Pacific Rim : Kaiju, Jaeger et ambitions déçues
Rêve trop grand d’enfant gâté ? Film popcorn volontairement idiot ? Ou comme hésitent encore les petits malins de Honest Trailer : “The Most Awesome Dumb Movie Ever Made” ou “The Dumbest Awesome Movie Ever Made” ? Pacific Rim, c’est quoi exactement ?A l'occasion de la sortie de notre numéro consacré à Guillermo Del Toro (en pré-commande ICI), retour sur Pacific Rim.
Rêve trop grand d’enfant gâté ? Film popcorn volontairement idiot ? Ou comme hésitent encore les petits malins de Honest Trailer : “The Most Awesome Dumb Movie Ever Made” ou “The Dumbest Awesome Movie Ever Made” ? Pacific Rim, c’est quoi exactement ? Le public américain n’a pas su le dire, n’offrant au long-métrage de Guillermo Del Toro qu’un succès public décevant. Nous ? On cherche encore.
“Guillermo Del Toro est tellement fan des films de "kaiju" japonais que son film transpire l'hommage et la citation très appuyée, en particulier à Evangelion. Pour autant il n'adopte pas la sensibilité nippone, devant faire avant tout un film pour le studio et le public américain. A l'époque ça comptait encore, et ce mélange des styles (du japonais dans une structure américaine) n'a pas totalement fonctionné aux US, mais plus en Asie et particulièrement en Chine. Ce qui est ironique, c'est que la suite est ouvertement orientée vers ce marché, et Del Toro en a conservé l'écriture et la production. On verra s'il y a une ré-orientation ou pas de l'ensemble. Je dirais donc que Pacific Rim est à la fois un bel hommage à la culture nippone, mais aussi un film trop américanisé, et c'est peut être ce qui explique le demi-échec du film malgré une direction artistique folle”.
Mathieu Gayet, critique et cinéphile
Guillermo Del Toro est fan. Fan du jeu vidéo Portal par exemple. D’ailleurs, la voix de l’ordinateur dans Pacific Rim est assurée par Ellen McLain, qui doublait, dans Portal (2007) et sa suite (2011), l’intelligence artificielle GLaDOS (pour Genetic Lifeform and Disk Operating System, ou Forme de Vie Génétique et Système d’Exploitation de Disque). Un hommage appuyé donc, puisque c’est le réalisateur lui-même qui approcha Valve, les développeurs du jeu. Dans une interview accordée au Toronto Sun, il racontait “la vouloir absolument, car je suis un immense fan de Portal. Mais la voix d’Ellen a été un brin modifiée, pour ne pas être trop ressemblante au jeu”. Guillermo Del Toro est fan.
“Pacific Rim, c'est l'hommage d'un cinéaste étranger, qui à su mettre en valeur deux éléments de la pop culture nippone, le Mecha et le Kaiju, et qui s'adresse à des étrangers (mais pas que..) qui ont grandi avec ces éléments (mais pas que…). A partir de là, on ne peut pas lui reprocher d'être trop américanisé, ou pas assez ceci ou trop cela. C’est du divertissement, le Japon n'est pas exclu du film; c'est un peu son Kill Bill, et il n’a pas sombré dans le pastiche, et à mon sens, un hommage ne peut pas être un pastiche. Mais on peut reprocher au Japon de ne pas, ou ne plus savoir faire ce genre de film justement”.
Malik-Djamel Amazigh, spécialiste de la culture japonaise
Guillermo Del Toro est également fan de monstres en tous genres. De La Momie, celle de Boris Karloff. L’un des kaiju de la séquence d’ouverture a même été surnommé Karloff, en hommage (et parce qu’il y a quelque part une petite ressemblance). Fan des “monster masters" Ray Harryhausen et Ishirô Honda (réalisateur du premier Godzilla, celui de 1954). Pacific Rim leur est dédié. Guillermo Del Toro, tout est simplement, est fan de cinéma : “« [Un film] est comme un tableau de Gauguin. Vous devez analyser les coups de pinceau, la vigueur de la palette de couleurs, et pas seulement le fait qu’il représente des femmes qui posent sur le sol avec des fruits. C’est dynamique et puissant, avec de l’assurance, [des] coups de pinceau épais… Nous ne regardons jamais un film de cette façon, mais putain, nous devrions ! », déclarait-il lors du prestigieux Annecy International Animation Film Festival.
