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Sweet Tooth, où quand Mad Max rencontre Bambi

Jeff Lemire fait partie de cette nouvelle génération d’auteurs qui commence à marquer les esprits. Si sa dernière oeuvre « Descender », avait permis d’assoir sa réputation de scénariste, c’est avec une autre série que le canadien a fait ses armes.
Sweet Tooth, où quand Mad Max rencontre Bambi

Jeff Lemire fait partie de cette nouvelle génération d’auteurs qui commence à marquer les esprits. Si sa dernière oeuvre « Descender », avait permis d’assoir sa réputation de scénariste, c’est avec une autre série que le canadien a fait ses armes.


« Sweet Tooth » n’est pas une première oeuvre, c’est avec « Essex County » en 2008 que Lemire est entré dans la cours des grands, avec à la clef une nomination aux « Eisner ». Depuis, il a bien bourlingué aussi bien chez Marvel et DC, que Vaillant et Image. De « Animal Man » à « Moon Knight » en passant par « Bloodshot Reborn », on peut dire qu’il a bien bossé son héros costumé. 


Pourtant c’est avec des oeuvres plus personnelles qu’il a rencontré un succès critique. « Trillium », déjà paru en France chez Urban, nous montrait déjà de quoi il était capable quand on lui lâchait les brides, proposant un récit de SF totalement barré. Dans la biographie de l’auteur, « Sweet Tooth » se situe chronologiquement entre « Essex County » et « Trillium », à une époque où Lemire dessinait lui même ses propres séries.



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Le pitch de « Sweet Tooth » pourrait presque passer pour un conte de noël : Gus est un enfant à tête de cerf. Il vit seul avec son père qui lui interdit scrupuleusement de sortir de la forêt. Bien entendu, le gamin va devoir braver l’interdit et découvrir en même temps que le lecteur que l’humanité se meure.


Si le comics de Lemire commence un peu à la façon du« le Village » de N.Shyamalan, c’est très rapidement comme une saga post-apocalyptique comme « the Road » que l’oeuvre se situe. Jeff Lemire passe brusquement d’un conte pour enfant, à un récit froid et austère. Un peu à la façon d’un Robert Kirkman ou d’un Brian K Vaughan (dans « Y le dernier homme »), Lemire nous fait comprendre que l’homme devant le précipice est capable de toutes les avanies. A la mort de son père, Gus va trouver un nouveau guide en la personne de Jepper, un personnage taciturne et violent qui semble avoir tout perdu tout espoir. Ensemble, ils vont parcourir une Amérique désolée où l’homme est devenu soit un prédateur, soit une proie. Malgré tout, dans ce monde malade, un espoir subsiste encore. Le virus qui semble avoir touché la race humaine, n’affecte pas pour autant les enfants « hybrides » comme Gus, nés après la naissance du virus (à moins que ?).  


« Sweet Tooth » est une oeuvre composée de 40 issues en version originale, rassemblées ici (chez Urban Comics) en trois volumes, dont les deux premiers sont déjà disponibles. Si le premier arc d’exposition prend son temps, les choses vont très rapidement s’affoler, mêlant action et mélodrame dans un road trip implacable. Le principal intérêt de la série est de brasser plusieurs influences, à la fois théologiques et psychologiques. Lemire révèle toutes les facettes de l’homme dans une histoire bien loin du manichéisme ordinairement présent dans le monde du comics. A travers ces enfants-animaux, l’auteur nous montre aussi notre façon de voir l’ « Autre ». De la crainte à la colère, en passant par la joie et le dégout, c’est tout un éventail de sentiments qui va être exprimé par le prisme de Gus, notre héros.

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Comme souvent quand il est au dessin, Jeff Lemire a un trait sombre et rugueux qui ne plaira pas forcément au premier abord. Mais force est de constater que le style sied parfaitement à l’univers proposé. Le découpage va dans le sens du récit, parfois réduit à sa plus simple expression ; il varie du gaufrier classique à quelque chose de complètement déstructurée, offrant un dynamisme surprenant. José Villarrubia, qui colorisait déjà Paul Pope pour son « Batman année 100 » et qui n’en est pas à sa première collaboration avec Lemire, apporte quand à lui, une teinte très « européenne » au récit.


Jeff Lemire sait écrire des histoires. Celle de Gus est complexe parce qu’elle traite de la psyché humaine quand elle est privée de tous ses artifices et réduite à ses plus bas instincts. A travers un récit post-apocalyptique, on se questionne sur ce qui fait de nous des hommes bons ou mauvais, quelle ligne peut ou non être franchie. La saveur de « Sweet Tooth » vient avant tout le réalisme des interactions entre les personnages. Difficile de ne pas être touché par un héros, tout d’abord naïf, mais qui peu à peu va perdre ses illusions en même temps que son innocence. Quoi qu’il en soit, il est impératif de découvrir les œuvres de Jeff Lemire, surtout quand elles sont aussi froides et intenses.


Christophe Balme