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Les singes au cinéma : de King Kong à la Planète des Singes

En juillet prochain arrivera sur les écrans la quarante sixième adaptation de Tarzan. Ces dernières décennies le personnage créé en 1912 par Edgar Rice Burroughs ne s'est pas fait absent, de Christophe Lambert dans Greystoke à Casper Van Dien dans
Les singes au cinéma : de King Kong à la Planète des Singes

En juillet prochain arrivera sur les écrans la quarante sixième adaptation de Tarzan. Ces dernières décennies, le personnage créé en 1912 par Edgar Rice Burroughs ne s'est pas fait absent, de   Christophe Lambert dans Greystoke à Casper Van Dien dans Tarzan et la Cité Perdue, ou encore le film d'animation éponyme sorti en 2013.


Malgré tout, on reste bien loin des apparition annuelles et multiples de l'homme singe dans les années 30 et ce jusqu'aux années 60 qui, à la manière de nombreux personnages archétypaux, fut exploité à outrance. Au-delà de l’icône et du mythe, ce sont aussi les primates qui nous fascinent, eux qui occupent les écrans depuis bien longtemps, façonnant à leur guise la culture populaire et les questionnements inhérents à leur condition et plus encore à la nôtre.


Pour en discuter et tenter d'éclaircir le sujet, Julien Dupuy, journaliste cinéma spécialisé dans les nouvelles technologies, et Victor Narat, primatologue spécialiste des grands singes, ont accepté de partager leur point de vue.

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La plus célèbre, mais surtout fondamentale, de ces apparitions remonte à 1933 avec la sortie de King Kong mis en scène par Merian Caldwell Cooper et Ernest Beaumont Schoedsack. Un film emblématique pour lequel Julien Dupuy y voit davantage qu'une simple avancée artistique : « King Kong est le premier héros, ou anti-héros, du grand écran qui soit totalement artificiel et photo-réaliste. C'est aussi un film qui a réussi à bluffer toute l'industrie et les médias à l'époque ».


Le film transforme dès lors une industrie du cinéma encore toute jeune et s'inspire notamment d'une œuvre d'art française, comme l'évoque Victor: « King Kong ne vient pas de nulle part. Au milieu du XIXe siècle, le sculpteur français Emmanuel Fremiet a réalisé une sculpture d'une femelle gorille qui enlevait une femme. Beaucoup ont pensé qu'il s'agissait d'un mâle, la sculpture fit scandale, et ces histoire de singes qui enlevaient des femmes se sont répandues ». Un scandale qui entraîna la destruction de cette même sculpture en 1859 et il fallut attendre près de 30 ans, en 1887, pour que l'artiste ne réalise une nouvelle version de cet « enlèvement », celle fois-ci saluée tandis qu'entre-temps fut publié « De L'Origine des Espèces » de Charles Darwin. L'influence de l’œuvre de Emmanuel Fremiet sur le futur film américain est tel que certains détails de la statue sont troublants, car outre l'idée principale d'une femme kidnappée, le gorille de Fremiet est aussi marqué à différents endroits par des impacts de balles. 

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Dès sa sortie en 1933 King Kong devient rapidement le point d'encrage d'un cinéma populaire où le singe trouve souvent sa place, et ce dans tous les registres. Pour permettre cela, une grande diversité de techniques vont être employées du XXème siècle à aujourd’hui afin de le représenter à l'écran de diverses manières, qu'elles soient réalistes ou imaginatives, mais avec généralement cet attrait américain qui façonnait déjà King Kong : impressionner et émerveiller le public.


