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Nanarland : déjà dix années de vannes et de trésors

Nanarland est un joyaux du web français, un site imaginé par une poignée de potes dans le but de rendre hommage à un genre à part entière, le nanar.
Nanarland : déjà dix années de vannes et de trésors

Nanarland est un bijou du web français, un site imaginé par une poignée de potes dans le but de rendre hommage à un genre à part entière, le nanar.


Des dialogues oubliés devenus cultes, une émission sur le web, des projections dans la France entière, un beau livre: en dix années, Nanarland aura eu le temps de se faire connaître et reconnaître (tant du public que de la profession) pour finalement devenir un incontournable.


Régis Brochier est l'un des membres fondateurs de Nanarland, et entre deux journées de montage pour un nouveau projet qui sera diffusé à la rentrée sur Arte Creative, il a accepté de répondre à nos questions. 


Qu’est ce qui fait un bon nanar ? Quel est leur point commun ?


"Le nanar est une notion assez subjective. La définition de base serait que c'est un film tellement mauvais qu'il en devient drôle. Je dirais donc qu'un bon nanar est d'abord un film qu'on prend plaisir à regarder parce qu'il est raté, en opposition au navet cinématographique qui lui est seulement pénible. C'est aussi un film qui nous fait rire, ou nous stupéfie parce qu'il est foiré, contrairement au bon film. Je pense qu'un bon nanar peut aussi se qualifier par la distance qui sépare les intentions manifestes du réalisateur, de l'auteur ou du producteur, et le résultat visible à l'écran par le spectateur. Voilà en gros pour le « tronc commun ». Après, j'aime à penser que la « nanarophile » est étroitement liée à la cinéphilie, et que tout cinéphile a son nanar de prédilection. J'imagine qu'un fan de comédie musicale des années 50 va pouvoir citer une douzaine de films de ce genre et de cette époque qui le font marrer".

Les notions d’intention et d’échec commercial sont des composantes indissociables du nanar ? 


"A la première proposition, la réponse est oui : un nanar n'est par définition jamais intentionnel. C'est forcément un film que le spectateur ne reçoit pas de la manière imaginée par le réalisateur. Il y a cependant des films « faux amis », où l'on sent du second degré de la part des réalisateurs. On peut penser à Sharknado, ou à toute cette catégorie de film qui joue consciemment avec les codes du nanar. Je pense à toutes ces productions dans la lignée des films Troma, par exemple, qu'on désigne, nous, comme des « nanars volontaires » qui sont finalement des comédies.


Et là la frontière peut paraître ténue, mais ce qui différencie les nanars des comédies, c’est justement l’intention. Dès le départ, les comédies choisissent de faire rire selon certains codes. Alors que les nanars avaient des intentions artistiques souvent différentes. Et du côté de ces comédies, deux types semblent émerger, les films méta qui jouent de ces codes avec compassion et un véritable amour de ce cinéma, et de l’autre des films qui se prétendent nanar mais dont on sent dès le début qu’ils étaient fait pour surfer sur cette vague.


Quand à la question sur l'aspect nécessairement fauché du nanar, la réponse est non :des nanars peuvent très bien réussir au box-office. Le Godzilla ou surtout l’Independance Day d’Emmerich en sont la preuve. Je me demande d’ailleurs comment il va s’en tirer avec Independance Day 2 et s'il va assumer un côté nanar absolu. Il avait en effet prétendu, après la sortie du film, qu’il avait volontairement emprunté des codes du genre. Je pense que c’était une échappatoire facile pour expliquer sa médiocrité. Mais comme la différence se fait sur l’intention, et que l’on n’est pas dans la tête de ces réalisateurs, impossible d’en être certains".

Pensez-vous que la formule de Godard, « la marge tient la page », peut s’appliquer ici ? 


