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The Brave Little Toaster : le grille-pain aux origines de Pixar

Imaginez un film d'animation qui réunirait en coulisses les réalisateurs de La Belle et la Bête, Le Roi Lion, Toy Story 1 et 2, 1001 pattes, Cars, Chicken Little et La reine des neiges, plus les scénaristes d'Aladdin, de Tarzan, Kuzco, Hercule et le
The Brave Little Toaster : le grille-pain aux origines de Pixar

Imaginez un film d'animation qui réunirait en coulisses les réalisateurs de La Belle et la Bête,  Le Roi Lion, Toy Story 1 et 2, 1001 pattes, Cars, Chicken Little et La reine des neiges.


Mais aussi les scénaristes d'Aladdin, de Tarzan, Kuzco, Hercule et le Bossu de Notre-Dame, plus des animateurs qui ont bossé sur Tron, Les Indestructibles, Le Pôle Express, Le Monde de Nemo, Fantasia 2000, Rox et Rouky, Pocahontas, La Petite Sirène, Dumbo, des gens qui ont bossé chez Disney depuis Blanche-Neige et les Sept Nains main dans la main avec ceux qui sont encore là aujourd'hui sur Zootopie. Un véritable Who's who de la fine fleur de l'animation américaine made in Disney et Pixar, pour un film dont le projet a été lancé par John Lasseter, qui a servi de brouillon aux scénarios des trois Toy Story.


Un film qui serait devenu culte dans le monde de l'animation et resterait pourtant inconnu d'une bonne partie du grand public.


Ce film existe, il date de 1987 et il s'appelle The Brave Little Toaster (Le Petit Grille-pain Courageux).

Sorti en France en toute discrétion avec huit ans de retard en 1995, The Brave Little Toaster n'a eu que peu de reconnaissance de notre côté de l'Atlantique. Il s'agit pourtant d'une pierre angulaire de l'histoire de Pixar. En voulant adapter un livre pour enfants racontant les aventures d'objets du quotidien, John Lasseter propose un véritable défi technique à Disney, voulant mélanger des personnages animés en 3D sur des décors en 2D. Le film serait en fait une passerelle entre les films Disney 2D de l'époque et le but de Lasseter, c'est a dire créer le premier film d'animation entièrement conçu en images de synthèse.


Mais Disney fait face alors à une crise interne (relatée de belle manière dans le documentaire Waking Sleeping Beauty) qui les pousse à faire des coupes dans leur budget. Ce qui devait être un nouveau film du catalogue classique Disney armé d'un beau budget de près de 20 millions de $ (pour l'époque, c'est à comparer avec celui d'un blockbuster type James Bond ou Indiana Jones) sera transféré et sous-traité à une boîte naissante nommée Hyperion Pictures, et avec un budget à la baisse de 2,3 millions.

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L'équipe interne réunissant un paquet d'animateurs bossant toujours chez Disney, la maison-mère va  largement contribuer à coproduire le film sans pour autant le distribuer, la production revenant à l'entreprise en électronique TDK. Lasseter se retrouve dépossédé de son film, auquel il ne peut plus espérer le moindre effet en image de synthèse dont la conception était alors trop onéreuse. La réalisation revient alors à Jerry Rees, qui a fait ironiquement ses premières armes sur les séquences en CGI de Tron et qui bossait à ce moment-là sur une adaptation animée de The Spirit réalisée par Brad Bird qui ne verra jamais le jour.


Le film raconte l'histoire de cinq objets (un grille-pain, une lampe, un aspirateur, une couverture électrique et une radio) laissés à l'abandon dans une vieille maison au milieu d'une forêt par leur « maître », un collégien qui vit à la ville et qui ressemble comme deux gouttes d'eau au héros d'Atlantide, l'empire perdu. Ils s'engagent alors dans un road-trip pour le retrouver et vont évidemment traverser une série d'épreuves avant d'être réunis, dont traverser une forêt sinistre, échapper à un revendeur qui recycle les objets pour vendre les pièces détachés, et se sortir d'une décharge de voitures mené par un méchant compacteur.
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Débarrassé de toute pression d'un grand film d'animation, l'équipe du film a pu bénéficier d'une bonne marge de manœuvre pour emmener le long-métrage dans des directions inédites. L'histoire se permet ainsi de virer souvent vers des thèmes sombres comme le suicide, la mort et l'abandon. On retiendra notamment la mort plutôt perturbante d'une clim' imitant Jack Nicholson période Shining ou de voitures allant se faire écraser dans le compacteur sous le regard terrifié de ses congénères.

On retrouve les racines des trois Toy Story dans le scénario : des objets inanimés qui prennent vie quand les humains ne les voient pas, le voyage pour être réuni avec l'humain qui les possède, une confrontation entre des objets anciens et des objets modernes qui veulent prendre leur place, comme l'opposition Woody/Buzz, une scène où les objets sont sur le tapis roulant du compacteur allant vers une mort certaine et acceptant leur sort en restant unis, comme la scène de la décharge de Toy Story 3, le revendeur qui est un double parfait du revendeur de jouets de Toy Story 2, son magasin conçu comme une prison et encadrée par d'anciens objets usés, comme la « prison » de Toy Story 3.


Les liens sont encore plus troublants dans les détails. Par exemple la lampe de chevet au cou flexible est d'évidence un cousin éloigné de la lampe de bureau de Luxo Jr, premier court-métrage réalisé par Lasseter en CGI sorti en 1986 et qui sert de mascotte du logo de Pixar depuis le premier Toy Story. Sorti dans un parc très limité de salles, le film gagnera pourtant une certaine aura culte auprès des rares qui l'ont découvert, au point que dix années plus tard deux suites seront produites, essentiellement pour le marché vidéo et loin de la créativité du premier opus.


Très limité par ses moyens, le film réutilise beaucoup de fois les mêmes décors et se contente de plans souvent très simples ou alors se servant du hors-champ dès que possible. Le montage est assez pauvre, certaines sous-intrigues peinent à se justifier, dont une chanson en forêt avec une chorégraphie de crapauds semblant sortir d'un tout autre film. Pourtant, en filigrane, on peut percevoir en germe les cerveaux bouillonnants qui seront derrière parmi les meilleurs films d'animation américains des 30 années suivantes. On suit pendant plus de 90 minutes les troubles d'un grille-pain confronté à ses névroses (comme la peur qu'une fourchette lui tombe dedans) sans jamais remettre en question son existence. L'écriture des personnages à la Pixar est là, même dans un petit film quasi-indépendant en animation traditionnelle. C'est un indispensable pour tout complétiste sur l'histoire de Pixar et une charmante découverte qui, s'il n'a pas la force d'un Fievel sorti à la même période, en partage au moins la volonté d'amener l'animation plus loin que ce à quoi on a voulu la limiter.

Maxime Solito