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Un animateur français à Tokyo : rencontres et ambitions

A 21 ans seulement, Alexandre Gomes intégrera en octobre prochain, le prestigieux studio d’animation OLM à qui l’on doit Berserk (la version de 1998), Pokémon, ou encore la majeure partie des adaptations animés basés sur les jeux-vidéos de Level-5.
Un animateur français à Tokyo : rencontres et ambitions

A 21 ans seulement, Alexandre Gomes intégrera en octobre prochain, le prestigieux studio d’animation OLM à qui l’on doit Berserk (la version de 1998), Pokémon, ou encore la majeure partie des adaptations animés basés sur les jeux-vidéos de Level-5 (Inazuma Eleven, Danball Senki et plus récemment Yokai Watch). 


Suite à ses études d’infographie et ayant déjà travaillé en tant que stagiaire dans l’entreprise Japonaise, revenons avec lui sur son parcours, ses influences et goûts en matière d’animation et sur sa vision de l’avenir de l’industrie nippone.


Pour commencer, raconte-nous un peu comment tu as débuté dans l’animation. As-tu toujours eu l’ambition de travailler dans ce secteur ou cela a-t-il plutôt été un concours de circonstances ? : 

 

"Mon intérêt pour l’animation remonte à il y a à peine 2 ans, je dirais. A la base j’étais plutôt porté sur le manga. J’ai été influencé par les œuvres d'Inio Asano (Bonne nuit Punpun), Naoki Urasawa (20th century boys), Takehiko Inoue (Real, Vagabond) ou encore Matsumoto Taiyo (Amer Beton, Ping Pong). Je dirais même que mon style de dessin est un mélange de toutes ces influences *rires*. En fait, tout est allé assez vite. Je suis tombé par hasard sur les animations de BahiJD (un étranger ayant travaillé sur les adaptations animées de Ping Pong, Space Dandy ou One Punch Man) et de mémoire, il était très jeune, à peine 23-24 ans. C’est surtout ça qui m’a surpris. Je n’avais jamais animé de ma vie et à partir de ce moment, j’ai commencé à apprendre en autodidacte et faire mes propres petites animations. De fil en aiguille, j’ai voulu continuer à faire ça en tant que professionnel. La même année j’ai donc postulé dans des studios d’animation (sans grand espoir). Je me plaisais à l’idée de travailler dans un studio d’animation Japonais. Le fait aussi qu’il n'y ait que très peu d’étrangers qui travaillaient dans ce secteur sur place m’avait donné encore plus de motivation. Je voyais ça comme une expérience et un défi personnel. Je voulais prouver qu’on pouvait partir de rien et travailler là bas en étant un gaijin, sans pour autant avoir fait d’écoles d’animation ou sans avoir de contacts dans le milieu. Mon stage chez OLM n’a été que la confirmation de mon envie d’en faire mon métier".

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As-tu travaillé sur des projets en France ?

 

"Aucun, non. Je n’ai pas vraiment cherché à travailler en France, peut-être par la suite… Mais depuis le départ c’est vraiment l’archipel qui me branchait (autant le pays en lui-même que le secteur de l’animation locale)."

 

Regardais-tu l’animé Pokémon, étant plus jeune ?  

 

"Bien sûr ! Quand j’avais 6-7 ans. Je me souviens même être allé au cinéma voir le deuxième film. Cela dit, j’ai vraiment toujours eu plus de considération pour Dragon Ball.  Aujourd’hui je ne regarde plus vraiment, hormis un peu la dernière série XY&Z (la qualité de la réalisation est vraiment de très bonne facture) et les OVA « Origins » (par les studios OLM, Xebec et production I.G). Je ne suis pas spécialement un fan de Pokémon, en toute franchise, mais je dirais que la plupart des animateurs ne sont pas forcément des amateurs des séries sur lesquelles ils travaillent de toute manière". 

 

Certains épisodes ou scènes t’ont-ils marqué plus que d’autres ?  

