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La Forteresse cachée : quand Akira Kurosawa rencontre William Shakespeare

Pour nous, La Forteresse cachée, au-delà de ses similitudes avec Star Wars, est une aventure prototypique d’Hollywood : un héros fantaisiste; une héroïne audacieuse; leurs compagnons comiques; un voyage difficile.
La Forteresse cachée : quand Akira Kurosawa rencontre William Shakespeare

Tout au long de son histoire, le Japon a toujours défendu sa culture. Il a accepté, à contrecœur, l’arrivée des missionnaires au 16e siècle car ceux-ci pouvaient fournir navires, or, armes à feu et nouvelles marchandises. Puis a dû céder dans les années 1850, face au commodore (titre/grade utilisé dans l'United States Navy et l'United States Coast Guard) américain Matthew Perry. Ce dernier arriva au large des côtes nippones accompagné d’une importante flotte de navires militaires afin de remettre une lettre du président américain Millard Fillmore à l’Empereur du Japon. C’est lors de cette expédition que Perry signa aux côtés du shogunat des Tokugawa, la convention de Kanagawa (1854) qui permit à l’empire du Soleil-Levant de s’ouvrir progressivement au commerce avec l'Occident. 


Cinématiquement, les premiers cinéastes japonais, en raison de l’implication du gouvernement élaborent un style propre basé sur le théâtre Nô. Minimaliste et à l’analyse, sociale notamment, discrète et qui se distingue clairement du film occidental de la même période.


Akira Kurosawa, cependant, ne s’est pas contenté de prolonger cette norme unique. Au Japon après la Seconde Guerre mondiale, époque où sa patrie était occupée par les États-Unis, Kurosawa choisi de regarder et d’adopter certaines idéologies filmiques occidentales. Il s’inspire de Shakespeare, des « pulps » américains comme matériaux de base et des styles narratifs et techniques cinématographiques d’Hollywood. En combinant ces éléments avec sa propre formation dans le système des studios japonais, Kurosawa est l’un des premiers colporteurs d’un style véritablement international, une alchimie raffinée du cinéma qui sera par la suite adaptée par l’Europe et les USA. Contrairement à lui les cinéastes japonais contemporains tels que Ozu et Mizoguchi ont tendance à se concentrer sur des éléments strictement nippons au style nuancé et débonnaire, ne touchant pas le public occident pendant de nombreuses années, alors que le style de Kurosawa était facilement accessible pour de nombreuses cultures. A partir de Rashômon, le travail d’Akira Kurosawa a permis l’émergence des cinéastes japonais et la culture japonaise contemporaine à travers le monde entier.

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[Akira Kurosawa] L’étudiant en littérature étrangère a été fortement influencé par des auteurs comme Fiodor Dostoïevski et William Shakespare. Dans ses films Le Château de l’araignée (1957) et Ran (1985), il a réinterprété Macbeth et Le Roi Lear, en histoires de guerre et intrigues politiques dans le Japon féodal. La nature de nombreux personnages tragiques de William Shakespeare s’inscrit bien dans le code du samouraï, dont beaucoup risquent de tomber en raison de leurs propres ambitions violentes et des machinations de leurs camarades/rivaux. Shakespare a utilisé une version modernisée de l’histoire afin de mieux faire comprendre à son public les enjeux politiques et sociétaux dans lesquels ils vivaient. Kurosawa a fait de même dans le Japon contemporain, mélangeant les éléments du théâtre Nô et réinterprétant les pièces anglaises pour son public. Une grande partie du maquillage et des coiffures utilisés dans ces interprétations rappellent les masques émotifs utilisés dans le Nô, indiquant souvent la nature réelle d’un personnage qui tente de se cacher derrière des propos trompeurs.


Beaucoup d’autres œuvres de Kurosawa, bien qu’elles ne se basent pas directement sur les pièces du poète britannique, contiennent encore des éléments shakespeariens. L’inclusion de personnages comiques, comme le fou, dans les drames, est répondue dans les créations des deux hommes. Ces personnages servent souvent à présenter l’histoire auprès du public, et nous réservent quelques moments de légèreté pour compenser la nature souvent tragique de ces histoires. Des éléments comiques étaient présents dans certaines œuvres dramatiques hollywoodiennes de l’époque, mais peu de réalisateurs trouvaient cet équilibre entre apesanteur et danger, leurs travaux risquant souvent de devenir gnangnan ou ringard. 

