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American Gods : le courroux des Dieux s’abat sur l'Amérique

La série inspirée du livre culte de Neil Gaiman, « American Gods » était attendue, enfin au moins par ceux qui n'ont plus de temps à perdre pour savoir qui va mourir dans Game Of Thrones.
American Gods : le courroux des Dieux s’abat sur l'Amérique

L'ouvrage, ample, érudit, et quasi-homérien semblait aussi difficile à adapter que tant d'autres classiques de la SF ou du fantastique « à angle large » (c'est à dire sans Yoda ni Enterprise), comme « Dune » de Franck Herbert ou « Fondation » d'Asimov.


Le résultat pour l'instant comble d'aise les fans et donne envie de vérifier comment cette épopée va continuer d'être visuellement déclinée jusqu'au dénouement final. Tant que le parti pris d'osciller entre réalité et hallucination, entre salubrité mentale et délire schizophrénique,  tient bien mieux la distance que le prétentieux « Legion ».


Il faut d'abord vous prévenir, le générique casse la tête aussi sûrement que la batte de Negan. S'inspirant des dernières tendances Netflix (Daredevil, Iron Fist, etc..), il additionne  les fautes de goût visuels et sonores dans une surexposition symbolique, cramoisie et inutile. Mais on s'en fout. C'est presqu'une qualité à l'heure où les trailers et les Previously comptent davantage que les 45 minutes de l'épisode. « American Gods » raconte une histoire, et l'on sait depuis longtemps que sans cette obsession de départ, la série télé quitte vite sa filiation avec le genre littéraire pour se réduire à une case horaire et une énième seconde chance pour Rob Lowe.

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Il existera sûrement deux types de jugements sur cette série. Ceux qui ont d'abord dévoré le livre et ceux qui ignoraient son existence. J'envie presque les seconds. Je plaisante, pour une fois je vous engage à vous le procurer avant de vous ruer sur le streaming, non pas qu'il soit indispensable pour capter la trame et les multiples références historiques à la pop culture qui y sont faits – qui ne regarde pas un programme avec son smartphone ouvert sur l'appli IMDB ?- mais tout simplement pour doubler votre plaisir, dans une forme plus épurée et narcotique, comme de passer d'un Sex On The Beach au Cognac pur...


Le pitch s'avère finalement assez simple. Un ancien taulard magnifiquement dénommé Shadow Moon, est embauché, après la mort dramatique de sa femme, qui était en train de sucer son meilleur ami dans sa voiture, par un type qui répond au doux surnom de Mr Wednesday. Ce dernier n'est autre qu'Odin, le dieu nordique, qui essaie de recruter les autres divinités, immigrés clandestins sur le sol américain (Anubis,  Tchernobog, Anansi), ou autres personnages mythologiques (Leprechaun, Djiin ) pour affronter les nouvelles puissances émergentes : voitures, télés, internet. De nouveaux dieux qui pensent leur temps advenu, maintenant, et que la dévotion des humains leur est acquise. Ces braves figures du passé, réduites à être des  bourreaux d'abattoirs ou patrons de pompes funèbres, doivent retourner dans les livres et dans les souvenirs qui lisent encore. Car il faut bien vous l'avouer ici, le dieu unique éternel des juifs, des chrétiens et des musulmans n'est pas de la partie. Dans ce « monde »,  les dieux meurent du manque d'amour de leurs croyants.

Cette belle approche païenne et panthéiste, un brin anarchiste et nihiliste, avait trouvé sous la plume de Neil Gaiman une abondante et intarissable prose pour la détailler et la révéler, mélangeant dialogues de charretiers, bastons de bar et résurrections purifiantes,  sur fond de folk et de blues dans l'auto-radio à travers les routes sans fin du midwest.

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Sur l'écran, pour l'instant l'exploit est plutôt au rendez-vous – et qui se soucie des audiences de nos jours ? Le miracle doit d'abord beaucoup à l'incarnation massive et juste de Shadow Moon par Ricky Whittle, un acteur anglais – un temps tenté par le foot au point de faire un essai chez Arsenal-  et aperçu dans « The 100 » (on lui pardonne). Il trimballe à merveille la carcasse éreintée et lourde de ce molosse brisé, devenu érudit derrière les barreaux, un intello avec avec des poings en fonte. En face Ian McShane, vous savez le très vilain de Deadwood, distille  un Wotan cynique, libidineux et manipulateur.


L'immense qualité de la réalisation reste notamment d'avoir conservé le sens des petits interludes historiques dans le roman qui relatent, en parenthèse chronologique, comment l'Amérique fut « divinisée » par vagues successives d'immigrations, des hommes du Néolithique  aux Irlandais fuyant la famine ou bien sûr par les esclaves africains – démentielle scène dans le bateau « négrier » ou les hommes enchaînés affrontent un dieu leur annonçant leur futur destin  de « niggers » sur le nouveau continent-. Surtout, la narration conserve le sens de la lenteur, de la description, de la mise en place – au vu des effets spéciaux, point faible, ce n'est pas un luxe -  un rythme et un style très proche d'un William Faulkner, ou la description des lieux, des personnages, des rencontres compte autant que l'action des hommes ou des femmes.



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Les épisodes – 5 pour le moment - qui suivent assez bien le schéma du bouquin, en prenant juste quelques libertés,  vont bientôt devoir s'aventurer sur les moments où le fossé entre visions et réalité s'estompe. La virtualité a déjà montré son vilain nez avec les dieux modernes, la transe s'invite petit à petit.


La guerre mythologique peut débuter...


Nicolas Kssis-Martov