Quatre Garçons Plein d'Avenir : retour sur ce teen movie made in France
1997 : le teen movie semble bel et bien mis au placard. Quatre ans plus tôt, les États-Unis offraient son dernier coup d'éclat au genre avec Génération Rebelle de Richard Linklater, la fin d'un cycle qui laissait s'émanciper Ben Affleck et Matthew M1997 : le teen movie semble bel et bien mis au placard. Quatre ans plus tôt, les États-Unis offraient son dernier coup d'éclat au genre avec Génération Rebelle de Richard Linklater, la fin d'un cycle qui laissait s'émanciper Ben Affleck et Matthew McConaughey.
En France, à cette même époque, la comédie adolescente ne connaît pas la même flamboyance populaire, celle où le genre mélange, dans ses plus belles réussites, l'humour inhérent à la jeunesse et son inéluctable propos social. Deux contrepoints qui façonnent une union anti-conformiste peu présente dans un paysage français trop enraciné, qui différencie ses films cachetés Auteur et ses comédies populaires. En somme, l'école François Truffaut face à celle des Sous-Doués. La tendance demeure américaine et sa figure de proue se nomme John Hugues. Dès ses débuts le cinéaste américain tend vers cette union de deux aspects qu'il perçoit comme complémentaires. Dans ces années 80, le cinéma français interroge davantage son environnement social (Marche à l'Ombre, Tenue de Soirée, …) qu'une jeunesse moins présente sur les écrans. En 1991 le Péril Jeune de Cédric Klapisch s'y aventure sans donner suite, peut-être parce qu'à défaut de parler d'une jeunesse actuelle il se construit autour d'un flashback faisant revivre Mai 68 à ses personnages. Entre-temps, les comédies 80's estampillées John Hugues ont eu le temps d'être ingurgitées, digérées et assimilés. Alors que le genre somnole, American Pie inaugure son revival dès 1999, suivi quelques années plus tard par un évident successeur à Hughes: Judd Apatow. Étonnement, ce renouveau semble avoir été annoncé par une production française quelques temps auparavant. Son titre ? Quatre garçons plein d'avenir.
Sorti en plein été 1997, c'est sur un joli coup de poker que débute la genèse du film, quand Jean-Patrick Benes et Laurent Molinaro, alors âgés d'une vingtaine d'année, écrivent un scénario dans leur coin, loin de se douter qu'une fois terminé celui-ci atterrirait entre les mains un certain Thierry Lhermitte, alors auréolé du succès d' Un Indien dans la Ville. Jean-Patrick, co-scénariste du film avec son ami Laurent, admet lui-même que rien ne laissait présager telle surprise : «On avait fini la fac de Droit à Aix-en-Provence et on venait d'arriver à Paris. A l'époque j'étais bien fan des comédies américaines, j'ai été élevé par Breakfast Club. On finissait tout juste ce scénario écrit sur un an et demi et on l'a envoyé par la poste à une dizaine de boîtes de productions».
C'est ainsi, sous enveloppe, que les apprentis scénaristes communiquent leur premier script, sans trop y croire : « je bossais alors dans une boite de production comme juriste, mais aussi comme acheteur de films, et ça les faisait rigoler d'entendre ça, il me disaient tous qu'il y avait peu de chances que ça marche ». A tel point que Jean-Patrick n'y croit pas plus quand sa petite amie l'informe d'un appel téléphonique de Thierry Lhermitte. Il croit même à une vaste bévue : « On était une bande de potes très portés sur les blagues vraiment connes». Alors en déplacement au festival de Cannes où il écume les salles du marché du film, il se résout à y croire après être réellement mis en relation avec l'acteur du Splendid: «J'étais suspicieux mais c'était vrai, Lhermitte avait lu notre scénario et il avait accroché de suite ». Sans temps mort, les étapes s’enchaînent et trois mois suffisent à mettre le projet sur rails. « Le film s'est monté à une vitesse folle, Thierry Lhermitte nous soutenait totalement, il a porté le projet et levé le budget en un claquement de doigts » s'étonne encore Jean-Patrick. «C'est une Rolls-Royce de la comédie, un vrai producteur et scénariste, il connaît le genre et il a une vraie lecture en plus d'être très humain ».
Le film sort en salles le 6 Août 1997. Les critiques sont peu élogieuses, et ce même jour la concurrence se nomme Men In Black. Malgré les obstacles, Quatre garçons plein d'avenir accumule 600 000 entrées pour un budget d'à peine 20 millions de francs à l'époque, soit 3 millions d'euros. « Ce petit succès s'est fait grâce au bouche à oreilles » constate Jean-Patrick, « Et au final le film fut ultra rentable ».