 

"Le passage avec Salamèche que son dresseur abandonne sur un rocher sous la pluie et dont la flamme est en train de s’éteindre dans la première saison. Il y a aussi le discours de Mewtwo dans le premier film sur la recherche de soi et son combat contre Mew. J’aime bien les scènes plutôt tristes, en fait *rires*. "

 

Comment es-tu rentré en tant que stagiaire dans « LE STUDIO » qui fait Pokémon ?  

 

"C’était durant ma dernière année d’école d’infographie (BAC 3). On avait un stage à faire en fin d’année. Je revenais de mon premier voyage au Japon, l’année passée (en simple touriste pendant un mois) et mon désir de retourner dans ce pays s'intensifiait. Du coup, je m’y suis pris à l’avance. Avant même que l’année scolaire ne commence, j’avais déjà préparé un portfolio avec tous mes travaux que j’avais traduit en Anglais et en Japonais. J’ai enchaîné en faisant aussi un rirekishô (CV japonais) et une lettre de motivation.  Mon école étant principalement portée sur la 3D et l’infographie, j’ai décidé de faire ma demande de stage aux studios d’animation qui avaient une section 3D, (comme ce fut le cas chez OLM) car même si c’est la 2D qui m’intéressait le plus, il faut savoir que c’est assez compliqué d’aller travailler dans les studios d’animation purement 2D au Japon. On y trouve très peu d’étrangers. J’ai donc préféré mettre toutes les chances de mon côté. J’ai envoyé ça à plusieurs studios d’animation et j’ai eu 2 ou 3 réponses positives. Mon choix s’est porté automatiquement vers OLM. J’avais 19 ans à l’époque et j’étais tellement surpris que le studio de Pokémon me réponde pour passer un entretien... C’était quelque chose d’inimaginable pour moi (Au départ j’avais vraiment postulé sans trop y croire). Du coup j’ai eu un entretien sur Skype en anglais avec le staff de OLM et Marc, un salarié français qui travaille là bas (et qui s’est avéré être mon maître de stage par la suite). On peut dire que c’est surtout grâce à lui que j’ai pu réaliser ce stage et je le remercie".

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En quoi consistait ton stage chez OLM ?

 

"Mon stage s’est déroulé sur 3 mois, à OLM digital. C’est la branche full digital de l’entreprise qui s’occupe de la 3D, des décors, des FX, du compositing etc… Tout sauf de la 2D et donc de l’animation des personnages. J’étais dans la section recherche et développement en tant que « technical artist ». Mon but était de tester des outils développés par la team R&D et de créer des images/animations avec. On ne bossait donc pas directement sur les séries de l’entreprise. J’alternais entre la 3D et la 2D. Je suis arrivé au bon moment dans l’entreprise car OLM venait tout juste d’acheter les licences du logiciel d’animation Toon Boom. Il faut savoir qu’encore aujourd’hui, la grande majorité de l’animation japonaise est dessinée traditionnellement, sur du papier, ce que je trouve extraordinaire. Mais quelques studios commencent doucement à se mettre au numérique, afin de réduire les coûts et le temps de production, principalement. 

 

Le problème étant que les animateurs Japonais ont beaucoup de difficultés à passer au numérique. Il paraît que ça a été assez catastrophique de ce côté-là chez OLM.  

 

"Comme je savais dessiner sur PC, j’ai pu tester ce logiciel avec comme objectif de voir s’il était possible de réaliser une animation dans le style nippon avec Toon Boom qui est, à la base, plutôt porté sur un style d’animation à l’américaine (à base de rig/bones sur les personnages par exemple).  Suite à ça, j’ai rédigé un rapport pour soulever les problèmes et noter mes remarques sur le logiciel, qui a ensuite été mis à disposition pour les animateurs du studio. J’ai aussi eu la chance de rencontrer le staff de Toon Boom Canadien qui était de passage à Tokyo". 

 

Comment les Japonais travaillent sur un animé qui compte autant d’épisodes (plus de neuf-cent à l’heure actuelle) et où il est difficile d’imposer une certaine vision créative, quand on connaît le contrôle d’une grosse entreprise comme la Pokémon Company sur le produit final ?  

