Midnight Collection : minuit dans le jardin du mal
Avec la Midnight Collection, lancée en grande pompe ces jours-ci, Carlotta semble décidé à redonner ses lettres de noblesse à la série B la plus authentique qui trustait les rayonnages des vidéoclubs dans les années quatre-vingt.Avec la Midnight Collection, lancée en grande pompe ces jours-ci, Carlotta semble décidé à redonner ses lettres de noblesse à la série B la plus authentique qui trustait les rayonnages des vidéoclubs dans les années quatre-vingt. Des péloches aux moyens limités, le plus souvent produites loin des grands studios hollywoodiens et portées par des seconds couteaux prêts à en découdre, bref, la crème de la crème ! Alors faites chauffer le popcorn, rebranchez votre vieux magnéto JVC et installez-vous confortablement dans le canapé à crédit des parents. Il est minuit, l’heure du crime, le film va commencer !
Dans les glorieuses eighties on produisait à la pelle de la série B poisseuse à souhait qui vous enchantait le temps d’une soirée passée entre potes ou avec la plus belle fille du lycée que vous convoitiez depuis des mois et qui avait enfin accepté de venir voir Evil Dead ou une resucée italienne de Mad Max 2 sur le magnétoscope du paternel.
Parmi ces films qui ont fait le bonheur des aficionados prompts à manier la télécommande avec autant de dextérité que Chuck maniant le pied dans la gueule l’éditeur a donc repêcher quelques titres emblématiques de la catégorie ; quatre titres plus exactement qui ont en commun un nom qui ne vous dira peut-être rien mais qui mérite tout de même d’être cité : James Glickenhaus. L’homme est plus connu aujourd’hui à Wall Street qu’à Hollywood, et pour cause il a abandonné depuis longtemps le cinéma pour devenir trader dans la boîte de son père, mais Blue jean Cop et The Exterminator ont bel et bien été réalisés par ses soins tandis qu’il a produit Maniac Cop et distribué Le Scorpion rouge par l’entremise de Shapiro-Glickenhaus Entertainment (SGE), sa société de production qui disparut de l’industrie en même temps que lui au mitant des années quatre-vingt-dix.
Mais revenons un instant sur ces films, et plus particulièrement sur trois d’entre eux, qui à l’exception du Scorpion rouge – qui mériterait un article à lui tout seul ne serait-ce que pour rappeler sa rocambolesque production – se déroulent tous à New York City. Mais pas le New York pacifié et aseptisé d’aujourd’hui, non ! Celui d’avant Giuliani, d’avant la gentrification et d’avant le retour en masse des touristes armés de leur carte Visa ; pour résumé, le New York de Taxi Driver, pas celui de Friends !
Ainsi dans The Exterminator et Blue jean Cop on peut découvrir le Time Square malfamé de l’époque, ses dealers, ses prostitués et ses cinémas porno, bien loin de l’image d’Épinal qu’Hollywood a réussi à nous inculquer depuis une vingtaine d’année. C’est là que le flic intègre (le seul de la ville ?) interprété par Sam Elliott (le charismatique mentor de feu Patrick Swayze dans Road House ou le sympathique cowboy moustachu de Big Lebowski) a pris ses quartiers, dans l’arrière-boutique d’un cinéma cradingue diffusant justement un autre film du réalisateur (The Soldier). Dans The Exterminator le tableau brossé est bien pire : le vétéran du Viêt Nam bien décidé à nettoyer la ville façon Travis Bickle mâtiné de Charles Bronson y découvre un sordide bordel spécialisé dans la mise en relation de clients triés sur le volet avec de très jeunes garçons, bordel qu’il s’évertuera à « désaffecter » à sa manière plus que radicale. Dans Maniac Cop de Williams Lustig, c’est Manhattan tout entier qui tremble face à la rumeur d’un flic-serial killer apparaissant à l’écran tel un véritable boogeyman grâce au corps massif et au visage anguleux du regretté Robert Z’dar. Les rues ne sont plus sûres, que voulez-vous. Les arracheurs de sacs à main à la petite semaine ne sont que du menu fretin comparés aux violeurs, aux flics ripoux et aux revenants qui peuplent les trois films. La ville a peur, le popcorn craque sous les dents des spectateurs confortablement assis et protégés par la barrière de l’écran.
C’est aussi ça qui fit le succès des vidéoclubs et des séries B bien balancées : le frisson à moindre coût. Pour un ou deux billets et la promesse de ramener en temps et en heure les cassettes dûment rembobinées on pouvait s’offrir sursauts, blotissements et mains serrées – voire plus avec un peu de chance – en bonne compagnie. Dehors, nos rues étaient sans doute moins dangereuses que celles du Manhattan de l’époque mais le temps d’un film on entendait les sirènes et les cris des victimes au cœur de la nuit. Aujourd’hui, New York est safe, pour sacrifier au langage de l’époque, et nos antiques magnétoscopes prennent la poussière au grenier. Alors un de ces soirs faites chauffer le popcorn, mettez le disque dans le lecteur, installez-vous confortablement dans votre canapé à crédit et appuyez sur Play – ÇA ça n’a pas changé !
Aubry Salmon
Blue Jean Cop, the Exterminator, Maniac Cop et Le Scorpion rouge sont disponibles en dvd et blu-ray aux éditions Carlotta. Quatre nouveaux titres sortiront dès le mois d’aout prochain.