Tango & Cash : ils sont flics, ils sont rivaux, et ça les tue de bosser ensemble

Cela devait être la rencontre au sommet de deux acteurs à sensations fortes : la mégastar en quête d’un second souffle (et surtout en quête de nouveaux personnages), Sylvester Stallone, et la starlette montante Patrick Swayze. Sauf que Joel Silver, sentant bon le filon du potentiel de Swayze, allait allonger suffisamment de dollars pour engager Patrick « Dirty Dancing » Swayze en tête d'affiche sur Road House : un autre classique de l'actionner 80's bien huilé, avec un Ben Gazzara loin de ses années Cassavetes. Jon Peters n'allait pas se laisser avoir comme un bleu, et embauchait immédiatement Snake Plissken himself pour donner la réplique à Rambo (un duo reformé cette année dans le minable deuxième volet des Gardiens de la Galaxie, enfin pas vraiment reformé puisque personne n'a eu la bonne idée de les associer à l'écran). Kurt Russell, après avoir, on se sait pas trop pourquoi, refusé le rôle de Martin Riggs dans l'Arme fatale (1987), se voyait offrir la chance de briller dans ce qui devait être un succès fracassant. Le script de Randy Feldman contenait tous les éléments pour parvenir à ses fins :

Les deux meilleurs flics de Los Angeles, l'un élégant, cultivé, riche et basé à Beverly Hills, l'autre agrippé aux bas-fonds et aux affaires sordides, vont se faire piéger par les cartels et leurs boss, le diabolique Yves Perret (Jack Palance, qui voyait sa sale gueule de tueur ressuscitée sur les écrans, la même année que le Batman de Tim Burton). Un méchant avec un nom français, après les Russes, les Sud-Africains et les Allemands, ça semblait suffisamment exotique pour les producteurs américains. Ray Tango et Gabriel Cash n'auront d'autre choix que de s'allier pour faire éclater la vérité.

Voilà, le décor est posé, on ne devait pas s'emmerder une seule seconde dans cet ultime buddy movie annoncé, porté par deux stars alors extrêmement populaires. L'une l'étant, malgré tout, plus que l'autre. 

Et on ne s'emmerde pas une seule seconde devant cette farce à 50 millions de dollars (une somme ÉNORME pour l'époque). Stallone et Russell, dont on comprend vite qu'ils s'amusent comme des gosses côtes à côtes, dézinguent toutes les « ganaches de derrières » (voir Rockyrama no1) des années quatre-vingt en 1h44. Robert Zdar, Brion James, James Hong.... même Edward Bunker vient participer à la fête. Stallone était alors en pleine crise d'ego (ce même ego qui lui fit transformer le chef-d'oeuvre potentiel du néo film noir Cobra en un vulgaire actionner bancal). Après deux films pour le compte des forbans Menahem Golan et Yoram Globus, démiurges de l'alors mythique Cannon Group (mais surtout son propre compte, le bancaire du moins), Stallone revient dans un giron de production plus traditionnel. 

Le ton du film oscille entre la comédie de potes et le polar violent, notamment pendant une très longue séquence de prison. Stallone voulait casser son image de barbare construite au fil des suites toujours plus bigger than life de son fidèle alter ego Rambo. Ses rôles de justiciers ne cessaient de lui valoir des critiques politiquement orientées à l'encontre de ses convictions républicaines assumées. Tango & Cash avait pour mission de détendre l'atmosphère et de rappeler au public quel comédien était Sly. Capable de se moquer de lui-même (à travers le fameux : « Rambo ? C'est une pédale! »), mais sans oublier que l'action restait son fond de commerce. S'adjoindre un sidekick de la prestance de Russell ne pouvait que profiter à tout le monde. Russell n'est jamais devenu la superstar qu'il aurait dû être, mais pouvait profiter de l'aura de son compagnon de fortune pour grimper les quelques échelons manquants.

Pas de chance, Konchalovsky voulait réaliser un film plutôt sérieux, lui qui sortait également de plusieurs productions Cannon, dont le culte Runaway Train (1985, produit par la Cannon sur un scénario d'Akira Kurosawa... improbable, à l'image de plusieurs de films de leur catalogue). D'après le réalisateur russe, Stallone, pas très reconnu dans le milieu pour être docile sur le plateau, réécrivant sans cesse les scénarios à sa guise, fut un allié de poids et un vrai gentleman à son égard. Ce qui n'empêcha pas Jon Peters de le renvoyer pour demander à Albert Magnoli de finir le boulot derrière la caméra. Ce remue-ménage d'égocentriques entraîna l'équipe dans un tournage chaotique. Barry Sonnenfeld fut renvoyé (par Sly, histoire d'être un peu fidèle à sa réputation) de son poste de directeur de la photographie, le tournage commença sans le script définitif, le budget éclata de 20 millions et c'est Stuart Baird, monteur émérite, qui se vit confier la lourde tâche de tout récupérer dans la salle de montage pour présenter un produit digne de ce nom en salle. 

Le miracle a lieu, par la grâce de la classe naturelle des deux acteurs principaux (et pour le public francophone, par celle d'une version française que l'on peut classer dans les 5 meilleures VF de tous les temps). Le scénario n'est qu'une succession de scènes destinées à faire briller soit Tango, soit Cash, soit les deux de concert. Les scènes d'action sont pour la plupart efficaces, mais le dénouement n'a aucun sens. Pressés d'en finir, les scénaristes envoient les deux flics dans le repaire du bad guy, au milieu de camions géants et d'explosions surréalistes. Sans les gueules inimitables de Sly et Russell, ce film, véritable condensé des années quatre-vingt, ne serait qu'un énième buddy movie de plus sur une étagère de vidéo club. Les conséquences, malgré tout, furent dramatiques pour Stallone. 

Sly enchaîna Rocky V (1990), L'Embrouille est dans le sac (1991) et Arrête ou ma mère va tirer (1991). Le ton léger de Tango & Cash, qui ne cassa pas la baraque au box-office mais tira ses marrons du feu, incita l'étalon italien à creuser le sillon de la comédie, tout en repassant par la case Rocky pour s'assurer (sans réussite) un succès, grâce à son historique totem de popularité. Il nous faudra attendre que Renny Harlin l'embarque en haute montagne pour les besoins de Cliffhanger, traque au sommet (1993) pour revoir le Sly que nous aimons, cabossé et jamais meilleur que lorsque tout le monde le croit fini. Si le film de Renny Harlin fit office de premier comeback pour Sly, Tango & Cash marquera la fin du premier cycle de celui qui ne semble vivre sa carrière qu'à travers des hauts et des bas, alternant choix judicieux et catastrophiques. Tous ses films, depuis Tango & Cash, racontent invariablement cette même histoire. 

Guillaume BARON

Le numéro de Rockyrama 100% STALLONE est toujours disponible sur notre SHOP, en kiosque et librairie.