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LA LA LAND : Singing in The Sun

Les détracteurs de Damien Chazelle, qui n’ont pas aimé Whiplash, pourront lui reconnaître au moins un sens du rythme, de la dramaturgie et une virtuosité rarement vue pour une réalisateur de 29 ans à l’époque. Il aime quand ça groove, quand ca swingu
LA LA LAND : Singing in The Sun

Les détracteurs de Damien Chazelle, qui n’ont pas aimé Whiplash, pourront lui reconnaître au moins un sens du rythme, de la dramaturgie et une virtuosité rarement vue pour un réalisateur de 29 ans à l’époque. Il aime quand ça groove, quand ça swingue, quitte à sortir parfois des sentiers battus, comme dans le jazz, son genre de musique de prédilection. 


En 2009, son premier court-métrage déjà, est une comédie musicale : Guy and Madeline on a Park Bench. Mais le garçon a de la suite dans les idées. Après avoir fait un long-métrage de Whiplash, son deuxième court (2013), et le succès que l’on sait, il annonce vouloir mener à bout son projet de comédie musicale La La Land, hommage à un genre typiquement ricain et qu’il affectionne particulièrement. Plus que casse-gueule, le projet intrigue, d’autant qu’il annonce rapidement avoir Ryan Gosling et Emma Stone au casting (Emma Stone a définitivement les plus beaux yeux d’Hollywood et Ryan Gosling vient de gagner haut la main ses galons d’acteur le plus cool de la décennie, après Drive et The Nice Guys).

Bizarre donc de voir aujourd’hui certains critiques et spectateurs lui reprocher son côté cheap et chantant, ses costumes colorés et ses scènes de claquettes, alors que tout était prévu dans un cahier des charges plus que fidèle aux films de Minelli, Cukor, Donen ou Robert Wise. Pourtant le nom qui revient le plus est celui de Jacques Demy, auquel il emprunte aussi ce côté pop et coloré, allant même à assortir la couleur des robes de son héroïne à celle des poubelles de sa rue ! Au pays de Gene Kelly ou de Fred Astaire, dans un univers où il est de bon ton de savoir chanter pour être un acteur complet, Chazelle n’a pourtant pas fait appel à de pures voix. Gosling chante et compose dans un groupe indé plutôt lugubre (Dead Man’s Bones) et Stone n’a pas vraiment le coffre de Lady Gaga, mais cette fragilité les rend finalement humains, loin des machines à cash de Broadway et des chansons irritantes des productions Disney. Et c’est bien cette humanité et ce petit supplément d’âme qui rendent le film de Chazelle captivant, en dehors d’un emballage convenu et d’un décorum attendu.


La La Land n’est pas un feel-good movie au sens péjoratif du terme. C’est un film qui fait du bien aux yeux, à la tête et à l’âme, certes, mais également au genre en particulier et au cinéma américain en général !

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C’est avant tout une histoire d’amour, une rencontre entre deux individus désireux de changer de vie : elle rêve d’être actrice, il rêve d’ouvrir un club de jazz. ET dans leurs choix d’avenir, ils ne savent plus vraiment sur quel pied danser…Mais c’est également un film sur Hollywood, machine à broyer les illusions. « Une ville qui vénère tout mais ne respecte rien » lui dira t-il d’ailleurs, et où tout le monde roule en Prius, vivant de petits boulots en attendant le grand soir. Malgré les posters d’idoles du Noir et Blanc aux murs, la violence et l’humiliation sont le quotidien banal de centaines d’apprenties starlettes. Sebastian (Gosling), est un puriste, qui refuse de jouer des standards populaires dans un restau (celui de JK Simmons, beau clin d’œil après son Oscar pour Whiplash) ou dans un groupe de baloche new-wave pour animer les bords de piscines des riches producteurs. Dans ce monde de faux semblants, et rattrapés par la réalité, ils choisissent alors la voix la moins facile : un one-woman-show pour elle, partir en tournée avec John Legend (enfin un groupe imaginaire…) pour lui ! Jusqu’au jour où le destin semble enfin leur sourire…

La La Land est un film sur les rêves donc, sur le destin, que l’on se crée en faisant les bons choix, au bon moment. Ou pas. Un film sur le courage d’aller au bout de ses envies et de ses aspirations quitte à tout sacrifier pour ça. Un parcours du combattant qui sent le vécu, bien loin finalement du côté pop et béat qu’on aurait pu redouter dès le départ. Avec une virtuosité qui frôle parfois l’arrogance (quelle scène d’ouverture sur une autoroute !), Chazelle emballe le tout avec grâce et légèreté, ponctuant le tout de dialogues savoureux et souvent drôles. Et c’est ce qui fait toute la différence. Emporté par un souffle salvateur, son film est résolument contemporain et vivant, alors que ce matériau aurait pu donner un résultat catastrophique entre des mains moins expertes. Non, tout n’ y est pas que formol et naphtaline. Et si l’on y regrette le temps du jazz à la papa, on y déplore aussi le fait que l’on ne fasse rien pour qu’il soit enfin accessible aux jeunes générations, pour ne pas qu’il meurt dans l’indifférence générale et les mains des puristes. 


Une belle métaphore du cinéma. Ici c’est cette salle du Rialto qui doit fermer ses portes. On n’y jouera plus « La Fureur de Vivre ». Mais le réalisateur, du haut de son talent, nous rejoue la scène de l’Observatoire en direct, collant ses propres images à celles du film de Nicholas Ray, projetées plein écran. Et cette vision du métier que pratique Chazelle, à l’instar de James Gray, empreinte d’un certain classicisme, se veut résolument moderne dans son envie de continuer à faire exister l’héritage de ce cinéma de l’âge d’or. Un geste de bravoure, un appel, comme pour dire que tout n’est pas perdu. 

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Car à 32 ans, se lancer dans une telle aventure, avec un tel aplomb et un tel talent, voilà une belle leçon donnée à tous les décideurs des studios Hollywoodiens, en pleine domination de Marvel, Pixar et Disney sur une industrie aux abois. Alors oui, on préfère mille fois le déferlement promo et marketing autour d’un film d’auteur comme celui-ci, sur un sujet censé intéresser une frange réduite d’aficionados rétros plutôt que les énièmes remakes et suites qui n’en finissent plus de se ressembler. Après 7 Golden Globes, et 14 nominations aux Oscars, on se doute que la carrière de Chazelle va prendre un essor considérable, et qu’il sera suffisamment fort et intelligent pour aller au bout des projets qui le font vibrer, pour mieux changer le système de l’intérieur. Et ne jamais rien regretter. A l’image de ses deux héros pétillants. 


FABRICE BONNET