"Godard a opposé cette formule à un journaliste qui le qualifiait de « marginal ». Je ne sais pas si cela s'applique au nanar. Si je devais prendre une allégorie par rapport à la page, je dirais que les nanars et le cinéma sont un peu le recto et le verso d'une même feuille. Ils sont indissociables. On nous demande souvent si le nanar est né dans les années 70/80. Si beaucoup des films présents sur Nanarland datent de cette époque, c'est parce qu'on y a eu facilement accès contrairement aux productions des décennies précédentes.


Toutes les composantes du cinéma se retrouvent dans le nanar. Pas seulement les films mais les affiches, les jaquettes, les pitchs, les titres. Un vrai fétichisme est d’ailleurs né de ces VHS.


Je pense en fait que le nanar est né avec le cinéma et que dès que des gens ont essayé de s'exprimer avec une caméra, il y a eu les bons, les moyens et ceux qui étaient à côté de la plaque. Les bons ont magnifié le medium quand d'autres ont créé des œuvres risibles malgré elles.


Pour revenir à la question, je pense qu'il faut aussi dissocier le nanar du cinéma Bis ou de la série B, qui eux peuvent soutenir cette notion de cinéma de marge qui fait avancer le 7ème art. Beaucoup des nanars qui nous font vibrer viennent d'un cinéma de série B, qui pour des raisons d'économie, et de mode de production était plus enclin à engendrer des films risibles. Mais les nanars n'en sont qu'une infime partie. Et l'on trouve aussi des nanars dans les gros films friqués (Battlefield Earth, par exemple, Xanadu, Megaforce dans les années 80). En gros, beaucoup de nanars viennent de la série B, mais peu de séries B sont des nanars".

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Y-a-t-il un marketing du nanar ?


"Oui, même si c'est un marché, et donc un marketing, de niche : certains éditeurs mettent désormais en avant sur leurs DVDs qu'il faut acheter leur film parce qu'il est tellement raté qu'il en devient drôle. Certains sites de VOD ont une catégorie « nanars ». Pour citer Simon Laperrière, auteur de « l'éloge de la Nanarophilie », c'est assez unique : quel autre produit peut-on vendre en mettant en avant le fait qu'il est complètement raté ? Met-on en avant du vin parce que c'est de la piquette ?


Il y a aussi un aspect marketing évident quand on voit qu'aujourd'hui on produit des films qui surfent volontairement sur les codes du mauvais film : The Asylum par exemple avec ses mockbusters cyniques (Transmorphers, Avengers Grimm, The Terminators...) et ses films de requins en images de synthèses. Après, sur ce dernier point on peut aussi se demander si c'est tellement différent des boites de prods qui inondaient les marchés de série B à l'époque des Drive In, et qui finalement étaient aussi dans une logique mercantile".


Il y en a autant qu'avant ? On peut penser que le nanar est le produit d'un autre temps.


"Je vais rester sur ma ligne du nanar indissociable du cinéma, Je pense que oui. Tant qu'il y aura des films, des studios, des réalisateurs, des auteurs, certains produiront des films ratés. Tellement ratés, qu’ils en seront drôles. Il faut seulement savoir où chercher et comment regarder. A Nanarland, on commence par exemple à avoir furieusement envie de se replonger dans le cinéma 90's, les sous-Le Cobaye et autres techno thrillers, les pseudo polars érotico-sulfureux.


Aujourd'hui, on manque de recul pour les films des années 2000 / 2010, mais on a déjà identifié des perles. Il faut faire le tri dans les films de requins en CGI que j'évoquais précédemment, il y a sans doute de vrais gros nanars dans le lot. Il y a aussi des ovnis comme The Room, Birdemic ou les films d'auteurs de Neil Breen.


