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Le « Pokemon Shokku » : quand Pokémon faisait trembler la planète…

Nombre d’entre vous ont entamé leur capital soleil tout l’été pour attraper des Miaouss et autres Roucool sur PokémonGo. D’autres ont regardé de haut les joueurs en les traitant de zombies régressifs et grégaires. Une controverse en bois qui n’a pas
Le « Pokemon Shokku » : quand Pokémon faisait trembler la planète…

Pourtant, Pokémon n’a pas toujours été le navire insubmersible que nous connaissons aujourd’hui. Un an après sa création en 1996 par Satoshi Tajiri, tout aurait pu s’arrêter. La polémique, cette fois, était sérieuse. La faute au « Pokemon Shokku » (choc Pokémon en français), un incident aux implications insoupçonnées. Rockyrama revient sur le phénomène qui secoua le monde.  


Mardi 16 décembre 1997, rien ne laisse présager du tumulte qui va traumatiser le Japon. A 18h30, les enfants attendent impatiemment le nouvel épisode de leur anime préféré. Diffusé sur plus de 37 chaînes de télévision, le programme est regardé par plus de 25 millions de foyers. Une foule de mouflets est donc devant les écrans lorsque l’épisode « Denn? Senshi Porigon » (que l’on peut traduire en français par « Le soldat virtuel Porygon ») débute. Les héros y découvrent que le système de transfert des Pokéballs est HS. La Team Rocket a volé un Porygon, Pokémon virtuel, afin de subtiliser les Pokémon depuis le cyberespace. Ce monstre est un amas de polygones bicolore, qui n’est pas sans rappeler les gommes rose et bleu censées effacer l’encre. Il rencontre pour la première fois le public. Personne ne le sait encore, mais ce sera la dernière. 

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Vingtième minute, un programme anti-virus attaque dans le monde virtuel Sacha et ses acolytes. Pikachu arrête les missiles en lançant des éclairs, provoquant une énorme explosion de flashs rouges et bleus. La scène ne dure que cinq petites secondes. En ce minuscule laps de temps, elle va parasiter le cerveau de centaines de spectateurs. Peu après la fin de l’épisode, les hôpitaux font face à une vague de malaises, vomissements et convulsions inexpliqués. On parle d’au moins 700 personnes, des écoliers pour la plupart et quelques parents. Plus de 200 personnes (de 3 à 58 ans) sont gardées en observation à l’hôpital pendant plus d’une journée à cause de leurs symptômes épileptiques. Le phénomène détient à ce jour le record du Livre Guinness du nombre de crises épileptiques causées par une émission TV.


L’info remonte depuis les hôpitaux et fait le tour du monde. Le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales forme une cellule de crise. Les chaînes japonaises qui ont diffusé l’épisode arrêtent la retransmission de la série et présentent leurs excuses. De plus, elles se coordonnent pour lancer une investigation sur la cause des crises, mobilisant médecins, psychologues et experts en animation. De son côté, la police mandate des enquêteurs pour auditionner les créateurs du dessin animé au sujet de son contenu et de la façon dont il est réalisé. Nintendo ne tarde pas à se désolidariser de la société d’animation Shogakkan Production Company afin d’endiguer la baisse éclair de son action.


Le problème derrière tout ça, c’est le « paka-paka ». En japonais, c’est le terme en vigueur pour désigner une technique d’animation commune avant l’apparition des effets numériques. Jusqu’à la fin des années 90, si vous vouliez faire briller ou scintiller quelque chose, on utilisait le « paka-paka ». On illumine par l’arrière l’image et en alternant les couleurs vives, on produit un effet stroboscopique. Tout repose sur le clignotement. Si sa fréquence est trop élevée, les scientifiques craignent des répercussions sur la santé. Pour vous donner un ordre d’idée, le « Pokemon Shokku », puisque tel est le nom qui émerge dans les journaux nippons, a été déclenché par des clignotements d’une fréquence de 12 Hz, pendant cinq secondes environ, avec une cadence de 10,8 images par seconde. En 1994, des chercheurs britanniques avaient préconisé de limiter l’usage des effets de lumière de ce type à trois images par seconde. Le risque, c’est l’épilepsie photosensible. Celle-ci se déclenche chez les individus prédisposés lorsqu’un stimulus provoque une décharge électrique synchronisée de toutes les cellules nerveuses se trouvant dans les aires visuelles du cerveau à la fois.