Après l'évolution selon Darwin, celle du singe au cinéma est elle aussi en perpétuel mouvement et demeure toujours d'actualité. La performance capture est une technique de plus en plus employée dont le primate fut à nouveau l'un des initiateurs en 2005 avec la nouvelle version de King Kong signée Peter Jackson. C'est ainsi que l'acteur Andy Sirkis, fidèlement attaché à la technologie, interprète le singe géant. S'il n'est pas le premier film à en faire usage (Gollum dans Le Seigneur des Anneaux, Beowulf, …), il est celui qui servira de transition nouvelle dans la représentation du singe à l'écran. Outre l'actualisation du mythe (qui n'avait plus été abordé depuis 1976), c'est aussi dans sa comparaison avec un autre blockbuster sorti quatre ans plus tôt, à savoir le remake de La planète des singes de Tim Burton, que le long-métrage marque son avancement. Nous étions en 2001 et dans cette nouvelle adaptation du roman de Pierre Boulle les singes étaient, pour l'une des dernières fois, incarnés par des êtres humains maquillés, recouverts de poils et de prothèses. Un choix singulier de la part de Tim Burton qui s'oppose au souhait des studios d’employer des images de synthèse, préférant opter pour un savoir-faire déjà employé dans le film original de 1968. Alors que King Kong de Peter Jackson s'attaque de plein pied aux nouvelles technologies, le film de Tim Burton marque la fin d'une époque.

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Bien qu'un grand nombre de techniques se substituent avec le temps, celle du dressage continue d'être employée. Sur ce créneau, le singe devient lui-même un outil de cinéma aux multiples usages     : du compagnon d'Indiana Jones au méchant singe de Link, mais aussi Ça Va Cogner, Very Bad Trip 2, ... Pléthore de films y ont fait appel mais les risques ne sont pas à négliger     :«     ce n'est pas anodin de dresser un singe, c'est traumatisant, ce sont des pratiques à bannir. On le fait peut-être de moins en moins mais on l'a fait pendant longtemps     », constate Victor. Un choix qui ne s'impose plus forcément compte tenu de l'évolution constante des effets spéciaux mais aussi de l'attrait que représente le singe pour ces techniques, comme l'exprime Julien     : «     «     En dehors de toute considération pratique comme par exemple la limite du dressage de ces animaux sauvages, le singe de par sa proximité avec l'homme, se prête bien aux effets spéciaux. Par exemple, le singe a principalement été représenté par des hommes costumés, le plus connu et génial ayant été Rick Baker : le silhouette de l'animal est plutôt humanoïde, les proportions de son visage ne sont pas si éloignées de celles d'un homme     .     » Joey Starr n'étant pas le seul à manquer de respect aux singes, diverses polémiques écharperont plusieurs films, non sans raison     pour Victor: «     Ce n'est pas le singe en tant qu’espèce qui est représenté, c'est vraiment un animal qui devient humanisé dans ses comportements, son apparence, et duquel on peux se moquer. Mais derrière, cela a des conséquences sur leur conservation, sur la manière dont le grand public peux comprendre les menaces existantes  en milieu naturel et comment la représentation à l’écran a aussi un rôle qui peut-être soit positif, soit négatif dans la manière dont le grand public perçoit le statut de ces espèces en danger. ça me semble vraiment majeur parce que ce n'est plus juste un spectacle de divertissement.     » Un propos peu souvent entendu et qui mérite d'être écouté     : «     Par exemple, la représentation des grand singes à l'écran a un impact sur la compréhension d’espèces grandement en danger. Car il faut le rappeler, toutes les espèces de grands singes sont aujourd'hui menacées.     » L'animal dressé devient un interprète parmi tant d'autres au point de perdre sa véritable naturalité. Face à ce dilemme moral et artistique, la figure cinématographique du primate trouve son équilibre à travers des effets visuels qui offrent un large éventail de possibilités, avec l'Homme au centre de celles-ci     :  «     Quand John Chambers conçoit des masques en mousse de latex pour La Planète des singes, ou quand Rick Baker conçoit des masques mécaniques pour Tarzan, ou animatroniques pour Gorilles dans la brume, ils peuvent se permettre de travailler à partir d'acteurs humains. Il en va de même pour le performance capture : Andy Serkis peut tout à fait avoir un comportement simiesque quand il joue César dans La Planète des singes : les origines.»  Le singe a toujours été au cœur de ces évolutions auxquelles Julien voit une explication     : «     De manière générale, les représentations à l'écran sont faites pour interroger l'homme soit dans sa spécificité, soit son originalité ou sa ressemblance avec le singe, qui peux amener à des contradictions car regarder un grand singe interroge sur notre espèce. Il y a toujours ce double jeu     : il nous ressemble beaucoup mais ce n'est pas un homme.     »