La différence avec les décennies précédentes, c'est le Web : aujourd'hui quand un auteur sort une véritable pépite, il assiste dans le même temps à une explosion virale instantanée et prend conscience quasi immédiatement de l'aspect nanar de son film. Cela fausse tout :  Birdemic a engendré une suite, complètement nulle, parce qu'on n'est plus dans l’accident. Le réalisateur essaye juste de recréer ce qui a fait marrer les gens sur Internet pour buzzer une seconde fois, et le résultat est piteux. The Room, c'est autre chose. Le film n'a même pas 15 ans, et l'histoire du tournage du film de Tommy Wiseau, est déjà en train d'être adaptée par une major à Hollywood. C'est terrible en un sens, parce qu'on perd la notion d'auteur fou qui propose, dans son coin, une œuvre qui sera redécouverte avec le temps. Pour donner une échelle, on n'a revisité l'oeuvre d'Ed Wood qu'après sa mort, et « Ed Wood », le biopic de Tim Burton date de 1994. Il a été tourné 35 ans après Plan Nine from Outer Space. Aujourd'hui, on est dans une immédiateté qui fausse la donne et qui, il faut le dire, rend les réalisateurs incriminés cyniques".


Le numérique n’a-t-il pas aidé à son développement ? Ou au contraire la VHS y était plus favorable, avec des coûts de fabrication moindres ?


"C'est sûr que notre génération de cinéphiles est la génération « VHS et vidéoclubs ». Là où avant nous les « cinéphiles déviants » devaient aller à la recherche de films qui ne passaient qu'épisodiquement en salles, ou dans des cinémas de quartiers (certains passionnés faisaient des centaines de bornes en voiture pour voir tel film programmé dans telle ville), nous on a eu accès à des milliers de films d'un coup. Il était possible de louer Mad Max 2 ET Les Nouveaux Barbares et de se faire un double programme où le chef d'oeuvre éclairait le nanar (et inversement). Soudain, n'importe qui pouvait louer un film par jour pour un coût modique. On pouvait inviter des potes, relouer le film, le disséquer, et se faire sa culture ciné indépendamment des programmations de la TV et du cinéma de sa ville ou de son quartier. Et ça c'est une vraie fracture je pense.


Le numérique a eu un effet démultiplicateur encore plus dément. Même à l'époque des vidéoclubs, où certaines boutiques affichaient la possibilité de louer des milliers de films, on était dans une logique de possibilités « finies » :  un magasin ne pouvait pas avoir en stock plus que ce qu'il pouvait entreposer. Au bout d'un moment, les nouveaux films finissaient par chasser les anciens. Les cassettes pouvaient s'abimer. Aujourd'hui, avec le numérique, les films récents n'expulsent plus les anciens. Tout se superpose.


Et surtout, grâce au téléchargement, à la numérisation, on peut littéralement tout voir. Nous on a découvert le cinéma d'exploitation turc, les films ghanéens, le cinéma populaire pakistanais, le cinéma indien. Je ne sais pas si on réalise bien l'ampleur de ce qu'on s'est pris dans la face !"


Et la TNT ?


"On a senti l'incidence de la TNT quand des gens se sont mis à nous dire « vous avez vu le film de requin géant sur NRJ12 ? Ça c'est un nanar !» alors que 10 ans avant ils nous prenaient pour des extra-terrestres parce qu'on chassait les mauvais films exprès dans les Cash Converters. Tout à coup des gens qui n'étaient ni cinéphiles, ni attirés par la pop culture, tombaient sur des nanars en prime time à la TV et trouvaient ça fun...".


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Comment est partie l’idée du site ?


"L'idée est venue il y a 15 ans, alors que j'étais étudiant. Nous étions une bande de potes et on louait des films pour occuper nos soirées d'été. Génération vidéoclubs oblige, on louait de tout. Régulièrement on cherchait à louer les pires films de la boutique, pour se marrer. Et puis un jour on je me suis demandé s'il n'existait pas un site en français pour identifier, chroniquer et conseiller les « meilleurs pires films ». La réponse était non : à l'époque sur le web francophone il n'y avait pas de site consacré au nanar. J'ai donc eu l'idée du site, un ami, Fabien Mangione (toujours dans la bande aujourd'hui) a trouvé le nom Nanarland, et Séverine Amato, ma chérie (toujours dans le crew, elle aussi), s'est plongé dans DreamWeaver et Frontpage pour créer le site. Ensuite, c'est une histoire de rencontre avec des cinéphiles/collectionneurs partout en France : Paris, Caen, Ajaccio, Lyon, grâce aux forums du site. Beaucoup des « early adopters » de Nanarland sont aujourd'hui des amis et composent son équipe.