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Dans les aventures telles que Les Sept Samouraïs (1955) et La Forteresse cachée (1958), les personnages comiques font partie intégrante au récit. Dans les années ultérieures, cet équilibre de la comédie et du drame devient essentiel à la machine « blockbuster » d’Hollywood. Des films de guerre tels que Les Douze Salopards (1967) aux films mafieux comme Les Affranchis (1990) à l’adaptation Le Seigneur des Anneaux (2001 à 2003), sans parler des œuvres d’Altman, Spielberg et Tarantino – Hollywood a joué sur cet assemblage hétéroclite, affinant la formule shakespearienne avec légèreté et gravité. Le concept d’équilibrer la comédie avec de la tragédie existe depuis des siècles dans la littérature occidentale et au théâtre, mais Kurosawa a été parmi les premiers à l’exécuter si habilement au cinéma, un exploit qui sera adopté par des toute une génération de metteurs en scène après lui.


La Forteresse cachée illustre en particulier l’influence de Shakespeare sur Kurosawa et est l’un des films les plus influents du metteur en scène japonais. Il ne s’agit peut-être pas d’une adaptation simple de Shakespeare, mais il contient plusieurs éléments dérivés de l’œuvre du poète d’Avon, qui deviendront par la suite des éléments de base pour sa filmographie – notamment l’utilisation de citoyens ordinaires pour relater une fable morale sur l’aristocratie et ce de manière divertissante. A son tour, ce type de film est devenu prototypique pour les longs-métrages d’aventures modernes produits par l’industrie hollywoodienne.


La Forteresse cachée se présente comme un récit historique, relatant l’histoire de la princesse déchue Yuki, son fidèle général Makabe, et de leur quête à refonder le clan Akizuki. Son caractère moral et historique est propre à Shakespeare – les personnages fictionnels rencontrent des événements historiques réels, permettant à l’auteur de critiquer les mœurs sociales telles que la cupidité (matérielle et politique), la fidélité (à ses croyances et amis), la classe et le rôle des femmes. Dans cette forêt, Kurosawa revisite l’imagerie de Shakespeare où les protagonistes s’embourbent, démontrant la nature souvent confuse du but de l’homme.


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L’utilisation des « imbéciles » Tahei (Minoru Chiaki) et Matashichi (Kamatari Fujiwara) permet de mettre en place le cadre de l’histoire, et à travers le film, leur avidité et leurs querelles servent d’éléments comiques pour compenser la gravité mortelle de Makabe joué par Toshiro Mifune. Beaucoup de ces séquences, en particulier lorsque le duo est brièvement séparé, rappelle les plans de R2D2 et C3PO sur la planète Tatooine dans le space opera Star Wars de George Lucas. L’histoire est initialement interprétée à travers les personnages les plus modestes puis développée à mesure que celle-ci progresse. Lucas a reconnu l’influence du film de Kurosawa : les princesses en péril Yuki/Leia; Makabe/Obi Wan (et aussi Han Solo), protégeant la princesse; le général Tadokoro/Darth Vader. Les similitudes vestimentaires, les styles de vie et la philosophie entre les samouraïs et les Jedi sont remarquables, tout comme les techniques de cinéma et l’utilisation d’épées, qu’il s’agisse de sabre laser ou de katana, comme arme principale.


Shakespeare, Kurosawa et même Lucas ont utilisé leurs mélodrames comme critiques historiques. La tragédie Jules César (1599), en se concentrant sur la mort d’un souverain et sur les questions de leadership et de guerre civile qui se sont posées à cette époque, a reflété le questionnement du peuple britannique pendant la fin du règne de la reine Elisabeth. Alors que La Forteresse cachée et La Guerre des étoiles (1977) impliquent le questionnement du leadership en temps de crise. Dans La Forteresse cachée, Kurosawa critique également cette fidélité à la mort – le Bushido – avec Makabe protégeant la princesse alors que sa famille est forcée de mourir. L’avidité des individus issus de la classe inférieure dans La Forteresse cachée n’est que le résultat de leur désespoir causé par la classe dirigeante. Les Jedi suivent un code de conduite similaire aux samouraïs, mais l’apparence hétéroclite des instructeurs dans les films précédents les aide à paraître plus nobles contre la flotte impériale « SS ».

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Cette tradition consistant à combiner les critiques morales et sociales en divertissement, est familière au public hollywoodien d’aujourd’hui et trouve ses racines dans la moralité de la Grèce antique et les symboles bibliques. Pour nous, La Forteresse cachée, au-delà de ses similitudes avec Star Wars, est une aventure prototypique d’Hollywood : un héros fantaisiste ; une héroïne audacieuse ; leurs compagnons comiques ; un voyage difficile. Au fil du périple, ils rencontrent amis et ennemis, et bien que les choses puissent être compliquées, nos héros l’emportent. Cette cinématographie montre une série de beaux panoramas et les cordes/bois de la bande originale (de Masaru Sat?) permettent d’accentuer l’action et d’intensifier l’effet dramatique – si ce n’est lyrique.


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Pierre Sauveton

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