 

"J’ai principalement pu observer des animateurs 3D et des décorateurs travailler dessus.  Même si la Pokémon Company a une emprise certaine sur la série animée, je trouve que cette dernière se détache suffisamment du jeu vidéo et qu’elle a sa propre identité. Je les sens assez libres dans ce qu’ils font. Depuis que monsieur Katô (team KATO) est producteur de l’animé, la série a subit un bond de qualité à tous les niveaux". 

 

En octobre, tu intégreras la boîte en tant que « digital sakuga » en quoi consiste cette tâche exactement ?  

 

"Alors avant tout, il faut savoir qu’il y a eu une période d’un an où j’ai dû retourner en France à la fin de mon stage. Mon embauche ne s’est pas faite immédiatement. J’avais postulé à la fin de mon stage pour continuer à travailler chez OLM dans la section R&D mais je n’ai pas été retenu *rires* (ce qui explique que j'aie été embauché dans une autre section au final).  J’en ai profité pour bosser mes dessins et mon Japonais pendant une année avant de retourner au Japon (toujours en solo) et passer des entretiens dans plusieurs studios d’animation. (Xebec, Liden films, Bang Bang animation, Nexus, Emon et bien sûr OLM). J’ai eu des réponses positives chez tous les studios suite aux entretiens (hormis un) et l’ironie du sort a été qu’au final je sois accepté chez OLM et que je finisse chez eux. Peu de temps après mon stage, ils ont ouvert une section digital sakuga (sakuga étant le terme générique pour dire « animation » ou « dessin » en japonais). C’est directement en rapport avec ce que je faisais durant mon stage : l’animation full PC, en l’occurrence via l’intermédiaire du logiciel Toon Boom. Quand j’ai vu ça, je me suis dit « Ah ok ce poste est fait pour moi ! ». C’était l’occasion rêvée de tenter ma chance. Il y a pour l’instant très peu de membres car les animateurs traditionnels Japonais ont beaucoup de mal à se mettre au PC comme j’expliquais précédemment. Du coup, concrètement, mon travail consistera à faire les poses clés des animations à la tablette graphique. Cette section s’occupe principalement de l’anime Pokemon et Yokai Watch pour l’instant. Mais cela ne représente qu’environ dix pour cent de l’animation des épisodes. Le reste étant fait dans la section « sakuga » classique". 

 

Quels animés ou films d’animation t’ont particulièrement impressionné au point de vouloir faire partie de ce milieu ?  

 

"Il y en a évidemment beaucoup, mais la série qui m’a le plus marqué reste Ashita No Joe 2 de Osamu Dezaki. La puissance de cette œuvre est vraiment à part. Il paraît même que Dezaki allait voir de véritables matchs de boxes pour s’inspirer. J’adore le manga et le trait de Tetsuya Chiba mais la version animée est tout aussi bonne, voire supérieure.  Cette œuvre a impacté le Japon entier et on comprend vite pourquoi. Joe Yabuki est sûrement mon personnage de fiction préféré. Au début, c’est un bon à rien, tout le monde lui crache dessus mais malgré tout, il plaisante toujours et continue de se relever encore et encore. Il y a un vrai parallèle à faire avec le Japon d’après-guerre. Ensuite, il y a Amer Beton de studio 4°C. C’est tout simplement mon film d’animation préféré. Dans le même genre, il y a l’anime Ping Pong réalisé par Masaaki Yuasa . Les œuvres de Taiyo Matsumoto (ce mec est vraiment un génie) sont dingues et leurs adaptations en animés sont vraiment au top. Je rêverais de travailler sur l’une d’entre elles qui n’ait pas encore été traitée. « Aoi haru / Blue Spring », par exemple. Pour finir je dirais Gurren Lagann, pour les nombreuses auto-références à l’animation Japonaise de la série et les sensations de puissance « le Nekketsu », à leur paroxysme. Regardez cette série et votre âme se mettra à brûler *rires*. "

 

On sait qu’au Japon, certains animateurs sont capables d’animer à eux seuls toute une séquence d’un épisode ou d’un film, on appelle ces séquences du Sakuga. C’est une compétence assez propre à l’animation Japonaise. Y a-t-il un maître du genre qui a une place à part pour toi ? Qui placerais-tu au sommet ?  

