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Michael Bay : amour et explosion(s)

Conspué ou adoré, haï sans retenue ou révéré comme un créateur hors norme, Michael Bay est l’apôtre d’une apocalypse à répétition.
Michael Bay : amour et explosion(s)

[Texte issu du Rockyrama n°2 - 2013] 9 films (bientôt 10), des milliers d’hectolitres d’essences ventilés, des tonnes de poudres utilisées, des centaines de bâtiments vaporisés et l’équivalent du parc automobile européen broyé sans remord. Conspué ou adoré, haï sans retenue ou révéré comme un créateur hors norme, Michael Bay est l’apôtre d’une apocalypse à répétition. Son goût pour les scènes de destruction baroques « bigger than life », et sa recherche du plan définitif qui imprime la rétine pour l’éternité, lui confère le statut de roi du massacre cinématographique des 15 dernières années.


« Créer un poncif, c’est le génie ». Lorsque Charles Baudelaire lance cette punchline visionnaire et évidente, il ne sait pas qui est Michael Bay. Pourtant, ces quelques mots valident le travail du cinéaste, entré dans la danse des images animées dans les années 90 par la porte du clip. Dès l’instant qu’un fleuriste, un pompiste, un dentiste ou même parfois un critique de cinéma parlent de sur découpage, de frénésie visuelle ou de mauvais goût incarné, Bay fait son apparition, le sourire ultra bright à la Gordon Gekko en avant et la mèche de golden boy des année 80 impeccablement lissée. Mais ce poncif, aussi sujet à la critique soit-il, n’est qu’un prolongement , un aboutissement créatif qui commence à faire école. 

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Né en 1965 dans la Cité des Anges, ado dans les années 80, Bay grandit avec l’ombre cathodique de MTV au dessus de la tête. Dans ses premiers jobs d’été on retiendra qu’il travailla au département storyboard d’ILM, à l’époque des Aventuriers de l’Arche Perdue (1981). Il restera en bons termes avec l’autre paria des hautes sphères, Georges Lucas. Le tourbillon d’images multicolores déversées à longueur de journée le marquera profondément, et lorsqu’il sort diplômé de l’Universtité de Wesleyan, c’est avec l’intention de faire carrière dans le monde de l’image. Telle une créature « cronenbergienne », le jeune réalisateur se veut d’une autre espèce, mutant à l’ADN corrompu par une télévision toujours plus déterminante dans les courants de productions. Comme de nombreuses jeunes pousses, il réalisera des clips, notamment pour Tina Turner, Lionel Richie, Meat Loaf, avant d’être repéré par celui qui deviendra son mentor, Jerry Bruckheimer. Jerry B renifle chez Bay le talent, une imagination débordante et une passion sans borne. Avec son double Don Simpson, ils tiennent leur nouveau Tony Scott. Le metteur en scène de demain, qu’ils pourront caler aux manettes de leurs productions destinées à coller à la mode. Bay doit faire dans le rutilant, le clinquant et le cool. En gros la même recette que pour son prédécesseur. Rookie de la très rentable maison Simpson/Bruckheimer, Bay comble ses patrons avec Bad Boys (1995), baptême du feu de son auteur et dernière tentative notable dans le genre buddy movie. Les choses sérieuses commencent avec son film suivant, The Rock (1996). Casting de rêve, moyens illimités et confiance absolue de ses employeurs. 


Bay commence son œuvre. Son découpage syncopé lors des scènes d’action lui attirera les foudres de nombreux journalistes, se plaignant d’assister à un spectacle débile complètement incompréhensible. La mutation a pourtant commencé et Bay n’est que le déclencheur. Hollywood vient de se renouveler. Une époque s’achève, une nouvelle ère commence. La démocratie des images de synthèse ouvre de nouvelles perspectives. The Rock n’en appelle encore principalement qu’à des techniques très anciennes de tôles froissées et d’explosions « on stage ». Forgeant son style au carrefour d’une révolution technologique qui secoue l’industrie du cinéma, Bay ne se coupera jamais des effets traditionnels, déclenchés sur le plateau par un technicien qui en a vu d’autres. S’il excelle dans la gestion des effets numériques, Mike, comme Michel Gondry, aime le bricolage et entretient un rapport charnel à son métier. Pour preuve, sa réticence à filmer en caméra numérique et à adopter la 3-D : « le numérique, quoi qu’on vous dise, ne sera jamais l’équivalent du film. Ceux qui vous disent le contraire vous racontent des conneries ». Clair et net.   

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The Rock et ses scènes d’actions longues, violentes, dramatisées à outrance, étale les qualités et les ambitions du nouveau prodige du blockbuster. Évacués de toute forme de réflexion, ses films se dégustent comme des orgies. Avec Armageddon (1998), le spectacle commence vraiment. Sur un scénario burlesque qui envoie une bande de prolo dans l’espace pour sauver la Terre, Bay dessine des cartes postales dignes d’un reportage de la chaîne Planète, embrassant l’humanité dans ce qui devrait être ses derniers instants. On reproche au cinéaste ses cuts incessants, mais le clippeur qu’il était sait immortaliser ses personnages dans des cadres figés, frôlant là aussi l’excès, atteignant sans problème un mauvais goût assumé. Assumé parce que Bay sait ce qu’il fait, pour qui il travaille et surtout pourquoi il est l’homme de la situation.