On a très vite voulu, également, aller plus loin que le simple bashing de mauvais films. L’idée c’était d’en profiter pour voir ce que ces films nous disent du cinéma. Aussi, tout une partie de l’intérêt du site vient de sa volonté de rendre visible tout un pan de la production cinématographique, et d’aller découvrir et faire découvrir les personnes qui le composent, et de s'interroger sur ce qu’il nous montre du cinéma".


Comment réagissent les personnes impliquées dans un projet quand vous les interrogez ?


"La plupart arrivent à en rire, et sont parfaitement conscients du niveau du film. Ils sont même contents d’en parler, et de voir que l’on s’intéresse aux films pour lesquels ils se sont investis avec une vraie passion. Pour certains, cela leur permet de se justifier et expliquer leur démarche. D’autres sont toujours persuadés qu’ils sont des génies incompris et se sentent insultés qu’un site avec un nom comme le nôtre veuille les interroger. Enfin, on retrouve certaines personnes que ces films ont tellement ruiné qu’ils ont changé de vocation. Car les nanars, ce sont aussi des espoirs brisés.


Les anecdotes qu’ils nous racontent sont souvent incroyables. Découvrir ces tranches de vie liées à ces films souvent oubliés est sûrement ce que je préfère dans les nanars. Les anecdotes sont parfois complètement folles : Comme cet acteur, Matt Hannon, qui croyait que le tournage de Samuraï Cop, un film dans lequel il avait le premier rôle était fini. Il s'était donc fait couper les cheveux pour prendre des photos pour son book. Le réalisateur l’a rappelé en catastrophe pour tourner des scènes complémentaires : on le voit donc dans certaines scènes avec une perruque qui jure avec le reste du film. Connaître l’envers du décor ici permet de visionner différemment les long-métrages, de mieux les comprendre, et n’empêche pas d'en rire, au contraire".


Avez-vous eu l’envie de devenir professionnels ?


"Non, jamais. Nous avons créé le site à une période où la pub sur le web, c'était le mal. Pendant longtemps, nous avons refusé d'en mettre sur le site. D'ailleurs, il n'y en n'a toujours pas et c'est finalement très bien comme ça. Nanarland aujourd'hui, c'est plus une espèce de truc cross media qu'un site, finalement. Et le fait de ne pas s'être professionnalisés via le site nous a affranchi de plein de contraintes : le site c'est un plaisir, on n'a aucune notion de rentabilité, et pour les autres branches médias (vidéo, livre, événementiel) on peut se permettre de collaborer avec qui l'on veut, à peu près comme on veut. Nous sommes en fait tous professionnels d'autre chose, et c'est tant mieux. Même s’il n’est pas question d’en vivre, nous avons pu faire des projets pro grâce au site, et c’est déjà génial.


Evidemment, quand il arrive que nous fassions des collaborations où l'on entre dans une relation professionnelle (le livre que nous avons publié, les émissions avec Allociné, la collaboration avec Arte...) là nous sommes dans une logique pro, mais parce qu'elle est compatible avec nos vrais jobs. Je travaille dans l'audiovisuel, François Cau qui a coordonné le livre est journaliste de cinéma. Pour la Nuit Excentrique, c'est Manu Rossi qui est programmateur dans un cinéma, et Cyril Despontin, programmateur de festival (Paris International Fantastic Film Festival, Hallucinations Collectives) qui prennent la main sur ces aspects, sous la bannière Nanarland, en collaboration avec Jean-François Rauger de la Cinémathèque française".


Vous pouvez en dire plus ?

