Dalton Trumbo : quand cinéma et réalité se rencontrent
Le 26 avril dernier sortait Dalton Trumbo, histoire vraie d’un scénariste accusé d’être un dangereux communiste, avec dans le rôle titre Bryan Cranston. Même s’il pouvait paraitre peu original dans son traitement, ce film pose, peut-être sans le vouIl y a un peu moins d'un mois sortait Dalton Trumbo, histoire vraie d’un scénariste accusé d’être un dangereux communiste, avec dans le rôle titre Bryan Cranston. Même s’il pouvait paraitre peu original dans son traitement, ce film pose, peut-être sans le vouloir, des questions sur ce qu’est le cinéma, questions que peu de films posent finalement. D'ailleurs, on y repense aujourd'hui.
Bien sûr, l’intérêt de ce film réside principalement dans l’histoire de Dalton Trumbo, cet homme extraordinaire qui s’est opposé à une bonne partie du monde du cinéma et même à tous les Etats-Unis. Scénariste prolifique et respecté depuis les années 1940, Dalton Trumbo s’affirme dans l’après-guerre comme communiste, idéaliste, ce qui passe moyennement bien auprès des autorités dans ce contexte de guerre froide. Il est, en compagnie de quelques uns de ses camarades qui formeront les « dix d’Hollywood », placé sur une liste noire leurs interdisant d’exercer leur métier. Nous suivons alors les péripéties traversées par cet homme pour retrouver sa place dans le cinéma et dans la société.
Comme la plupart des biopics ce film ne brille pas vraiment par la personnalité de sa réalisation. Tout est propre, trop propre, mais suffit amplement à mettre en valeur cette histoire qui parle d’elle-même, les plans sont simples, sans réels effets esthétiques, et se concentrent sur l’aspect narratif. Les acteurs sont irréprochables: on aime Dalton et on hait la diabolique Hedda Hopper (Helen Mirren). Pour autant, même si on peut percevoir ce film comme la simple mise en image d’une histoire digne d’intérêt, il semble que l’on puisse pousser la réflexion un peu plus loin.
Tout d’abord, il n’est pas impossible que vous ressortiez de la séance en vous demandant à quoi sert le cinéma ? Ce film montre, avec cynisme, que la plupart des hommes qui FONT véritablement le cinéma n’y voient qu’un instrument, un outil. Une façon de s’enrichir et de s’octroyer du pouvoir, bref tout ce à quoi la vision idéaliste de l’art semble s’opposer. Le cinéma a une dimension de manipulation c’est certain, et c’est clairement dévoilé ici pour ceux qui n’étaient pas encore au courant. Dans le film il est aussi le centre d’un combat moral et politique. Le simple fait d’aller voir un film est même assimilé à un véritable geste militant à un certain moment. L’illusion de « l’art pour l’art » est donc bien rapidement balayée au profit d’une vision beaucoup plus noire (terre à terre) de ce qui est ni plus ni moins qu’une industrie ayant le profit pour objectif.
Mais au delà de la question du rôle du cinéma, cette histoire peut même nous amener sur des réflexions encore plus profondes. En nous montrant une partie de l’Histoire du septième art, ce film nous rappelle que le cinéma est fait par des hommes et qu’en ce sens il ne peut s’extraire de la réalité. Les acteurs sont des hommes, les producteurs, les réalisateurs, et les spectateurs aussi, le cinéma est humain, et répond aux aspirations et aux contraintes des hommes.
Un film ne peut donc jamais être séparé du contexte dans lequel il a été fait. Où se trouve alors la frontière entre le cinéma et la réalité ? Par ce film on comprend que ces deux éléments sont très loin d’être indépendants, l’un influençant constamment l’autre. Le cinéma est sans doute l’art qui permet le mieux de représenter ou d’imiter le réel, et pourtant nous ne cessons de l’en éloigner en racontant des histoires. Mais en fait le réel n’est jamais très loin, il apparait toujours, caché ou non. Si Dalton Trumbo n’avait pas vécu ce qu’il a vécu, quelle aurait été son oeuvre ? On a tendance à penser que l’art nous permet de nous évader de la réalité, mais il en est imprégné jusqu’au coeur.
Peut-être nous sommes nous un peu égarés, peut-être que ce film n’avait pas pour but de nous faire réfléchir à ce sujet. Mais la neutralité de la réalisation laisse libre cours à toute interprétation, et finalement peu importe l’intention première. A défaut de véritablement nous avoir interrogé sur les convictions politiques des personnages, qui restent cantonnés à quelques idées vagues et un peu clichées, ce film nous aura au moins permis de nous rappeler toute la complexité et l’ambiguïté du cinéma.
Georges Louche-Derval