Le problème survient dès qu’il joue avec la réalité. Toujours prompt à galvaniser le moral de ses concitoyens et passer un coup de polish sur la bannière étoilée, Bruckheimer pense qu’il est temps de parler de Pearl Harbor (2001). Bay voit alors l’occasion de réaliser son Titanic. Si on retient cette incroyable scène d’attaque, ouvert par un plan dont son auteur raconte qu’il lui est apparu en rêve, le reste du film ne fonctionne pas. La faute à une tentative de profondeur dont il n’est pas coutumier, et à une relecture un peu bancale de la vérité historique. La fresque épique promise par le titre n’était pas à la portée de ses instigateurs. 


Rien de tel pour se ressourcer que de retourner aux fondamentaux. Donc Bad Boys 2. Son chef d’œuvre, son manifeste, sa façon à lui de dire voilà qui je suis, ce que je sais faire et ce que je veux ! Tout dans ce film est issu du cerveau malade de son créateur. Des plans virevoltants, rangés les uns à côté des autres par un ado à qui on aurait demandé de ranger sa chambre alors qu’il pensait partir faire du skate avec ses potes. De l’humour fin comme une coque de porte-avion, et des acteurs loins de la Méthode de Lee Strasberg. Alors pourquoi ça marche ? Parce qu’il croit en ce qu’il fait. Il ne peut pas aller trop loin, il n’a aucune limite. Cette version, côté obscur du Miami Vice de Michael Mann, film avec lequel il partage d’innombrables similarités scénaristiques, représente la quintessence de son cinéma. Fatalement, le monde se scinde en deux catégories. Les fans et les pourfendeurs. Certains n’ont que peu goûter aux travellings sous les strings, les rats fornicateurs, les jets de cadavres, et toute la panoplie de conneries imaginées par un homme qui veut visiblement bien se marrer en regardant son film. Bad Boys 2 marque (pour l’instant), la dernière collaboration entre Bruckheimer et Bay. Tant mieux. Qu’auraient-ils pu nous offrir de plus beau comme cadeau d’adieux ? Miami et la moitié de Cuba ont été ravagées dans la joie et la bonne humeur, écrasées par un réalisateur capable de vanter les mérites d’une marque de barbecue dans un spot où il fait exploser les décors. 

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Seul aux commandes de sa destiné, Mike bifurque vers la science fiction, genre qu’il n’abandonnera plus quatre films durant. The Island, grand petit film d’anticipation, raconte comment des clônes voués à l’immortalité de leurs propriétaires, vivent dans leur ferme d’élevage jusqu’à ce que l’un d’eux, poussé par une destiné messianique, casse les plans du grand architecte. Même si les ambitions du scénario semblent parfois l’incommoder, Bay traite cette histoire avec son sérieux (bien à lui) et livre un film original. Il prouve que si les scènes de dévastation restent sa spécialité (encore une scène de poursuite furieusement dégénérée), il est capable de gérer des personnages et une trame plus complexes que les aventures de deux flics cools contre les narco-trafiquants. Son prochain travail ne lui permettra pas de confirmer l’essai théorique. Mais sur son terrain, à savoir filmer le chaos, il va écrire trois chapitres que peu de personnes parviendront à approcher, de près ou de loin. Transformers (2007), Transformers la Revanche (2009) et Transformers la Face Cachée de la Lune (2011), après 6 ans d’un travail de titan, où des centaines d’équipes étaient mobilisées pour porter à l’écran les visions de son démiurge, redéfinissent l’idée de grand spectacle. Soutenue par une parfaite alchimie entre effets pyrotechniques à l’ancienne et les prouesses des virtuoses d’ILM, la trilogie robotique produite par Spielberg, qui reconnaît avec Michael Bay une filiation (bâtarde) évidente, scelle une première partie de carrière longue de 16 ans. Si son penchant pour l’humour bulldozer et une certaine vulgarité débridée imprègnent la saga d’Optimus et ses frères d’armes, impossible de nier la prouesse visuelle élaborée par le nouveau roi du box-office. 


Voilà pourquoi après plus d’une décennie à tout faire sauter, toujours à plus grande échelle, l’homme sort de ses tiroirs un projet sans cesse repoussé à cause des cadences infernales imposées par les Transformers. Pain and Gain. Budget, à peine 20 millions de dollars. Moins que son salaire sur la série Transformers. Le rêve que le cinéaste caresse depuis plus de 5 ans est devenu réalité. Réaliser un film à petit budget, sans scène d’action et concentré sur des personnages naviguant dans une histoire sombre et tragique. Comprendre, raconter l’épopée d’une bande de culturistes basés à Miami, déglingués, accros aux pilules et au kidnapping. Pas de panique, promesse a été faite par l’auteur de livrer avec le produit fini sa traditionnelle poursuite sur l’autoroute. Bay, qui a déclaré cette année avoir perdu le goût de filmer les scènes d’action, cherche un deuxième souffle, légèrement monastique, avant de repartir ravager la planète dans les annoncés Tranformers 4 et Bad Boys 3. Un homme de formule qui se consacre de temps à autres à des projets plus personnels. 


Conscient des réactions qu’il provoque, Bay adore jouer avec son image et reste un mec simple, honnête dans sa démarche et prompt à se moquer de lui-même. Lorsqu’il regarde les scores de ses films il peut être rassuré. Quelques personnes on décider de le suivre et ont fait de lui un poncif. Donc un génie ?


Et puis un homme qui imagine le plan d’un immeuble coupé en deux par un robot tentaculaire en faisant sa série d’abdos, ne peut qu’avoir la confiance des troupes de Rockyrama.


Guillaume Baron