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Neil Gaiman : Hier encore...

A l'occasion de la diffusion de la série American Gods, nous repostons cet article sur Neil Gaiman paru il y a quelques mois.
Neil Gaiman : Hier encore...

A l'occasion de la diffusion de la série American Gods, nous repostons cet article sur Neil Gaiman paru il y a quelques mois.


"Je vais avoir trente ans. Je vais bientôt avoir trente ans, et la nouvelle ne me plaît guère. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j’ai toujours vu cet âge, cet enchaînement de trois décennies, comme un point final.

Je ne vais pas mourir, je ne crois pas, mais je vais avoir trente ans, et c’est un peu la même chose. Trente ans, c’est être adulte. Quand on a trente ans, on ne peut plus tellement faire de conneries, on n’a plus le droit à l’erreur, on se doit d’être responsable. Quand on a trente ans, on est sérieux, on sait remplir sa feuille d’impôts, on a un boulot stable, on sait de quoi demain sera fait et on a des amis de trente ans également. Je vais bientôt avoir trente ans, et cet état de fait me terrifie, je ne suis pas sûr d’en être capable, et je suis certain de ne pas en avoir envie. Quand on a trente ans, on est une grande personne. Et les grandes personnes sont tristes.


Neil Gaiman est né peu avant ses trente ans, en 1989, avec Sandman. Bien sûr, avant d’être réellement Neil Gaiman, il a eu le temps de se faire la main dans la presse, Imagine Magazine par exemple, et refusa, pour l’anecdote, un job chez Penthouse. Il publia à 24 ans une biographie de Duran Duran. Devenu pote avec Alan Moore, il reprit Marvelman, avant de se faire embaucher chez DC Comics en février 1987. Là, il publia Black Orchid. Et la maison de Batman et Superman lui offrit la chance de sa vie: remettre au goût du jour The Sandman. Nous sommes à la fin des années 80. La magie opèrera de janvier 1989 (Neil Gaiman a alors 29 ans et trois mois, et se dirige entement mais sûrement vers le 3 suivi du 0) à mars 1996. 75 numéros, aujourd’hui disponibles en lourds recueils. The Sandman, ou l’histoire de Dream, homme en noir, homme sans âge, plus puissant que les dieux. Un homme qui erre, et qui, sur le papier, semble triste, hors du temps.

Devenir adulte implique nécessairement de ne plus croire à certaines choses, non ? De ne plus croire à la magie, aux rêves, à la chance, au destin. Il faut désormais croire au concret, au débat, à son banquier et à sa femme. Devenir adulte implique nécessairement de laisser sa place aux autres, aux enfants qui eux, verront à votre place des singes dans la forme des nuages, un monstre dans l’ombre sous le lit, ou le véritable amour dans le cour de récréation. Avoir trente ans, c’est renoncer, accepter de perdre face au temps qui n’en a pas grand chose à foutre de votre agenda.

1990. Neil Gaiman est un anglais de 30 ans qui vit sa vie de nouvelle star du roman graphique. Au sujet de The Sandman, la presse est unanime, et lui, sait pertinemment où il va. Il sait qu’il en a sous le coude pour les années à venir, il sait que tout se passera bien. Et pourtant, déjà, la mélancolie fait son oeuvre, le ver est dans le fruit. En 1999, Stardust: une space love story irréelle, de celles q’on extrait des rêves des enfants. American Gods, en 2001, conte le conflit des anciens et des modernes, d’hier et d’aujourd’hui, pour la conquête de demain. Coraline, en 2002, narre l’exploration d’un appartement par une petite fille innocente qui devra grandir pour survivre. L’étrange Vie de Nobody Owens, ou le destin d’un bébé orphelin, élevé par le esprits d’un cimetière, découvrant la vie à leurs côtés avant de prendre son envol. L’Océan au Bout du Chemin, enfin, paru l’année dernière, met des mots définitifs sur nos escapades d’un après-midi, dans le jardin, quand une pierre devenait une montage, une vieille une sorcière, un chat un monstre, et un brin d’herbe une épée.

Je ne veux pas grandir, je voudrais m’arrêter là, et même, si possible, revenir quelques années en arrière, et figer le temps. On me dit que tout se passera bien, qu’il reste plein de choses à accomplir, et que ce n’est qu’un chiffre, ce n’est qu’un trois devant un zéro, et pas besoin d’en faire tout un plat. Mais ce que me dit Neil Gaiman, lui, c’est que non, jamais on n’oublie, jamais on n’en revient vraiment. Le temps passera, beaucoup trop vite, et rien, strictement rien ne pourra l’en empêcher, sauf peut-être la plume et l’imagination. Neil Gaiman n’est pas un auteur nostalgique, s’il l’était, il en serait sans aucun doute à son troisième reboot de The Sandman. Mais Neil Gaiman sait. Il sait que rien ne sera plus comme hier, et sait le raconter, avec ses histoires, ses héros, son ambition (American Gods) comme sa désarmante simplicité (Coraline).


Lire le Neil Gaiman des années 2000 et 2010, c’est réaliser à quel point à quel point c’était chouette d’être un enfant, et à quel point, adolescent, nous étions stupides de penser que cela durerait éternellement. Mais finalement, lire Neil Gaiman (et, comme moi, le découvrir et le dévorer en cette première moitié de l’année 2015, peu avant le fatidique et terriblement important mois de Juillet), c’est aussi se rendre compte que malgré notre bêtise et nos convictions solidement ancrées, il est encore permis, malgré tout et jusqu’à la fin, de vivre sa vie comme un combat de figurines".


Nico Prat