Quand Hillary Clinton entrait en guerre contre les jeux vidéo

Nous sommes en 2005. Doom 3, Counter-Strike: Source et Half-Life 2, sortis l'année précédente, cartonnent un peu partout. Le 12 mai, l'acteur Elijah Wood, sur MTV, annonce officiellement l'arrivée de la XBox 360. Quelques jours plus tard, Sony dévoile sa Playstation 3. Plus tôt, en mars, l'émission 60 Minutes diffuse un sujet sur les jeux vidéo, sautant à pieds joints dans la polémique qui enflamme un peu tout le monde à ce moment-là : les jeux, c'est dangereux. Car oui, en 2005 comme un peu en 2015, nous en sommes là. Grand Theft Auto serait coupable de meurtre, et Mario, après tout pourquoi pas, d'une vague de suicide.

En 2005, Hillary Clinton est sénatrice. Elle a peut-être, sans doute, le bureau ovale dans un coin de la tête, mais nous n'en sommes pas là. Pour le moment, elle souhaite réguler le marché du jeu vidéo, et, à une époque où le jeu de Rockstar Games, GTA, est considéré comme le Grand Mal, comme le responsable de tout, ses déclarations trouvent des oreilles attentives. Mais d'abord, parlons de Jack Thompson.

Jack Thompson est un avocat américain, né dans l’Ohio, connu pour avoir lutté toute sa carrière contre la violence dans les jeux vidéos. En février 2003, il défend la famille d’une adolescente tuée par Dustin Lynch, un autre teenager. Selon Thompson, ce meurtre était directement lié à GTA 3, alors que Dustin lui-même déclarait: "Ce n'est pas GTA qui m'a poussé à commettre ce meurtre, et ceux qui croient ça sont des cons." Mais à partir de ce jour, Thompson n’a plus qu’une seule idée en tête: détruire le studio Rockstar Games. La même année, Thompson participe au procès de deux frères ayant plaidé coupable d’homicide. Là encore, la responsabilité du jeu ne sera finalement pas mise en cause, mais Thompson porte malgré tout plainte contre la chaîne de grande distribution Wal Mart, qui vend les jeux, mais aussi Take-Two Interactive, la maison mère de Rock Star Games. Sans résultat. En 2005, troisième procès contre Rock Star, et particulièrement le jeu GTA Vice City, un procès qui signera la fin de sa carrière.

Nous sommes en 2005, et Jack Thompson est une Star. Les gens l'écoutent. Les familles le soutiennent. 

Voilà pour le contexte.

En 2005 donc, Hillary Clinton dépose un projet de loi. Celui-ci comprend l'interdiction de la vente de certains jeux aux mineurs, une analyse indépendante des classifications du ERSB (Entertainment Software Rating Board, qui détermine la classification), ou encore un contrôle du FTC (La Federal Trade Commission, une agence indépendante pour l'application du droit de la consommation) sur ces mêmes classifications. Après les massacres de Columbine et de Virginia Tech, Clinton se lance ici dans une guerre qui a un nom : ta console.

Derrière les, sans doute, bonnes intentions, les joueurs et la petite histoire retiendront surtout cette phrase, symptomatique d'une incompréhension et d'une bêtise qui trouve encore sa place aujourd'hui au sein de quelques esprits chagrins : "We need to treat violent video games the way we treat tobacco, alcohol, and pornography". Tabac, alcool, pornographie, jeux, même combat. 

Mais, comme le rappelle si bien ce papier de Forbes, il s'agit bel et bien ici d'un grossier exemple d'une incompréhension aussi grossière de, et bien, de comment les choses fonctionnent : "En réalité, le ERSB a généralement été trop stricte avec ses notes. La plupart des meilleurs jeux sont notés M (pour Mature, conseillé aux joueurs de plus de 17 ans, peut contenir de la violence, du sang, ndlr), en quelque sorte la situation inverse de l'industrie du film qui est dominé par les PG-13 titres et pour lequel l'obtention d'un R garantit presque automatiquement un faible résultat au box office. Il y a moins de titres T (Teen, treize ans ou plus, ndlr) dans le jeu vidéo que de titres M, et c'est la perception de ces notes qui est vraiment la question. Beaucoup de parents ne traitent pas des jeux notés M comme des films R Rated".

Des adolescents perturbés joueront à des jeux violents, mais aucun adolescent ne le deviendra après une partie de GTA. C'est ainsi, il en a toujours été ainsi, et jamais aucun jeu n'a été responsable du moindre crime. Les auteurs, si. Affirmer le contraire est stupide, mais Hillary ne fut pas la première, et ne sera sans doute pas la dernière à mener, même temporairement, un combat aussi futile.

Spoiler : la proposition de loi ne passera pas, et le thème du jeu vidéo ne fit jamais la moindre apparition dans cette campagne. Nous en sommes en 2016, et certaines idées semblent malgré tout avancer dans le bon sens.

Nico Prat