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Le Projet Blair Witch : comment le premier film viral du cinéma a rendu le monde fou

Été 1999. Un petit film d'horreur amateur tourné en huit jours avec trois fois rien remplit les salles du monde entier. Ses réalisateurs font la couvertures de TIME magazine.
Le Projet Blair Witch : comment le premier film viral du cinéma a rendu le monde fou

Été 1999. Un petit film d'horreur amateur tourné en huit jours avec trois fois rien remplit les salles du monde entier. Ses réalisateurs font la couvertures de TIME magazine. Ses recettes avoisinant les 240 Millions de dollars en font le film le plus rentable de l'histoire du cinéma en comparaison de son budget. Au travail, dans les journaux, dans les talks shows et à la cour de récré, on parle du Projet Blair Witch pendant des semaines. Pourquoi ? Parce que le génie marketing derrière le film a eu l'idée d'en faire un immense canular.  


L'histoire est connue : trois étudiants en cinéma partent dans les bois du Maryland tourner un documentaire sur la légende urbaine de la sorcière de Blair. Mais ils se perdent vite dans les bois et la nuit, ils sont harcelés par des phénomènes étranges. Bien qu'ils tournent un maximum d'images de leur avancée sur plusieurs jours (avec ce qui semble être une réserve illimitée de batteries de caméras DV qui à l'époque tenaient en moyenne 2-3 heures à plein régime), ils ne parviennent jamais à filmer la preuve formelle de ce qui vient les attaquer. Les dernières images du film s'arrêtent brutalement dans une maison abandonnée au fond des bois. Et la légende raconte que leur matériel vidéo a été retrouvé, remonté et exploité en salles comme une preuve documentaire de leur disparition. Présenté à Sundance en 1999, des flyers avec inscrit en grand « MISSING » montrent les visages et noms des trois étudiants, demandant d'alerter les autorités en cas d'information sur leur disparition. Sur le site internet officiel du film, des rapports de police et extraits de journaux tv corroborent l'histoire du film. A l'époque, pas de réseaux sociaux, pas d'enquête de fond et personne pour poser ce simple fait : nous sommes en présence d'un simple film de fiction. Cela suffira à faire croire à l'histoire à beaucoup de gens au moment de la sortie du film et l'idée voyeuriste intrinsèque au found footage alimente la curiosité morbide du public prêt à payer son ticket pour voir les dernières images de personnes réelles avant leur mort, en plus de tenter d'élucider leur disparition avec de nombreux indices posés tout au long du film. La machine est lancée.  

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Et le phénomène ne va que s'amplifier. IMDB présentera les trois acteurs (qui donnent leur vrais noms dans le film à leurs personnages) comme disparus/présumés morts pendant des mois avant de rectifier l'erreur. Les forêts du Maryland deviennent remplies de fans partant à la chasse aux sorcières, dévalisant au passage chaque lieu du tournage, dont les bonhommes de bois suspendues aux arbres qui deviennent un logo évident du film. Les parents des acteurs reçoivent des faire-parts de condoléances et la production demande à ses derniers de ne pas faire de sortie médiatique pour maintenir l'illusion. Les réalisateurs Daniel Myrick et Eduardo Sanchez enfoncent le clou en tournant pour la télévision « Curse of The Blair Witch », qui est un mockumentaire traitant du film comme d'un fait divers, en retraçant le parcours des jeunes disparus et des gens qu'ils ont interviewé ainsi que des légendes urbaines entourant le film, dont l'histoire du tueur d'enfants Rustin Parr (anagramme de Raspoutine) qui fera l'objet d'un livre, lui aussi écrit à la manière d'une véritable enquête comprenant des témoignages de personnes…. N'ayant jamais existé.

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Le secret est finalement éventé par plusieurs biais : d'abord parce que le générique de fin du film stipule clairement qu'il s'agit d'un travail de fiction. Ensuite parce que les réalisateurs finiront par vendre la mèche à la presse en se dévoilant et enfin les acteurs eux-mêmes finiront par faire le tour des plateaux tv, continuant ainsi d'assurer la promotion du film. La suite, tournée en précipitation pour surfer sur la vague après des centaines de parodies, aura la mauvaise idée d'abandonner le found footage, ne faisant que renforcer l'idée que le premier film était un mensonge, ce qui est au final un pléonasme pour le concept même de fiction. Banal film d'horreur, Book of Shadows : Blair

Witch 2, enterrera le phénomène aussi vite qu'il était arrivé, au point qu'il faudra pas moins de 16 ans pour qu'un troisième volet soit envisagé. Cette fois, le film arrive à une époque où plus aucun secret de tournage n'échappe au net, ce que la production contournera intelligemment en présentant le film dans différents festivals sous le faux titre « The Woods » et récoltant des critiques dithyrambiques partout où il passe, avant de révéler par surprise au comic-con de 2016 son véritable titre… « Blair Witch ». Preuve formelle qu'il n'a jamais été aussi dur de créer un buzz autour d'un film qu'aujourd'hui et que Le Projet Blair Witch, en plus de donner une renaissance au found footage, avait inauguré un tout nouveau genre : la vidéo virale. 


Maxime Solito