Sully : un mythe américain devant la caméra de Clint Eastwood
Sorti en pleine campagne présidentielle, Sully porte un sujet qui semble fédérateur, au milieu des divisions d’un pays : comment un pilote a réussi un amerrissage forcé dans l’Hudson suite à l’impact avec un vol d’oiseaux, sans un seul mort ni blesséSorti en pleine campagne présidentielle, Sully porte un sujet qui semble fédérateur, au milieu des divisions d’un pays : comment un pilote a réussi un amerrissage forcé dans l’Hudson suite à l’impact avec un vol d’oiseaux, sans un seul mort ni blessé grave.
Si l’engagement républicain de Clint Eastwood est connu, il ne rend pas ses films moins bons, et constitue une grille de lecture passionnante. Le fait qu’il s’attache de plus en plus à des histoires inspirées de faits réels lui permet de montrer sa vision de l’Amérique. Et si cette dernière est républicaine, elle est bien éloigné de celle de Trump : il n’est pas pour un état fort mais au contraire une liberté des individus allégés des poids bureaucratiques, une politique du vivre ensemble, l’honnêteté et le travail comme socle de la société. Le réalisateur met en avant toutes les classes de la société, et comment œuvrer ensemble, sans communautarisme, en bonne intelligence, contribue à rendre un monde meilleur. Lui-même se définit avant tout comme libertarien, un courant minoritaire dans le clan conservateur, à des lieux de celui de Trump, auquel il n’adhère pas, mais qu’il estimait juste moins pire que Clinton.
Clint Eastwood met également en avant sa vision de l’héroïsme, avec en ligne de mire un protagoniste. qui est avant tout un professionnel consciencieux. «I’m proud […] We did our job » dira-t-il à la fin du film. Il montre également l’effort collectif comme une somme d’individus raisonnés et travailleurs, et comment le facteur humain est plus important que des simulations et des statistiques. Ce sont les décisions individuelles, mis bout à bout, qui permettent l’harmonie sociale, pas les corporations, les institutions, qui pervertissent l’indépendance et la liberté, pour lui les valeurs premières et fondamentales de son pays. Elles se permettent de remettre en cause l’action d’un homme juste et droit, lui demandant d’expliquer l’inexplicable.
L’autre institution qui en prend pour son grade, c’est le quatrième pouvoir, les médias, prompts à fabriquer du mensonge, du sensationnalisme, de la panique pour créer du spectacle. A remettre en cause un individu droit dans ses bottes jusqu’à le faire douter de lui, la presse apparaît comme un juge partial d’un héros qui ravive la flamme du mythe américain.
L’histoire retiendra pourtant probablement Sully comme un film mineur, car son sujet n’est pas un grand fait historique, qu’il vient après le succès énorme d’American Sniper, que l’incident dure en tout 24 petites minutes. Alors qu’on aurait pu croire à un téléfilm, Eastwood rejoue encore et encore l’incident, de plusieurs points de vue, avec des dénouements différents. Les images trompent, le final où l’action est rejouée arrive comme une mise en abîme du film : aucune reconstitution ou simulation ne saurait retranscrire véritablement ce qu’il s’est passé, ceux que les protagonistes ont ressenti, l’infinité de détails qui composent une réalité. Pour montrer comment les évènements marquent Sully qui rejoue sans cesse la scène et ses issues possibles, comme le meilleur simulateur existant, l’homme meilleur que la machine –et que les ingénieurs « qui n’étaient pas dans l’appareil »-. Comment, enfin, ils exorcisent le 11 septembre pour un New York traumatisé par les avions, grâce à une préparation hors norme provoqué par ces blessures : les épreuves renforcent.
C’est justement l’ingéniosité du scénario – signé Todd Komarnicki, un quasi-inconnu- de transcender en mythe ce qui est au fond un fait divers. La narration éclatée, en flash-back, souvent gimmick et facile chez les autres, sonne ici comme une évidence, ne perdant ni ne lassant le spectateur. L’incident est replacé comme élément central alors qu’il aurait pu apparaître comme un point de départ. Son principal défaut est d’essayer de forcer un peu le trait sur les assureurs, qui eux aussi ne font que leur boulot, sans être animé d’intention mauvaise ou de dénigrer Sully.
Il est curieux de ne pas entendre plus parler de la performance de Tom Hanks, qui campe un rôle très monolithique auquel il parvient pourtant à faire ressortir de multiples facettes rendant le personnage complexe, nous faisant plonger dans ses questionnements alors même qu’il manque d’expressivité. Une prestation tout en retenue qui nous rappelle le grand acteur qu’il est un an après le Pont des espions, quand il apparaît au même moment dans les salles pour Inferno… Un héros malgré lui qui ne fait qu’appliquer sa routine et son expertise. Un mythe américain, lui aussi.
Boris Biron