Les deux amis scénaristes l'ont bien compris: non besoin d'un script des plus ambitieux pour réaliser un bon teen movie, mais davantage d'une sincère photographie de l'instant : « On s'est dit qu'elle était intéressante cette époque, cette période que l'on vivait de plein pied ». Le film porte bien son titre et nous présente une bande de potes qui, pour fêter la fin des cours, décident de partir en virée accompagnés de leurs soucis et de leurs emmerdes. Largement autobiographique, les quatre personnages principaux sont eux aussi étudiants en Droit à Aix-en-Provence. Le long-métrage se confond au vécu de ses auteurs. Celui des années 90 perçues au travers d'une bande de jeunes, et les anecdotes étudiantes inspirent les péripéties à l'écran: «On avait un pote parano, certain que l'agent immobilier venait chez lui le week-end baiser des nanas. Il en était tellement persuadé que pour la blague on est allé un jour chez lui remplir quelques capotes avec du lait concentré », avant de surenchérir : « Il y a un autre pote qui était parvenu à décrocher son diplôme en recopiant la plaquette commerciale d'une entreprise ».
Dénué d'artifices ou de réminiscences nostalgiques, le script de Jean-Patrick et Laurent est un instantané :« On n'a pas réfléchi au sous-texte social, on venait de la vivre cette histoire, celle de plusieurs mecs qui ne savent pas vraiment ce que va être leur futur, qui sont parfois un peu cons, souvent insouciants, et qui s'en prennent plein la gueule ». De part ses influences, c'est naturellement que le long-métrage transpose des dualités déjà chères à John Hugues dans son récit, tel ce vaste fossé qui distancie les jeunes étudiants du monde adulte, représenté ici au travers d'une galerie de seconds rôles grandiloquents: « Les personnages principaux, ceux de la fac, sont vrais et proviennent d'une réalité tandis que les personnages secondaires sont de grosses caricatures, pleines de stéréotypes, car ça nous amusait et qu'ils étaient prétexte à la comédie » se souvient Jean-Patrick, « Du coup on les chargeait à fond ! ». C'est ainsi qu'à l'écran défilent Patrick Sébastien dans le rôle d'un ancien légionnaire psychopathe, Thierry Lhermite en flic ripoux ou Roland Giraud en instituteur lugubre. Des représentations aux traits démesurés au même titre que le surveillant de classe dans Breakfast Club ou le directeur de lycée dans La Folle Journée de Ferris Bueller. « Quand j'écris j'ai toujours une approche plus américaine, et au moment de me lancer sur un film je me rend compte que je n'ai pas un ADN français en matière de cinéma ». Une vision du septième art consciente de son ambivalence : « Le genre existe en France mais notre culture reste la grosse comédie largement différenciée du cinéma dit d'auteur, un constat qui était déjà présent à l'époque du film. Malgré ses inspirations, Quatre garçons plein d'avenir appartient aussi à un courant déjà existant par chez nous, celui symbolisé par des films comme Les Sous-Doués, A nous les petites Anglaises ou La Boum ». Face à la difficulté d'exporter des idées, il n'est pas plus étonné par l'accueil des critiques: « On s'est fait démolir mais je crois que je m'y attendais. Et puis il suffit de remarquer qu'il y a deux types de critiques: la critique constructive qui connaît le genre et celle qui ne le connaît pas, ou qui tout simplement ne l'aime pas », à quoi il préfère juger sur place : «Les gens continuent de se marrer en le voyant et tant d'années après sa sortie il est encore bien vivant auprès des jeunes ».
Une fois l'aventure terminée, Jean-Patrick décide de creuser dans cette voie, non sans difficultés : «J'ai voulu me trouver un agent mais je n'ai pas réussi, personne ne voulait d'un type qui avait co-écrit Quatres garçons plein d'avenir [rires]. C'était l'époque Canal et ce n'était pas franchement leur cinéma ». Il reprend alors son poste comme acheteur de film mais persévère et replonge dans l'écriture. S'en suivent des scénarios (Les Dents de la Nuit), mais aussi des co-réalisations (Vilaine, la série Kaboul Kitchen). Il est aujourd'hui en pleine post-production d'un long-métrage intitulé Arès, sa première incursion en solitaire comme réalisateur. Près de vingt années se sont écoulées depuis Quatre Garçons plein d'Avenir mais pour Jean-Patrick demeure l'envie de s'affranchir en toute conscience de certaines barrières : « C'est un petit budget dans la veine artistique des Fils de l'Homme mais pour lequel je reste lucide: je dois m'adapter à la situation du cinéma de genre en France. Il me faut à nouveau trouver le juste milieu, ne pas être trop radical ». Un film que l'on espère plein d'avenir.
Nicolas Milin