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Mais alors, King Kong n'était-il pas déjà révolutionnaire, presque engagé, dans sa manière de représenter le singe? Possible... en tous cas il le fut dans son apport au septième art     : «     Ce qui est important avec King Kong, c'est l'impact du film dans l'industrie, c'est là que ce chef-d’œuvre occupe une place particulière dans l'histoire du cinéma. Il est très probable que ce soit le film qui, avec Star Wars, a provoqué le plus de vocations de cinéastes ou d'artistes des effets spéciaux     », déclare Julien. Ainsi, les primates les plus connus auprès des cinéphiles ne sont généralement pas fait de chair et d'os, qu'il s'agisse des nombreuses versions de La Planètes des Singes ou de celles de King Kong. Et si ces grandes franchises appartiennent généralement au domaine de la science-fiction c'est car elles évoquent l'une des caractérisations majeures des primates au cinéma, miroir de leur statut dans notre société     : la domestication. Le propos devient pourtant ambivalent dans certains films, comme Link de Richard Franklin (1985), un film d'horreur dans lequel un véritable chimpanzé est employé pour dénoncer les limites et la malfaisance de la domestication et des expérimentations qui l'accompagne. A nouveau, l'image renvoyée au public est trouble, le singe ne devenant violent que quand il souhaite retrouver sa liberté, ou quand il inverse les rôles     : «     La franchise de La Planètes des Singes est intéressante à la question de l’accès aux ressources entre l’espèce a priori dominante, l'Homme, et une autre espèce. Ces films nous montrent comment cet accès aux ressources et ce pouvoir de domination peux être inversé. Et si on regarde l'actualité ce sont les questions qui se pose, tel l'homme qui accède de plus en plus aux ressources mais quel place il laisse à d'autres espèces, dont les grands singes, et comment rééquilibrer un rapport de force la dedans. Le fond du sujet est pour moi assez semblable, évoqué dans La Planète des Singes par une inversion du rapport de domination     », constate Victor.


Face aux récits de fiction et aux effets de mise en scène, le documentaire peux apparaître comme le représentant d'une réalité aux enjeux concrets. Cependant, Victor garde un regard critique: «     Les documentaires, de manière générale, ont tendance à mettre l'animal dans une nature soit disant vierge ou face à un humain très impactant. Il faut savoir que ce n'est pas forcement les actions directes des populations locales qui menacent les grands singes, c'est plus un marché global, des sociétés forestières, du braconnage commercial pour la vente et l'export,... voilà ce qui menace davantage que les modes de vie traditionnels d'êtres humains qui vivent à proximité des singes depuis très longtemps. Cet aspect est encore peu traité et peux encore biaiser notre perception des menaces réelles.     » Les angles d'approche varient tout comme le parti-prit, le message ou le public concerné     : «     Chimpanzés c'est fictionnel, on suit un bébé chimpanzé mais ce n'est pas toujours le même à l'écran. L'élément central serait d'essayer de découvrir comment vivent ces animaux en milieu naturel, c'est là le point qui devrait être important dans la distinction entre le documentaire et le cinéma. Je pense que les documentaires ont souvent une valeur esthétique et exotique, ils veulent faire voyager le spectateur dans une nature soit disant vierge qui n'existe pas, car par exemple, là où il y a des grands singes il y a toujours des hommes à proximité.     »


Réalisme bluffant, exploits techniques et créations infinies, le cinéma populaire, et souvent de l'imaginaire, a depuis toujours progressé en parallèle de techniques datées et vieillissantes. La représentation du singe continuera d'être à n'en point douter au cœur de ces évolutions cinématographiques, tout comme son utilisation actuelle qui nous mène à de nouvelles prouesses, comme nous l'explique Julien     : «     Juste en terme d'effets spéciaux: aujourd'hui, l'enjeu de ce que l'on appelle encore effets spéciaux est la captation des mouvements d'un humain (faciaux et corporels) et la reproduction photo-réaliste de cet humain. C'est un défi extrêmement difficile à remporter, même si je ne peux douter un seul instant que nous nous dirigeons à grands pas vers cette nouvelle étape.     Mais en attendant ce jour prochain, le singe est un bon compromis pour aller dans ce sens : sa proximité avec l'humain fait que sa reproduction numérique reste un exploit technique pour tous les spectateurs. »


Nicolas Milin