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Brothers In Arms : l'histoire des frères De Angelis

L’histoire de la musique de films italiens se divise en deux catégories : Ennio Morricone et les autres.
Brothers In Arms : l'histoire des frères De Angelis

L’histoire de la musique de films italiens se divise en deux catégories : Ennio Morricone et les autres.


Fort de plus de 500 titres en 50 ans de carrière, le maestro n’est pas seulement le nom le plus connu (avec Nino Rota dans un autre registre) dans le monde entier, mais celui qui s’est accaparé aussi souvent les meilleurs films, les meilleurs réalisateurs et les meilleurs scores ! Et c’est sur des milliers de films alternant souvent entre péplums, western-spaghettis, giallo, films d’horreur ou érotisme soft (mais avec des poils), que des dizaines de compositeurs doués allaient se faire la main entre 65 et 85 dans l’ombre du maître intouchable : Armando Trovajoli, Bruno Nicolaï, Luis Bacalov, Piero Piccioni,  Piero Umiliani, Stelvio Cipriani, Francesco de Masi, Pino Donaggio, Goblins, Riz Ortolani ou Giorgio Moroder ont tous laissé quelques pépites de série B ou Z mémorables que les collectionneurs acharnés s’arrachent depuis des années.


Au milieu de tout ce beau monde, deux frères, Guido et Maurizio de Angelis ont décidé dès leurs débuts de tout faire ensemble. Et si leurs patronymes ne parlent pas à grand monde au pays d’Eric Serra, chaque enfant turbulent que nous étions jadis (je parle surtout des quarantenaires bedonnants et chauves que nous sommes devenus) a croisé un jour ou l’autre les mélodies bubble-gum du duo transalpin. Même si à l’époque on s’en cognait sévère.

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Bien malin celui qui pourrait se vanter de s’intéresser alors, du haut de ses 13 ans, aux individus cachés derrière ses génériques préférés. Eric Charden est derrière celui d’Albator ? Aucune idée ! Pierre Bachelet responsable des Bronzés et d’Emmanuelle ? Trop occupés à rire ou à faire autre chose devant ces films, on ne l’apprendra que bien plus tard !! Surtout que les frangins bossent alors sur deux projets, coproductions nippo-espagnoles, qui ne resteront pas comme les grands classiques dont on parle 30 ans plus tard la larme à l’œil avec les vieux nostalgiques de notre entourage : « Le Tour du Monde en 80 jours » (Récré A2 en 1983) et « Les Trois Mousquetaires » (Vitamine, TF1, 1984). La télévision se targue alors de faire rentrer la culture littéraire dans le crâne d’enfants mignons par le biais du dessin animé ! Ainsi Jules Verne et Alexandre Dumas allaient-ils débouler dans notre petit monde bien avant les versions filmées et azimutées des Charlots ou de Jackie Chan. Les aventures de Phileas Fogg (le lion), de D’Artagnan (le chien) et de leurs amis poilus sont mises en musique par le duo. Le générique du premier est chanté par Michel Barouille (grand spécialiste du genre, il interprète aussi Vic le Viking, la Bataille des Planètes ou Judo Boy), qui reviendra en 1989 pour la suite des aventures de D’Artagnan (« Sous le signe des mousquetaires »), dont le générique français d’origine de 1984 est interprété par Jean-Jacques Debout, l’homme assis dans l’ombre de Chantal Goya ! Premier rendez-vous raté avec nos amis, qui feront de la télévision leur principal terrain de jeu dans les années 90, après avoir œuvré pour quelques autres dessins animés (« Galaxy Express 999 », d’après le manga de Leiji Matsumoto) ou séries archi populaires (« Sandokan » ou « Tatort », gros succès allemand pour remplacer Derrick à l’heure de la sieste).


Car il faut bien avouer que si les œuvres qu’ils habillent ne parlent guère aux cinéphiles pointus, leur large audience leur vaut une reconnaissance fracassante en Italie comme en Allemagne (où l’on partage le goût des mélodies légères et de la moustache), les obligeant même à prendre l’alias d’Oliver Onions pour travailler leur côté chansonnier plus pop. En 1980, ils décrochent même un numéro 1 au pays de Frank Ribéry avec leur tube cheesy, « Santa Maria » !


Fort de cette petite notoriété, le duo reste cependant inconnu en France, n’ayant jamais travaillé avec un réalisateur d’ici, croisant seulement la route de notre Alain Delon préféré en 1975, lorsque ce dernier revêt le masque de Zorro pour Duccio Tessari. Et si l’on a le droit de regarder le film en entier un soir de rediffusion sur Fr3 pendant des vacances scolaires, le score nous sort aussi sec de la mémoire. 2e rendez-vous raté avec le duo.

