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Les étés pourris de la pop culture : le naufrage Waterworld

Bloqués dans votre appartement alors que vos amis vous inondent de photos de leurs vacances sur les réseaux sociaux ? L’annonce Airbnb n’indiquait pas la quatre-voies qui passe sous vos fenêtres ? Votre moitié vous a planté sur la plage pour se jeter
Les étés pourris de la pop culture : le naufrage Waterworld

Bloqués dans votre appartement alors que vos amis vous inondent de photos de leurs vacances sur les réseaux sociaux ? L’annonce Airbnb n’indiquait pas la quatre-voies qui passe sous vos fenêtres ? Votre moitié vous a planté sur la plage pour se jeter dans les bras de l’animateur(trice) du club Mickey ? Ne vous en faites pas, nous sommes là pour vous remonter le moral. Rockyrama vous raconte les étés les plus pourris de l’histoire de la pop culture. Des épopées de la loose, des odyssées de la poisse, les olympiades de la guigne. Parce que le malheur des autres, ça fait du bien.


Aujourd’hui, nous revenons sur le chemin de croix de Kevin Costner sur Waterworld. Au menu : méduses, mal de mer et guerre d’ego. Et encore, on ne vous dévoile pas le pire ! Essayez de trouver plus désespérant que cet été-là…

Kevin Costner avait pourtant abordé l’été 1994 le cœur léger. Départ sous les tropiques pour tourner un blockbuster en qualité de star, le rêve de beaucoup d’acteurs. Encore enveloppé de l’aura du succès de Bodyguard avec Whitney Houston, rentré à l’époque dans le top 100 des films les plus rentables de tous les temps, Kevin a la cote auprès des studios. Sur Waterworld, il coproduit et se réserve le premier rôle. Derrière la caméra, Kevin Reynolds, avec qui il a collaboré déjà trois fois. Les deux hommes sont amis de longue date, bien avant que Costner n’accède à la célébrité. Il a adoré le tournage de Robin des bois : prince des voleurs avec le réalisateur, qui a cartonné au box-office. Le script écrit par Peter Rader et David Twohy, retouché ça et là par Joss Whedon, est une réinterprétation assumée de Mad Max 2. Une base solide, édulcorée pour le grand public et transposée à l’univers aquatique. Cette fois, ce n’est pas une guerre nucléaire mais le réchauffement climatique qui est à l’origine de l’apocalypse. La calotte glacière a fondu, les flots ont submergé le globe. La ressource qui manque et pour laquelle on se bat, ce n’est pas le pétrole mais l’eau potable. Avec le mélange film d’aventure et fable écologique, l’équipe est persuadée de faire le pari gagnant.


Bref, Kevin est en confiance, tous les feux sont au vert.

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Le tournage est prévu dans l’Océan Pacifique, au large d’Hawaï, pour l’été 1994 donc. Une destination pas dégueulasse pour passer les beaux jours… En mai, trois cents membres de l’équipe se sont rassemblés à Hawaï au temple du roi Kamehameha I pour une cérémonie rituelle. La production a engagé un Kahuna, un grand prêtre local, pour qu’il apaise les divinités et bénisse le site du tournage.


Les dieux hawaïens sont taquins, le tournage sera l’un des plus grands naufrages de l’histoire du cinéma. Déjà, les conditions sont dangereuses. Dès le premier mois, la doublure de Costner frôle la mort en plongée tandis que les deux actrices principales (Jeanne Tripplehorn et Tina Majorino) se mangent le mât d’un catamaran de plein fouet et tombent à l’eau. La peur des accidents marquera tout le tournage. Costner se fera la frayeur de sa vie l’hiver suivant lorsque, attaché en haut du mât d’un bateau, il est pris dans une tempête terrible.

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Les comédiens sont souvent en proie au mal de mer lorsqu’ils tournent sur des embarcations. Alors qu’il incarne à l’écran un homme amphibie, Kevin Costner est régulièrement invalidé par des crises terribles. Sans compter les méduses qui le piquent un nombre incalculable de fois sur les jambes et les épaules. Costner est éprouvé lorsqu’il joue et souvent frustré par le peu de temps quotidien qu’il passe devant la caméra, à cause des difficultés techniques à gérer. La tension est palpable. Il se rend compte qu’il débute un long marathon.


Pour Costner le producteur aussi, l’aventure tourne au vinaigre. Il comprend rapidement que Waterworld va être un gouffre financier. Certes, ils voulaient faire les choses en grand. Plus de 10 000 accessoires de tournage sont prévus : mitrailleuses, arbalètes, jet skis… Mais l’équipe était loin d’avoir pensé à tout. Les dépenses inattendues vont pleuvoir. Tourner en pleine mer demande une organisation et une logistique considérable. Un exemple : pour que tout ce beau monde conserve sa dignité, il a fallu concevoir et installer des dizaines de toilettes flottantes. Environ 425 personnes doivent être transportés chaque jour sur l’atoll artificiel à 1 kilomètre des côtes. L’échafaudage aurait coûté 5 millions de dollars. Le temps alloué uniquement au tournage s’en trouve considérablement rogné. Et pour chaque scène, à cause de la houle, il faut souvent quatre ou cinq prises pour être sûr d’avoir les bonnes images. Rendez vous compte, plusieurs semaines sont nécessaires pour une scène d’action de dix minutes ! Un processus laborieux, pas facilité par les baleines à bosse qui font du photobombing… Les aléas climatiques n’aident pas non plus, le vent surtout. Un des plateaux les plus importants coule, ce qui implique un sauvetage coûteux. Le film est un énorme chèque en blanc : les dépassements de budget sont astronomiques. Avec pourtant 100 millions de moyens au départ, Waterworld coûtera au final 172 millions de dollars, 235 si on inclut le marketing et la distribution. A cette époque, c’est le film le plus cher de toute l’histoire !