 

"Les Nuits Excentriques existent depuis plus de 10 ans. C'est un rendez-vous annuel où l'on projette quatre long-métrages (en général des nanars de compétition) plusieurs dizaines de bandes-annonces rares et des montages vidéo réalisés par nos soins issus de plus d'une centaine de films visionnés dans l'année. Ca se passe dans une ambiance assez festives (l'année dernière c'était au Grand Rex) et c'est une initiative qui est née sous l'impulsion de la Cinémathèque française. Ca peut surprendre ceux qui ne connaissent pas bien cette institution, mais finalement c'est cohérent : la première mission de la Cinémathèque est de répertorier, de conserver et de diffuser tous les films qui sortent, sans rapport à leur qualité.


Et c'est vrai que souvent il y a une vraie discrimination pour les nanars : sous le prétexte qu’ils sont mauvais, on les néglige, alors qu’ils sont tout aussi importants. Ce sont les deux faces d’une même pièce, qui contribuent tous les deux à l’histoire du cinéma. Qui sommes-nous pour juger les films qui peuvent ou non accéder à la pérennité ?


C’est un de nos objectifs sur Nanarland, découvrir et faire découvrir des films qui méritent le détour, pour ne pas qu’ils sombrent dans l’oubli".

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La collaboration avec Allociné, c'était cool ?


"Oui, complètement. Ils nous ont proposé d'imaginer une émission dans un cadre cohérent avec leurs productions d'alors : un présentateur, un format de 6 à 7 minutes, et des chroniques de films. On a tout fait nous-mêmes, en interne. Je réalisais les émissions, et Régis Autran chroniqueur sur le site et monteur dans la vraie vie montait un épisode sur deux en alternance avec moi. Fabien Gardon, le présentateur, écrivait ses textes avec Richard Tribouilloy, et tous les deux faisaient déjà partie de l'équipe du site. La voix off, était assurée par Séverine, co-créatrice de Nanarland donc. C'était une émission qu'on faisait entre potes.?Allociné nous avait en plus prévenu : ils ne voulaient pas qu'on essaye de faire du Allociné, mais qu'on fasse notre truc. C'est pour ça que sur le contenu, on a pu parler de tout : on a fait des épisodes sur des films de cannibales d'Eurociné, sur des films de super héros philippins, sur Weng Weng l'agent secret lilliputien des philippines. On a même fait une rubrique sur Jeff Stryker, en évoquant ses incursions porno-gays..."


Pourquoi avoir arrêté alors ?


"Je ne peux pas affirmer qu'il y a un rapport, mais au moment du rachat d'Allociné par Webedia, la production d'Allociné nous a demandé de revoir la formule pour être dans une logique plus rentable. Par exemple, faire 5 petites émissions d'une minute ou deux par semaine sous la forme de tops 5.


On a senti la pression d'une logique financière, mais on a apprécié le geste de la prod’ et de la rédac' : ils cherchaient des solutions pour qu'on continue de bosser ensemble, tout en essayant de proposer des formules qui plaisent à des financiers moins sensibles à la filmographie straight de Jeff Stryker. Mais nous, on ne se reconnaissait pas là-dedans. Comme nous ne sommes pas dépendant du site pour vivre, l'idée n'était pas de faire des émissions à tout prix. On s'est donc dit qu'après 90 épisodes on pouvait passer à autre chose, et on a arrêté la collaboration de façon très saine. On a vécu une belle aventure avec Allociné, et on a connu le petit âge d'or de ce site : à l'époque ils avaient mis en place une chaine de télé et produisaient plein d'émissions sur le cinéma. Des 26 minutes sur les BO de films, des émissions sur les sorties DVDs, sur les scènes clés du cinéma. Elles ont pratiquement toutes disparues aujourd'hui".


Vous envisagez de poursuivre un format vidéo ?