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Dans leur longue filmographie (plus de 100 films), les De Angelis prendront l’habitude de collaborer avec les mêmes réalisateurs (10 films pour Enzo G. Castellari, 9 pour Sergio Martino, 7 pour Steno…) sans jamais tomber sur un chef d’’œuvre ou une référence digne de ce nom, un comble ! Tout avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices en 1971 lorsque Nino Manfredi leur confie les rênes de « Miracle à l’italienne », mais le reste ne sera que nanars érotiques, policiers de seconde zone et films d’horreur fauchés où ils enchainent les partitions enlevées, marquées par un sens prononcé du groove et de la mélodie, guitares en avant, influencés par le folk et s’essayant au jazz, à la bossa nova (« Afyon Oppio », 72) ou a l’électro (« Goodbye & Amen », 78) avec une grande maitrise. Pour le film culte, il faut attendre 1976 et « Keoma » de Castellari (avec le christique Franco Nero) qui marque le chant du cygne du western spaghetti (plus de 400 ont été produits à Cinecitta en une dizaine d’années) et sans nul doute leur partition la plus emblématique et la plus recherchée : introuvable en cd, le vinyle original s’échangeant à plus de 200 euros sur ebay ! Avec ses guitares tout droit sorties d’un album de Leonard Cohen, son ambiance crépusculaire, ses voix menaçantes ou flippantes (« In front of my desperation », « Keoma » par le couple Cesare De Natale et Susan Duncan-Smith, leur Edda Dell’Orso à eux), ses arrangements raffinés d’harmonicas ou de banjos, « Keoma » figure sûrement dans le Top 20 du genre non loin de Morricone, Bacalov ou Nicolaï…


Mais trop jeune pour autant de violence, nos sorties cinéma se font alors pour des héros bien plus sympathiques : Bud Spencer et Terence Hill. Véritable institution en Italie depuis le succès des Trinita, le duo cartonne alors partout dans le monde et impose son humour potache et truculent lors de 17 longs métrages en commun ! Imaginons un peu que Christian Clavier et Jean Reno en aient fait autant ! 6 de ces buddy movies low-cost seront orchestrés par les De Angelis, confortant leur talent pop sur des génériques vus par des millions d’yeux (« Pair et Impair », « Les Deux Missionnaires », « Deux super flics »)! Ils en feront 12 avec le seul Bud Spencer, dont les séries des Pied-plat (Piedone en VO), Bulldozer, Capitaine Malabar ou autre Banana Joe ! L’heure est à la déconne. Mais ces gentilles pochades avec le duo comique nous laissent de marbre. 3e rendez-vous manqué !

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On retiendra cependant leurs scores impeccables pour « On continue à l’appeler Trinita » (71) et « Maintenant on l’appelle El Magnifico » (72), deux westerns d’Enzo Barboni avant que Morricone et Leone n’enterrent définitivement le genre en 73, jouant même brillamment avec la figure populaire et le regard bleu acier d’un Terence Hill au top dans « Mon Nom est Personne ». 


N’ayant peur d’aucune outrance filmique ou musicale, les frères sont alors appelés par Dino Risi pour illustrer une pochade moyenâgeuse dont la vedette principale est un certain Coluche, qui enchaîne les nanars entre « Tchao Pantin » et sa glissade fatidique. Ebahi par tant d’horreur paillarde et grivoise, estomaqué par le bain laiteux de Carole Bouquet, on retient pourtant bizarrement la mélodie et le chant en latin du générique du début ! Pourquoi ? Mystère…Deux ans plus tard, Dino Risi fait de nouveau appelle aux De Angelis et à Coluche pour l’étrange « Fou de Guerre ». On ne se souvient de rien…

En cette même année 85, le Top 50 bat son plein et les italiens sont légions dans nos radios FM. Toto Cutugno, Albano et Romina Power, Eros Ramazotti sont depuis longtemps sur notre liste noire, P.Lion, Scotch, Ken Laszlo et autres Baltimora, rois des campings, préfigurent alors la déferlante italo dance des nineties ! Guido et Maurizio, eux, se rapprochent de Gainsbarre (anciennement Serge Gainsbourg) et composent la musique de deux titres écrits pour une Jane Birkin au sommet de sa gloire et de sa beauté. Sous la plume d’un auteur encore doué, les arrangements variétoches de « Quoi ! » passent presque inaperçus, tellement, qu’on pourrait les prendre pour du Romano Musumarra, cet autre italien que l’on subira pour la toute première fois en 84 avec Jeanne Mas, puis avec Stéphanie, Elsa et Céline Dion. Finalement, l’italo-dance c’était cool….


Nouveau meeting foiré avec les brothers qui vont alors progressivement s’éloigner des salles obscures pour se consacrer aux téléfilms de la TV italienne, la meilleure…


On a enfin mis un nom sur ces musiques entendues et oubliées. Justice est donc faite ! Au moment où le monstre Bud Spencer disparaît, voilà donc aujourd’hui remis en avant l’une des carrières les plus riches et singulières de la pop italienne, celle de deux frères doués, fins mélodistes, guitaristes et arrangeurs hors pair, quelque part entre Adriano Celentano et Al Stewart, mais qui n’eurent jamais la chance d’accéder au panthéon des compositeurs respectés. Pour dire, aucun grand nom du rap américain (on recense un titre avec Seth Gueko !) ou de l’électro ne samplera même une de leurs œuvres ! La preuve ultime que le secret est encore bien gardé ! L’éminent Tarantino (évidemment) se servira de « Gangster Story » dans « Death Proof » , Wes Anderson utilisera « Zorro » dans « Bottle Rocket », puis George Tillman remettra « Goodbye My Friend » au goût du jour dans « Faster » en 2010. Un titre mémorable, très en avance sur son temps (tiré d’« Il Citadino si ribella », de Castellari en 1974), à moins que nos contemporains soient très en retard dans leur inspiration…On soupçonne grandement les jeunes gens de Air ou d’Archive d’avoir plongé un jour leur nez (et leurs oreilles) dans ce morceau. Reste à tous ceux qui n’ont jamais essayé d’en faire autant.


Fabrice Bonnet