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Devant toutes ces difficultés qui s’accumulent, Costner veut assurer coûte que coûte. Quitte à en faire trop. Les tensions deviennent vite électriques avec Reynolds car la superstar veut tout gérer. Il ne fait pas confiance à son réalisateur et conteste ses choix créatifs. Il rêve son personnage en héros à la Errol Flynn alors que Reynolds penche pour une version plus sobre et sombre, à la Max Rockatansky. Avec Danse avec les loups, Costner a connu le succès comme producteur, réalisateur et acteur. Il aime avoir les pleins pouvoirs sur un projet. Un léger syndrome de toute-puissance peut-être. Reynolds assène : « Kevin ne devrait jouer que dans les films qu’il dirige. Ainsi, il peut travailler avec son réalisateur et son acteur préférés. ». Les amis se brouillent et ne se reparlerons qu’en 2012 pour travailler ensemble sur la mini-série western Hatfields & McCoys. Spielberg lui-même, encore traumatisé par son expérience difficile sur Jaws, avait conseillé à Reynolds de ne pas se lancer dans le film. Il aurait dû t’écouter, Steven !


Même la vie privée de Costner n’est pas épargnée pendant cet été, décidément cauchemardesque. Pis, elle est livrée en pâture. Les rumeurs, relayées par la presse à scandale, font état d’une aventure entre lui et une danseuse hawaïenne travaillant à l’hôtel où il réside. La fragilité de son mariage avec Cindy Silva est exposée aux yeux de tous. Ses problèmes conjugaux font les choux gras des journaux à sensation. Ils divorceront dans l’année.


Deuxième effet Kiss Cool, Waterworld gâche aussi l’été 1995 de Kevin Costner au moment de sa sortie. Après s’être tué à la tâche pendant six mois de tournage, il sait que le film a peu de chances de rentrer dans ses frais. Néanmoins, Costner espère un succès populaire et critique qui permette de justifier tout ce travail. Malheureusement, la presse spécialisée parle déjà d’un désastre commercial annoncé et fait de Waterworld l’archétype de la dérive financière hollywoodienne. La médiatisation des déboires autour du tournage va complètement phagocyter la dimension esthétique. Le film n’est plus une œuvre mais une affaire : le « Kevin’s Gate ». L’histoire est écrite d’avance, Waterworld sera un flop. Le film va souffrir d’une prophétie auto-réalisatrice. Parce que le succès, c’est aussi une question de storytelling.

Cet été-là, la concurrence est rude. En face des aventures du marinier, on trouve Batman Forever, Apollo 13, Braveheart ou Babe. Pas de bol, encore. La première semaine d’exploitation, le film est numéro 1. Mais l’engouement s’essouffle vite. Le film récolte 88 millions de dollars sur le marché américain, très décevant pour un blockbuster. En comparaison, le Batman récolte 184 millions pour un budget de 100 millions. Avec les entrées à l’étranger, Waterworld termine à 264 millions de dollars tout de même. Pas si mal. Le film rentre dans ses frais et génère de maigres profits. Le problème, c’est que les critiques fusillent le film, qu’ils jugent ennuyeux et simpliste. La casserole de métrage le plus cher du monde était trop lourde à porter pour un projet à l’esprit série B. A l’origine, c’est d’ailleurs Roger Corman qui avait commandé le script.


C’est resté gravé dans l’inconscient collectif, Waterworld est un échec. Le long-métrage est régulièrement cité dans la liste des pires films ou des plus gros ratés du cinéma. Une relative injustice que Kevin Costner a du mal à avaler. Il défendit le film dans les interviews et continue toujours de le faire aujourd’hui. Sa carrière ne se relèvera jamais tout à fait de cet échec cuisant. Et ce n’est pas The Postman (1997) qui le sortira de l’ornière. Il faut se rendre à l’évidence, Costner n’est pas doué pour les films post-apocalyptiques !


A la faveur des 20 ans du film en 2015, des articles sur internet en appellent à réviser son statut de flop. Avec le temps, les spectateurs ne voient plus le film comme une catastrophe industrielle mais un sympathique divertissement quoique très maladroit. Waterworld s’est construit une relation particulière avec le public grâce au succès des attractions dans les parcs Universal Studios aux USA, au Japon et à Singapour. La rétromanie pourrait être profitable à Waterworld puisque, depuis 2012, SyFy planche sur une série ou un remake. Peut-être que Waterworld sera un jour rentable, mais ce n’est pas ça qui rendra les étés 94 et 95 à ce pauvre Kevin… Seul sur le sable, les pieds dans l’eau, son rêve était trop beau.


Felix Lemaître