“Je dirais que du point de vue de Del Toro, Pacific Rim est avant tout un plaisir régressif. L'accomplissement d'un rêve d'enfant consistant à faire un film avec des monstres et des robots géants qui se mettent sur la gueule. En faisant cela il rend surtout hommage à un imaginaire japonais qui va de La Grande Vague de Kanagawa aux films de Kaiju en passant par Goldorak, et il s'approprie totalement ces références, mais pas pour les adapter à la culture américaine (d'ailleurs il est mexicain), mais pour les intégrer dans son propre univers esthétique. Pacific Rim c'est la réalisation d'un fantasme de gosse. Mais grâce au sérieux, à l'application, au talent et aux quelques millions de dollars qui ont été injectés dans le film, ça donne un résultat assez universel”.
David Honnorat, journaliste (Calmos, SoFilm)
Furie et décadence. Mais échec au box office. Car Pacific Rim est un film cher (cela se voit). 200 millions de dollars de budget, et sans doute 150 pour la promotion. Les salles gardant 50% des recettes, le studio devait donc récolter au moins le double pour espérer rentrer dans ses frais. Avec 384,4M$ de recettes à travers le monde, le film semble s’en sortir plutôt pas mal. Mais l’année est aux blockbusters décevant (Die Hard, Oblivion, Gatsby), et avec seulement 98,4M$ en près de six semaines aux Etats-Unis, personne ne se prive pour parler d’échec. Surprise : avec 100M$ récoltés en seulement trois semaines en Chine, le film a dépassé son score sur le territoire américain. Largement. Et donc permis la suite.
“C'était surprenant parce qu'on pensait que le génie de Del Toro, les visuels, les bastons, etc... Cela allait prendre. Mais en fait, dans un contexte où le public est déjà abreuvé de Transformers et autres Godzilla géants, difficile de s'en sortir. Les raisons exactes, je les ignore : mauvaise date de sortie, manque d'acteurs bankables en lead, critiques presse moyennes (on admettra que le scénario a un gros trou au milieu - 71% sur Rotten Tomatoes), mauvaise sortie du distributeur... Tout est possible. Je pense que le film est aussi arrivé dans un contexte où Warner ne savait plus trop sortir ces films, comme Cloud Atlas juste avant, après avoir laissé beaucoup de libertés à ces réals”.
Mathieu Gayet
Alors, c’est quoi Pacific Rim ? Un flop, mais pas vraiment. Un film de monstres et de robots, mais humain avant tout (c’est là toute la grande différence avec les stupides Transformers : les Mechas sont ici dirigés, plus que par des hommes et des femmes, mais par leurs connexions, leurs vécus). Un film de studio, mais personnel. Un film japonais, mexicain, américain. Une envie intime, mais dont la suite verra le jour sans Del Toro derrière la caméra. Un fan film, mais cher. Un métrage de nuit baigné de couleurs et de lumières. Bref, Pacific Rim hésite en permanence. Pacific Rim ne sait finalement pas ce qu’il doit être.
“Tout comme le film commence par expliquer une faille ouverte entre deux univers, Del Toro a ouvert un fossé entre le cinéma et son imagination, vous invitant à partager dans cette espace de vie et de rêve collectif. Il n'est pas étonnant que le film soit dédié à Ray Harryhausen et Ishirô Honda, tant Pacific Rim ressemble à leur folie partagée. Harryhausen contrôle un hémisphère du cerveau de del Toro, Honda l'autre. Quel Jaeger magnifique ils pilotent !”
Digital Didascalia
Pacific Rim est une synthèse de toutes les passions de son créateur, et par extension, de son cinéma. Spectacle époustouflant mené d’une main de maître, aussi bien soigneux de ses couleurs que de ses héros, Del Toro ravive ici le film de monstre, toujours populaire mais si creux.
“Je ne pensais pas que j’aurais la chance de voir un tel film de mon vivant. Le rush émotionnel que j’ai ressenti est similaire à celui ressenti, gamin, devant 2001 : L’odyssée de l’espace, et quand je pensais que je pouvais toucher les dinosaures dans Jurassic Park. Il faut respecter ce film, mais plus encore, il nous permet de rêver au futur du cinéma d’entertainment. Pacific Rim is the ultimate otaku film that all of us had always been waiting for. Who are you, if you are Japanese and won't watch this?”
Hideo Kojima
Sensationnel et humain, musée des horreurs et ode au fun autant qu’à la passion, Pacific Rim est un fantasme à ciel ouvert. Une expérience sensorielle, tant sur grand écran, nous contrôlons les Jaegers. Pacific Rim est un chef d’oeuvre, un brin inexplicable. Ce qui ne le rend que plus grand.
Nico Prat