The Private Eye : une enquête néo-classique par l’auteur de « Saga »
« The Private Eye » est une étrange aventure, tant sur le papier que dans son intrigue. Fort de son succès avec « Y, le dernier homme » et des débuts très prometteurs de sa nouvelle série « Saga », Brian K. Vaughan lance en 2013 un nouveau comics sur« The Private Eye » est une étrange aventure, tant sur le papier que dans son intrigue. Fort de son succès avec « Y, le dernier homme » et des débuts très prometteurs de sa nouvelle série « Saga », Brian K. Vaughan lance en 2013 un nouveau comics sur le site de crowdfunding « Panel Syndicate ». Les internautes sont priés de choisir eux même la somme qu’ils pensent être juste pour pouvoir obtenir la version digitale des 10 numéros qui composent cette nouvelle série, dont le rythme de sortir va s’étaler de 2013 à 2015. La sortie de ce comics au format papier est donc aubaine pour ceux qui auraient zappé la version digitale, d’autant plus qu’Urban Comics a conservé le format « à l’italienne » de cet Eisner Award 2015 du meilleur web comics.
L’action se situe en 2076, dans un futur proche où internet n’existe plus. La dystopie de Vaughan présente un monde bien loin des différentes visions du futur que nous connaissons, qu’il soit post-apocalyptique ou néo-futuriste. Dans cette dystopie, le Cloud a explosé divulguant ainsi tous nos vilains petits secrets à la face du monde. De facto, le web s’est éteint et comme pour cacher leur véritable identité souillée, une immense majorité de la population porte des masques. Ces artefacts permettent aux gens de changer de peau sans avoir à divulguer leur véritable visage. Pour autant, les masques d’animaux ou d’aliens que les gens portent ne sont pas synonyme d’égalité. Tout comme des vêtements, certains sont plus beaux, plus chers ou plus rares que d’autres.
C’est le cas de celui de Patrick Immelman, notre héros, dont l’habit lui permet de se rendre invisible ; et nous verrons que pour son métier, c’est un atout de taille. Dans cette société qui a exposé tous nos pêchés digitaux comme un Wikileaks à l’échelle mondiale, la police n’est plus ; elle a été remplacée par le quatrième pouvoir. La presse et les médias font régner la loi et l’ordre. En partant de ce postulat, on peut dire que le métier de paparazzi qu’exerce notre héros se rapproche de celui de détective privé. L’histoire que raconte Brian K. Vaughan propose tous les codes des romans policiers dans la veine des récits de Raymond Chandler. Patrick Immelman, va tel un Philip Marlow, devoir dénouer une intrigue tortueuse mêlant suspense et action sous fond de SF.
La dystopie post-Internet de Vaughan fonctionne pour plusieurs raisons. La première est certainement la richesse de son univers néo-classique proposant un monde cohérent et une allégorie à peine voilée de notre vie quotidienne ultra-connecté. Nos masques, nous portons derrière nos comptes Facebook ou Instagram, ils remplissent nos vies mais ne proposent qu’une version tronquée de la réalité, a l’image des différents protagonistes de « The Private Eye ». L’autre raison du succès du comics réside sans doute dans la complexité de son scénario, bourré d’idées, mais qui ne laisse jamais le lecteur sur le bas côté. L’histoire reste classique et fluide comme dans les autres séries de Vaughan. Le dessin de l’espagnol Marcos Martin, qui a œuvré aussi bien pour Marvel que pour DC, possède un trait simple et efficace qui arrive à retranscrire de belle façon le monde étrange imaginé par l’auteur de « Y le dernier homme ».
« The Private Eye » est un récit complet déroutant au premier regard, mais qui propose une enquête classique sur le fond et surprenante formellement. Dans un monde où les jugements ont de plus en plus tendance à se faire à coups de tweets bien sentis plutôt que dans les tribunaux, on se dit que la version futuriste du monde que propos Brian K. Vaughan n’est parfois pas si loin de la réalité.
Christophe BALME