Created by Richard Schumannfrom the Noun Projecteclair_rocky
Design, Article & Cream
superstylo

The Witch : aux origines du mal

Précédé d’une réputation quatre étoiles depuis son passage à Sundance et Toronto, The Witch avait déjà une aura toute particulière avant de débarquer sur les écrans français : celle d’un film glaçant et classieux, loin des standards de l’horreur actu
The Witch : aux origines du mal

Précédé d’une réputation quatre étoiles depuis son passage à Sundance et Toronto, The Witch avait déjà une aura toute particulière avant de débarquer sur les écrans français : celle d’un film glaçant et classieux, loin des standards de l’horreur actuelle… Est-il réellement ce film qui prouve que « le cinéma d’horreur existe encore » comme le clame l’affiche ?


Robert Eggers, dont c’est ici le deuxième essai, se fait archéologue. Il part déterrer les sources de l’horreur nichées dans les croyances religieuses, ce que, depuis L’Exorciste, le cinéma d’épouvante a parfaitement assimilé. Et si la possession démoniaque est monnaie courante depuis un demi-siècle maintenant dans l’incarnation de la peur, la foi et ses questionnements, pourtant prémices du Mal, est bien moins représentée. Eggers l’a parfaitement compris en choisissant de placer son film dans la Nouvelle Angleterre du XVIIe siècle, 60 ans environ avant le procès des Sorcières de Salem, en pleine croisade puritaine. On y découvre la destinée d’une famille qui choisit de s’exiler pour une divergence de « conviction religieuse », assumant un extrémisme qui les conduira à l’antichambre des enfers. Dans cette maison cernée par une forêt inquiétante, le rempart contre tout est donc la croyance en Dieu. Mais très vite, les lieux, personnages à part entière, et les faits (disparitions mystérieuses) vont pousser la famille aux limites de leur foi et de leur raison. C’est la folie qui guette et referme ses griffes sur chaque membre du foyer.

the-witch-aux-origines-du-mal

La chasse aux sorcières a bien lieu et la paranoïa s’empare de tous. L’intelligence du scénario dense d’Eggers est de jouer sur plusieurs niveaux. Un érotisme latent, péché originel maints fois évoqués dans les dialogues, s’immisce de manière sourde, notamment grâce à l’interprétation hallucinée de la jeune Anya Taylor Joy, sorte de jeune Michelle Williams aux traits angéliques et inquiétants à la fois. Le sexe et même la nudité sont évidemment les démons premiers ici. Leurs seules manifestations sont synonymes de déchaînement du Mal. Habillé dans les amples costumes d’époque, le moindre bout de peau attire le regard et la caméra comme une tentation incontrôlable, celle que le patriarche (Ralph Ineson) cherche à fuir constamment. Il est en effet le guide spirituel et le maître à penser qui conduit, dans son aveuglement, sa propre famille dans l’horreur.


C’est son jusqu’au boutisme qui fait décoller le film vers une lecture plus pragmatique en pleine période de terrorisme mondial. Tout comme les furieux adorateurs d’Immortan Joe dans Mad Max Fury Road, William est obnubilé par sa foi et ne suivra qu’elle, jusqu’au bout. Quelles qu’en soient les conséquences. Toute sa famille est totalement acquise à sa cause et ne tremble jamais : tout événement, même surnaturel, s’explique et se résout par les voies bibliques ou rationnelles. Si un enfant disparait, cela ne peut qu’être un loup ou alors une sorcière qui l’aurait kidnappé, présence annoncée dès le premier quart d’heure du film. Entre l’ascétisme religieux, la sexualité sournoise et le surnaturel omniprésent, Eggers ne fait pas de choix. Il convoque toutes ces dimensions pour n’en faire plus qu’une et signe un film éprouvant par son authenticité et son réalisme de surface.  La lente montée de la paranoïa et la puissance de ses images dénoncent un aveuglement bigot absurde. La terreur ne sera jamais totale pourtant, tant le film s’attache à disséquer (brillamment) ses personnages au propre comme au figuré. C’est le questionnement propre à la foi de chacun qui intéresse Eggers et lui sert de prétexte à l’horreur. S’il ne révolutionne pas le genre, l’ambiguïté de ses images et l’ambiance malsaine de son dernier film suffisent pour l’attendre au tournant pour la suite.


Romain Dubois


The Witch - Dans les salles