je préfère expliquer au public et aux critiques que le film était censé être une comédie noire avant que le réalisateur choisisse d’en faire autre chose".
Le film diffère à ce point de ton script ?
"Comme je l'ai dit, le réalisateur a changé le ton et s’en ai largement éloigné, le rendant plus violent que ce qu’il aurait dû être. Je vais vous donner un exemple: à la fin, le personnage interprété par Brad Pitt bat et essaye de violer le personnage de Michelle Forbes. Pour moi et Stephen il n’aurait jamais brutalisé une femme de telle manière. Dans notre scénario, il forçait la femme à passer la nuit avec lui dans un sac de couchage, juste près de son corps. Au final, la violence dans le film est ridicule et gratuite, une sorte d’imitation enfantine du cinéma de Tarantino. Un autre exemple: dans le script original il tue un homme dans les toilettes d’une station service parce qu'il a besoin d'argent pour payer sa part de l'essence. Nous présentions le meurtre hors champs, avec la porte qui se verrouille. Le personnage de David vient à la porte pour utiliser les toilettes, mais Early ne souhaite évidemment pas le laisser entrer. Puis nous commençons à voir le sang qui suinte sous la porte - nous le voyons, mais, bien sûr, pas le perso de Duchovny. Early s’en va et ferme la porte rapidement, disant à David que ça sent mauvais là-dedans. Dans la version de Dominic Sena nous voyons un meurtre laid et brutal, la victime a même une sorte de cathéter dans son pénis! En d'autres termes, nous voulions du Hitchcock et le réalisateur a voulu du Tarantino. Et puis une fois que le public voit aussi précocement dans le film le fou féroce qu’est Early, il n'y a plus d'ambiguïté".
Tu étais tout de même en contact avec Dominic Sena ?
"J’ai visité le plateau durant un week-end dans le désert californien, où de nombreux grands westerns ont été tournés. Dominic Sena et moi avions arrêté de nous parler après qu’il ait fait sa réécriture du script. J’étais furieux contre lui, et je le suis encore aujourd’hui. Je ne sais rien de lui en tant qu’homme, mais en tant que cinéaste c’est un bouffon, et il l'a démontré durant toute sa carrière".
As-tu été inspiré par certaines œuvres ?
"La Balade Sauvage" comme je te le disais. La totalité ou la majeure partie des Hitchcock. « Le Démon des Armes » écrit par Dalton Trumbo et dirigé par Joseph H. Lewis, et beaucoup d'autres, mais aucun en particulier. L’une des autres inspirations originales pour le film était la vieille chanson de protestation "Do Re Mi" par le grand compositeur américain Woody Guthrie. Dans mon script les paroles de ce morceau devaient être entendues au cours du générique d’ouverture, chantées par Guthrie, ou quelqu'un d'autre, puisqu’un autre thème important du film était le mythe séduisant et parfois tragique de la Californie comme destination, déjà exploré dans d'autres travaux, tels que « The Day of the Locust » de Nathanael West.
Rien ne te plaît dans le film ?
"La seule chose réussie du film est l'interprétation de Juliette Lewis pour le personnage de Adele. Elle était parfaite, et c’est une merveilleuse actrice".
Toujours sur le thème des tueurs en série, tu as écrit et réalisé « Killer : Journal d'un assassin » deux ans plus tard.
"J’étais beaucoup plus intéressé par les meurtres et les tueurs en série avant de devenir parent. Puis ça m’a dégouté. Mon film préféré de tous les temps est « La Horde Sauvage » de Sam Peckinpah, mais au cours des vingt dernières années, la violence sur les écrans est devenue tellement stupide, idiote, toujours plus démonstrative et sans réel intérêt. Des réalisateurs stupides qui, à la chaine, essayent d’emmener cette violence plus loin que Peckinpah, et tous se plantent, à quelques exceptions près. Maintenant, je préfère regarder des films avec Maggie Smith, ou des films d’animation, comme celles de Miyazaki - qui jusqu'à sa retraite était probablement notre plus grand cinéaste vivant, avec Terrence Malick".
Nicolas Milin