Created by Richard Schumannfrom the Noun Projecteclair_rocky
Design, Article & Cream
superstylo

"I Hate Fairyland" : il y a quelque chose de pourri au pays imaginaire

« donc tu vois, c’est l’histoire d’une gamine qui est bloquée depuis tellement d’années au pays imaginaire, qu’elle commence à péter un câble. Imagine, c’est Dirty Harry dans le corps d’une gamine de 6 ans et qui flingue des Bisounours ».
"I Hate Fairyland" : il y a quelque chose de pourri au pays imaginaire

Je me demande parfois comment les auteurs de comics peuvent pitcher leur scénar’. Dans le cas de « I Hate Fairyland », j’imagine assez Skottie Young entrer dans les bureaux d’Image Comics et dire un truc comme ça : « donc tu vois, c’est l’histoire d’une gamine qui est bloquée depuis tellement d’années au pays imaginaire, qu’elle commence à péter un câble. Imagine, c’est Dirty Harry dans le corps d’une gamine de 6 ans et qui flingue des Bisounours ». Moi perso j’achète de suite !

i-hate-fairyland-il-y-a-quelque-chose-de-pourri-au-pays-imaginaire

Revisiter le conte de fées a déjà été fait dans le monde du comics. Ces dernières années nous avons eu des oeuvres comme « Fairy Quest » d’Humberto Ramos et Paul Jenkins ou bien encore à « Fables », la série géniale de Bill Willingham, mais cette fois-ci, il y a quelque chose de plus trash dans la façon d’aborder le sujet. Skottie Young est surtout connu pour être un cover artist Marvel, réinterprétant la plupart des héros à la mode « baby ». Skottie aurait pu se contenter de ce genre de dessins qu’il vend à la pelle, mais en 2009 il décide de mettre son trait au service d’une relecture du roman de L. Frank Baum : « Le magicien d’Oz ». La série scénarisée par Eric Shanower va lui ouvrir les portes des Eisner Awards et lui donner l’envie de pousser le curseur un peu plus loin. Déjà avec « Le magicien d’Oz », on s’aperçoit qu’outre l’art de la caricature, Young a le sens du rythme et du découpage. La série est un succès aussi bien critique que populaire, si bien que les suites et spin off sur Dorothy et ses compagnons vont fleurir. En octobre 2015, il décide de se lancer seul sur une nouvelle série qui reprend les codes des contes de fées en les détournant encore une fois. Si la série des « Oz » différait du roman original, elle n’en demeurait pas moins une lecture « tout public », que vous pouviez confier à votre petite nièce. « I Hate Fairyland » n’est pas ce genre d’histoire. 


Le récit commence de façon on ne peut plus normale pour ce genre d’histoire. La petite Gertrude, 6 ans, se voit projetée dans un monde imaginaire où se côtoient les licornes et gentilles fées. Pour sortir de ce monde « merveilleux » elle doit trouver une clé qui la ramènera chez elle. 27 ans plus tard, Gertrude cherche encore. En presque trois décennies, la petite fille candide a laissé sa place à une trentenaire cynique et désabusée qui arpente le monde féérique dans le corps d’une gamine. Pour retrouver cette « lutin » de clé, elle va défourailler tout ce qui bouge, rampe et parle. Avec le temps, Gertrude s’est mutée en une sorte de Conan misanthrope et psychopathe rendue invincible par les termes du contrat qui la lie au monde de « Fairyland ». 


Ne pouvant plus supporter ce fardeau qui plombe le pays imaginaire, la « bonne » reine Cloudia va tenter de ce débarrasser de cet énergumène par tous les moyens.


i-hate-fairyland-il-y-a-quelque-chose-de-pourri-au-pays-imaginaire

Sous une apparence mignonette, « I Hate Fairyland » un récit d’humour noir violent et extrêmement badass. La randonnée sanglante de Gert’ est à la fois fun, sadique et épique. Skottie Young s’amuse à réinterpréter tous les poncifs du genre pour les régurgiter dans un trip sous acide. Bien entendu, c’est en connaissant les références qui sont détournées que le récit va prendre de la consistance. 


Si les premières cases décrivent une chute dans le pays imaginaire à la manière de Alice de Lewis Carroll, c’est ensuite un mashup des plus grands classiques qui vont être détournés. Même si Disney n’est pas directement cité, il est impossible de ne pas voir un Jiminy Cricket au bout du rouleau comme compagnon de route de Gertrude, ou encore la lune de Méliès se faire exploser le crâne à coup de bazooka. Mais, toutes ces références ne sont pas un prérequis nécessaire à l’appréciation du récit qui, même sans en connaitre toutes les ficèles scénaristiques, reste une oeuvre fun et créative. 


Le trait de Skottie Young joue un rôle prépondérant dans cette aventure, accentuant encore le décalage entre la violence du récit et le monde extrêmement beau et coloré dans lequel évoluent les protagonistes. Sous une apparence assez simpliste, le trait cartoony de l’auteur fourmille de mille détails. Accompagné par Jean-François Beaulieu, son coloriste et compère de toujours, Skottie Young prend un immense plaisir à déverser des hectolitres d’hémoglobine sur des créatures toutes aussi kawaii les unes que les autres. Un contrepied qui sert à merveille le récit et qui en met plein la vue.


Gore, irrévérencieux et complètement fou, « I Hate Fairyland » est un comics sous influence. Skottie Young site volontairement « Tank Girl » ou le magazine « MAD » comme sources d’inspiration, mais c’est définitivement la paternité qui lui a donné l’envie d’écrire ce genre d’histoire. C’est en s’apercevant que l’esprit adulte n’était définitivement pas fait pour supporter les programmes jeunesse diffusés sur les networks américains, que l’idée a germée. Quoi de plus naturel que de vouloir faire un carnage au pays de Dora ou de Peppa Pig. Pour autant, « I Hate Fairyland » n’est pas exempt de défauts, car en voulant réinterpréter le genre, le récit garde la même structure que les contes qu’il détourne et peut sembler à terme un peu prévisible et répétitif. Mais ce ne sont que des défauts mineurs qui n’altèrent en rien le plaisir de lecture de cette fable psychédélique et hyper violente.


Le 1er tome de « I Hate Fairyland » est disponible chez Urban Comics.


Christophe BALME

i-hate-fairyland-il-y-a-quelque-chose-de-pourri-au-pays-imaginaire