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Bo Burnham est grand et je suis tout petit

Il n’est pas le plus connu ni le plus commenté de sa génération. Il ne fait pas la une des magazines, on peut même dire qu’il est un garçon discret. Le grand public n’a pas nécessairement pris la peine de suivre son parcours depuis le succès de sa ch
Bo Burnham est grand et je suis tout petit

Il n’est pas le plus connu ni le plus commenté de sa génération. Il ne fait pas la une des magazines, on peut même dire qu’il est un garçon discret, et cela lui va bien. Le grand public n’a pas nécessairement pris la peine de suivre son parcours depuis le succès de sa chanson Welcome To YouTube, comptine pop composée de blagues qui ne vieillissent vraiment pas bien sur le site de vidéos en ligne. Et pourtant, avec son spectacle Make Happy, et tout particulièrement l’ultime sketch de ce show, Bo Burnham prouve qu’il est un grand, très grand humoriste.


S’il ne s’agissait que d’un spectacle composé de chansons, alors nous ne serions pas ici, à en parler, ni vous à nous lire. Rien de plus facile que d’imaginer une mélodie médiocre pour y coller des paroles stupides, provoquant ici et là quelques rires gras. Bo Burnham, lui, fait autre chose. S’il passe derrière le piano, ce n’est jamais pour singer, mais bien pour créer ses propres morceaux de bravoure, ses propres moments de pop culture. Chez lui, une chanson de rupture devient un ping pong épique entre la douceur d’une balade et la rugosité d’un titre hip hop à la Death Grips, avant d’inverser les rôles. C’est malin, drôle (encore heureux), inattendu. Mais ce n’est rien à côté de l’immense final.

Au moment de se moquer d’un Kanye West enclin à se plaindre de la terre entière, de préférence en concert et à grand renfort d’autotune, Bo Burnham, bien au-delà du choix de ses griefs (les boîtes de Pringles, évidemment trop petites, et les burritos de chez Chipotle), s’approprie la scène, le micro, les attitudes de Kanye et son logiciel correcteur de tonalité pour livrer un moment d’anthologie. Précis dans sa gestuelle (les bras, la bouche qui se tort), l’utilisation des codes, toujours au bon moment (le “brrra”), les lumières, il livre un spectacle qui lui est propre, qui parvient à aller au-delà du pastiche, pour devenir unique. Véritable compositeur, Bo Burnham dévoile ici toute la puissance de ses talents de mélodistes.


Mais la vraie grandeur du kid de seulement 25 ans est encore ailleurs, dans les toutes dernières minutes de ce qu’il serait bien trop réducteur d’appeler un sketch. Là, Bo se met à genoux, jouant avec la machine à ses pieds, pour interroger son propre statut de comédien, mettant à nu ses angoisses comme jamais auparavant, semblant même exister, comme pour la première fois, au travers d’un statut de rappeur, certes temporaire, mais ô combien libérateur. En déclarant que sa plus grande angoisse est le public qui se tient face à lui, l’obligeant à se remettre en question, à trouver les mots justes, à toujours douter et donc à ne jamais être lui-même mais une version plus exubérante et décalée, Bo Burnham ose quelque chose que très peu d’artistes osent réellement faire un jour dans leur carrière: il se met à nu. Le résultat est bouleversant, unique. Et Bo Burnham rentre ainsi dans la cour des très grands.

Nico Prat


Make Happy - Disponible sur Netflix