"Là, je réalise, avec une partie de l’équipe de Nanarland, une web série documentaire sur le nanar pour Arte Creative, qui sera diffusée cet automne. C'est une autre manière d'aborder ce cinéma et quelque chose qui me correspond plus aujourd'hui : chaque épisode de 6 à 7 minutes revient via un film sur un genre, ou un sous genre. Pour chacun des 10 épisodes, on va à la rencontre de plusieurs intervenants, dont un qui peut nous parler du film « à la première personne ». Un acteur, un réalisateur, un monteur. On peut déjà annoncer qu'on a une interview de Matt Hannon, LE Samuraï Cop dont nous parlions plus tôt, ainsi qu'un entretien avec Sam Firstenberg, le réalisateur de la série American Ninja. C'est passionnant à faire, et je crois qu'Arte Creative était le support idéal pour traiter du genre sous cette forme. A l'heure des Youtubers, je pense qu'opter pour une approche documentaire, donner la parole aux gens qui ont fait ces films, c'était la meilleure manière pour nous de raconter ce cinéma. Cela nous a permis de changer de forme et sortir de la chronique d’un film. On essaye de prendre plus de distance, voir ce que disent les films de notre époque, aller à la rencontre des personnes qui ont mené ces projets et qui nous donnent leur ressenti, des anecdotes sur le film en question".

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 Pourquoi passer au papier ? Et pourquoi avoir publié chez Ankama ?


"Nous sommes chez Ankama à l'initiative de leur Label 619, fondé par Run et qui sélectionne des ouvrages, notamment BD, sur des univers pop et contemporains. En fait c'est eux qui nous ont contactés voilà près de 4 ans avec cette idée de livre. Nous, on avait ça en tête depuis les débuts du site, car on vient d'un âge où le passage à l'objet livre était une sorte de consécration pour un site web comme le nôtre. Mais on ne savait pas comment s'y prendre. Ce n'est sans doute plus pareil aujourd'hui, soit parce que l'objet est intégré au concept, comme pour Rockyrama, qui est à mes yeux une superbe réussite en matière de cross média, soit parce que le support a changé (je pense à tous les vidéastes du web, qui doivent aujourd'hui logiquement plus lorgner sur la TV que sur l'édition).


Toujours est-il que le label 619 nous a fait la proposition idéale : on imaginait le livre de nos rêves et eux s'occupaient de le réaliser. On leur a proposé une liste de 100 films, des rubriques, des bonus et une trame. Ils nous ont seulement dit qu'à leur avis ça ne passerait pas en un volume, mais qu'ils étaient d'accord pour partir tout de suite sur deux « épisodes », parce qu'ils y croyaient. Voilà pourquoi le livre est sous-titré « épisode 1 ». On travaille actuellement sur l'épisode 2".


Vous attendiez vous à un tel succès (rupture de stock les premières semaines) ?


"Absolument pas. D'ailleurs c'était même terriblement frustrant, car le livre était introuvable en pleine période d'achats de Noël. On a tous décidé de classer ça dans la colonne des « bons problèmes » parce qu'on ne va pas se mentir, ça nous a aussi fait plaisir ! On a tous passé beaucoup de temps sur ce livre, et plus spécialement François Cau qui a fouetté toute l'équipe pour avoir les textes à temps, et qui a lui-même écrit ou réécrit près de la moitié du contenu. Et comme à chaque projet d'envergure (à notre petite échelle, évidemment), on n'en menait pas large au moment de la sortie. On toujours ce doute : et si ça n'intéressait que nous tout ce bazar ?"


Pourquoi ne pas avoir fait le format cassette mais un format légèrement différent ?


"L'idée était de rendre hommage à cet objet qui est un peu ce qui nous réunit, nous les enfants des vidéoclubs. Mais il fallait aussi rester lisible, et Run et Tony, du Label 619 voulaient partir sur un concept de « beau livre ». Il faut le dire, c'est leur idée, ils avaient en tête ce design depuis le début, et je pense que ça a joué dans le fait que le livre marche bien".


Propos recueillis par Boris Biron