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Il y a aussi une dimension psycho-sociale à l’incident. L’épisode a généré une forme d’hystérie collective. En effet, seule une minorité des enfants a été diagnostiquée pour une réelle épilepsie photosensible. Sans cause organique avérée, les psychologues ont déduit que les symptômes de la majorité des individus étaient somatiques. C’est donc par suggestion émotionnelle que les crises se sont propagées. Les chercheurs en psychologie estiment qu’une telle contagion est possible si les patients sont soumis au même environnement socio-culturel. Après avoir vu l’épisode, en apprenant la nouvelle du « Pokemon Shokku » ou en côtoyant une personne atteinte de crise, ces japonais ont eu une intense réaction au stress.


Conséquence directe de l’affaire, de nombreux pays s’inquiétèrent des effets des dessins animés sur la jeunesse, France y compris, et donnèrent à ceux qui dénoncaient la violence dans ces programmes un argument supplémentaire en faveur du contrôle. De nouvelles normes furent produites par les experts japonais. La vitesse des clignotements est limitée ainsi que leur durée d’apparition à l’écran. Les rayures et autres tourbillons ne peuvent plus occuper la majorité d’un écran. Bien qu’il n’y ait aucune réglementation à ce sujet en France, ces recommandations sont devenues des références. Depuis, les chaînes de télévision contrôlent elles-mêmes si les dessins animés qu’ils diffusent les respectent.


Logiquement, Pokémon fut suspendu d’antenne. Les fans déboussolés s’inquiétèrent et envoyèrent des milliers de lettres et de dessins de soutien. Des rassemblements sporadiques eurent lieu, durant lesquels la chanson du générique était entonnée pour réclamer le retour de Pokémon. Quatre mois d’interruption furent nécessaires pour reformater la série. L'épisode incriminé n'a jamais été rediffusé, que ce soit au Japon ou à l'étranger, même en DVD ou en VHS. Porygon n’est plus jamais apparu dans un épisode de la série, seulement dans les jeux vidéo. Injustice totale, car c’est bien le personnage de Pikachu qui était à l’origine du problème. Pour ne pas sacrifier la star, il servit de bouc-émissaire. Et le temps fit son affaire. Le choc Pokémon tomba dans l’oubli. Seuls d’autres cartoons (South Park, Les Simpsons ou Drawn Together) firent des clins d’œil humoristiques à l’événement.


 Le plus incroyable dans cette histoire c’est que, suite au choc Pokémon, l’US Army s’est intéressée à un nouveau moyen de neutraliser les soldats ennemis : créer un rayon qui déclencherait des convulsions épileptiques. Wired a exhumé un document déclassifié provenant du National Ground Intelligence Center (agence de renseignement scientifique et technique pour l’armée américaine) qui cite le phénomène comme étant à l’origine de l’idée de développer un armement envoyant des pulsations électromagnétiques. En surexcitant le nerf optique, il serait possible de produire une interruption momentanée du contrôle musculaire des cibles, donc de les immobiliser. Le défi pour l’armée est que 100% des individus soient sensibles à ces pulsations. Il semble que des expérimentations ont eu lieu en ce sens. A cause de Pokémon, on a bossé sur un rayon paralysant ! Une arme qui a habité notre imagination, présente dans de nombreuses œuvres, de la science-fiction aux récits d’espionnage !


Récemment, Porygon a de nouveau fait parler de lui. Il est l’un des Pokémon les plus rares sur Pokémon Go. En juillet de cette année, en Australie, dans la banlieue de Rhodes, des rumeurs ont signalé qu’un Porygon était apparu. Des centaines de joueurs se sont alors rués sur une route très fréquentée, provoquant un dangereux mouvement de foule. Un fait d’armes qui vient encore nourrir sa légende.


Félix Lemaître