 

"Il y en a TELLEMENT. Les Japonais ont vraiment le sens du mouvement et de la mise en scène. Leurs traits, qui peuvent paraître parfois assez simplistes, sont placés à la perfection. C’est là toute la difficulté d’assimiler le style Japonais qui est bien plus subtile qu’il n’y parait.  Allez, si je devais en choisir un tout de suite, ça serait Yoshimichi Kameda. C’est simple, je regarde une de ses vidéos « MAD sakuga » (des sortes de best-of) et je déprime instantanément. *rires*. Travailler avec de grands talents de l’animation peut être excitant mais aussi assez déprimant, si l’on essaye toujours de comparer ses travaux aux leurs… ". 

 

Thomas Romain, Stanislas Brunet… De plus en plus de Français vont travailler au Japon. Pourquoi à ton avis ? Le tout récent Kickstarter lancé pour la série Lastman montre bien à quel point il reste difficile de faire des séries d’animations ado/adulte en France et que les investisseurs habituels sont frileux. Penses-tu que cela évoluera avec le temps ?

 

"L’animation japonaise a vraiment une touche particulière. Je pense que la nouvelle génération (dont la mienne) a été élevée avec. Et sans s’en rendre compte, un peu naïvement, elle a commencé à assimiler les mimiques, le rythme, les ficelles et le style des animés, jusqu'à s'être habituée à la culture Japonaise.  En France, on a encore cette image de « dessin animé = enfant », que je trouve assez étrange car ce n'est ni plus ni moins qu’un moyen d’expression comme un autre. Je pense que ça tend à poser problème pour faire des séries d’animation plus adultes. Mais j’ai l’impression et l’espoir que ça va bientôt évoluer de ce côté-là. Il suffit d’un seul succès pour que ça ouvre la voie à plein d’autres talents et que ça prouve définitivement que oui, il y a un public adulte pour l’animation dans l’hexagone".

 

Thomas Romain (toujours lui) racontait dans plusieurs interviews que la majorité des grands animateurs Japonais se faisait vieillissante et que la relève étant peu formée, pouvait justifier le niveau faiblard de certaines productions récentes (Dragon Ball Super ou Sailor Moon Crystal, par exemple). Penses-tu que le fait d’étendre le recrutement d’animateurs au-delà de l’archipel permette de combler cette baisse de niveau ?

 

"Je pense que c’est un peu tôt pour y répondre. C’est un secteur très centré sur lui-même. Pour preuve, les sites de recrutement proposant des postes 3D sont traduits en anglais, mais ceux en 2D sont uniquement en Japonais.  Par ailleurs, je n’ai jamais vraiment ressenti que le Japon ait spécialement besoin de nous. On apporte surtout un vent de fraîcheur dans le studio, je dirais. Mais de là à dire qu’on va relever le niveau des productions nippones… J’en suis pas convaincu. Cela dit, le pays commence effectivement à être en pénurie d’animateurs et n'est pas contre le fait de recruter des étrangers. En général, les français ont plutôt une bonne image. Par exemple, lors de mon entretient chez Xebec, j’ai pu discuter avec l’animateur Habara Nobuyoshi qui disait faire des partenariats avec des écoles françaises à Angoulême dans le but de faire venir des animateurs Français au Japon dans les années à venir". 

 

Y a-t-il une production sur laquelle tu souhaiterais travailler à tout prix ?

 

"Je pense que ça serait Naruto. Je suis un grand fan du chara-design de Tetsuya Nishio sur la série. J’ai connu la saga étant môme et le fait de pouvoir participer à sa création serait une excellente perspective. Malheureusement, il reste très peu d’épisodes et elle va sûrement se finir sans moi".

 

Question piège pour conclure, penses-tu que Sacha sera un jour maître Pokémon ?  

 

"Si la série se termine un jour, mais vu les récents épisodes de XY&Z, c’est pas gagné. Enfin bon, on va dire que la véritable force de Sacha c’est le chemin qu’il a parcouru… "

 

Propos recueillis par Charles Cochard

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