Ready Player One : Steven Spielberg, Saint Patron de nos souvenirs
Nouvelle année de doublé pour Steven Spielberg qui, quelques semaines à peine après un Pentagon Papers acclamé, vient récupérer sa couronne de grand artisan pop.Nouvelle année de doublé pour Steven Spielberg qui, quelques semaines à peine après un Pentagon Papers acclamé, vient récupérer sa place de grand artisan pop.
2018. Steven Spielberg tente de nouveau, et réussit, un grand écart. En 2011, il livrait coup sur coup Cheval de Guerre et son Tintin, en 2005, Munich et La Guerre des Mondes, en 2002, Catch Me If You Can et Minority Report, en 1997, Amistad et Le Monde Perdu. Et en 1993, évidemment, Jurassic Park et La Liste de Schindler, l'une des plus improbable et grandiose danse entre ambition d'auteur et grand spectacle pour les foules… Mais les choses ont changé, en un quart de siècle. Désormais, nul n’attend Spielberg au tournant sur le terrain du cinéma mature, intellectuel, historique, sérieux en somme. En revanche, Ready Player One doit lui permettre de récupérer sa couronne de grand faiseur de blockbuster, amuseur des foules, patron d’une kermesse colorée et mondiale. Les enjeux sont totalement inversés. Notre regard aussi. Comme s’il n’était plus vraiment le même réalisateur, et nous, plus vraiment les mêmes spectateurs. Et pourtant… Ainsi, quand nous écrivons, ici sur Twitter, là dans cet article, avec la même honnêteté, que Steven Spielberg est encore et toujours le Patron, ce ne sont point là de vains mots.
2045. Le monde, tel que nous le connaissons, n'est plus. Guerres et famines sont passées par là. Les êtres humains se réfugient donc dans l'OASIS. Là, au coeur de cet univers virtuel mis au point par le brillant et excentrique inventeur James Halliday, ils peuvent être star, robot, animal... Ou tout simplement normaux... Ils peuvent conduire une DeLorean, voyager, apprendre... Ils peuvent vivre. Avant de disparaître, Halliday (interprété par un Mark Rylance généreux, touchant) a décidé de léguer sa fortune et le contrôle total de son invention à celui ou celle qui découvrira un œuf de Pâques numérique, une clé, qu'il a pris soin de cacher quelque part, au sein des milliards de mondes que contient l'OASIS. La compétition est lancée. Elle sera très vite menée par le jeune Wade Watts, orphelin et fin connaisseur de la pop culture des années 80 et 90. Celle qui a vu grandir son idole, et qui lui permettra de vivre l'aventure de sa vie.
Au-delà de la famille, terme certes récurrent mais au décryptage éculé, le cinéma de Spielberg est également marqué par Le Regard. Il implique son spectateur dans chaque scène, et dans chacun de ses films. Ready Player One parle de cela : du point de vue. Plus tôt dans sa carrière, par exemple dans La Guerre des Mondes, les aliens qui cherchent Tom Cruise, qui se font avoir par un reflet… Ne sont pas sans rappeler la scène de la cuisine de Jurassic Park. Munich... Catch Me If You Can... Son cinéma interroge autant nos souvenirs que notre perception des choses. Et à ce titre, force est d'admettre que Ready Player One est, d'une part, la matière rêvée pour un cinéaste de cette trempe (même si nous aurions beaucoup aimé voir le traitement de Christopher Nolan, un temps attaché au projet), mais surtout, qu'il s'agit ici d'une nouvelle pièce maîtresse dans sa filmographie. Oui, Ready Player One est une immense réussite, visuelle, narrative. Une scène, à elle seule, symbolise à la fois ce succès, et notre relation au cinéaste. Une scène qu'il est impératif de découvrir vierge de toute lecture et de toute analyse. Merci donc de vous arrêter ici et de vous rendre dans votre cinéma le plus proche, avant de poursuivre votre lecture, si vous n'avez pas encore vu le film. Ou bien, passez directement au dernier paragraphe.
Ce film est important. Il est important dans la carrière d'un cinéaste, qui, à l'image de son pote Martin Scorsese avec Le Loup de Wall Street, fait ici preuve d'une jeunesse éclatante, d'un plaisir d'offrir, d'une audace rare, d'une débordante envie. Steven Spielberg a 71 ans. Il signe un film d'une incroyable et insolente vivacité. Important également dans le récit qu'il fait de notre époque. Alors que le terme même de Pop Culture ne signifie plus rien (ce qui ne veut pas dire qu'elle soit morte pour autant), que les souvenirs et la nostalgie se façonnent plus vite que les grandes oeuvres, Spielberg vise droit au coeur et utilise notre culture collective comme un outil malléable au service d'une oeuvre novatrice. Devenant par là-même à la fois le représentant d'une époque, et l'Artisan en Chef de celle-là même qui prétend l'honorer en la régurgitant sans même prendre la peine de mâcher. Dis tout autrement : c'est beau, c'est grand, on a rarement été aussi heureux, fasciné, et enfant, à la sortie d'une salle de cinéma.
Nico Prat