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Lady Snowblood ou la princesse neige-carnage

Un asura, dans la mythologie indouiste, est décrit comme un demi-dieu vengeur qui ne peut jamais connaitre le vrai bonheur – ses désirs ne seront jamais satisfaits, et bien que son existence soit imprégnée de plaisirs charnels, un asura ne sera jamai
Lady Snowblood ou la princesse neige-carnage

Un asura, dans la mythologie indouiste, est décrit comme un demi-dieu vengeur qui ne peut jamais connaitre le vrai bonheur – ses désirs ne seront jamais satisfaits, et bien que son existence soit imprégnée de plaisirs charnels, un asura ne sera jamais vraiment heureux.


Ce mythe fournit une description appropriée à l’héroïne de Toshiya Fujita en 1973, Lady Snowblood. Dans ce film, Fujita (et son actrice principale Meiko Kaji) tisse un conte sombre et visuellement magnifique sur le destin, la haine, la violence et le prix de la vengeance.


Basée sur le manga éponyme de Kazuo Koike et Kazuo Kamimura (1972), l’adaptation Lady Snowblood suit une femme nommée Yuki, qui a littéralement hérité du désir de vengeance de sa mère lors de sa naissance. En conséquence, Yuki s’est entrainée dès son enfance pour assassiner un groupe de criminels ayant violé sa mère et tué son père et son frère. A l’âge adulte, Yuki endosse sa cape imprégnée d’une vipère et tue sans pitié. Le moteur du film est la vengeance – la mère de Yuki révèle dans l’un des nombreux flashbacks non linéaires du film qu’elle a donné naissance à Yuki, sans aucune autre raison que de l’élever en tueuse. Ainsi, l’existence de Yuki est basée sur ce but.

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Tout au long du film, Yuki reconnait à quel point elle se sent vide en tant qu’être humain, et celui-ci devient l’une des thématiques clés du film. Yuki ne sera jamais comblée, comme un asura. Elle évite constamment toutes émotions et reste cachée derrière ce conflit vengeur qui lui a été imposé dès sa naissance. La narration indique explicitement qu’il y a un esprit attentionné sous le comportement froid de Yuki, mais traquer ces criminels est la chose la plus importante pour elle. Il n’y a jamais d’hésitation lorsqu’elle s’apprête à porter le coup fatal à ses ennemis. Elle est fermement déterminée et imparable. Yuki est tellement attachée à ce rôle qu’elle fait une dépression émotionnelle quand elle apprend qu’une de ses futures victimes est décédée de vieillesse. La capacité de Kaji à évoquer silencieusement ses tourments et à exprimer sa détermination est admirable. Et il y a toujours un mélange de chagrin, de colère et de cruauté sur son visage. Une fois que Yuki a atteint son but, elle n’a plus rien. Il n’y a pas de moment dramatique ou de partition orchestrale triomphante lorsqu’elle tue les derniers criminels – elle a seulement gaspillé sa vie, détruit la vie d’autres personnes et maintenant sa vie est effectivement sans but. 


La fin du film semble suggérer, cependant, que Yuki pourrait être amenée à débuter une vie nouvelle. Pendant le long-métrage, Yuki est poignardée par la fille d’un des criminels assassinés, et se voit également blessée par sa dernière victime. Elle s’effondre dans la neige au milieu de la nuit. Sa mission est terminée. Cependant, le matin vient, et le dernier plan du film montre Yuki se relever, lentement. Le film reconnait que même si le but de Yuki est atteint et que celui-ci est finalement destructeur, sans aucune chance d’aboutir à une fin heureuse, l’idée de venger les injustices commises contre sa famille innocente était peut-être valable et Yuki méritait la vie – cependant ce n’est pas parce que votre rôle est rempli que votre voyage est terminé.

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Lady Snowblood est également très attachée à l’idée que les enfants sont liés aux actions de ceux qui les portent. Souvent, le seul lien entre les enfants et leurs parents est la violence – la mère de Yuki est morte en la mettant au monde, et les seuls liens qu’ils partagent sont le souvenir obsédant du viol de sa mère (dans le film, ce souvenir a été spirituellement transmis à Yuki) et sa route démonique vers la vengeance. Yuki existe simplement comme un outil pour la vengeance de sa mère. Et deux des enfants de ses victimes, qui ont quasiment le même âge, sont aussi aspirés par le conflit. L’une des filles est une jeune femme douce qui se prostitue pour acheter les traitements de son père malade. Lorsqu’elle la rencontre, Yuki est peinée, mais elle n’hésite pas à la tuer. Cette fille poignardera Yuki – elle aussi a été transformée en une machine à tuer et vengeresse. Un artiste qui aide Yuki dans sa quête se révèle être le fils d’un des criminels. La violence sera l’élément central du film ; quelle que soit l’intention, il s’agissait d’un conflit qui ne pouvait que se terminer par la mort de toute personne (in)directement impliquée. La tragédie engendre la tragédie et les actions ont des conséquences, même pour ceux qui n’ont d’autre choix que de s’impliquer.


Il convient également de mentionner les éléments historiques du récit. Lady Snowblood se déroule à l’ère Meiji, plus précisément au moment où le complexe militaro-industriel commençait à prendre possession du pays au tournant du XXe siècle. La peur des conscrits saisit les paysans dans les scènes de flashback. En fait, la raison pour laquelle la mère de Yuki et sa famille sont attaquées est due à la suspicion des paysans envers son mari, qui serait selon eux un conscrit. Chaque tragédie du film peut être attribuée à cette militarisation du Japon. Les meurtriers ont pu escroquer leurs compatriotes en les persuadant qu’ils pouvaient éviter la conscription (en 1873, le gouvernement impérial vote la conscription et crée l'Armée impériale japonaise) en payant une taxe. Le film semble proposer un message relativement simple : la guerre ne fait que rendre les choses misérables pour ceux qui n’appartiennent pas aux castes supérieures de la société. 


Une autre observation de Lady Snowblood qui mérite d’être mentionnée est sa représentation du sexe. Il aurait été assez facile pour ce film de présenter des scènes de nudité et de sexualité gratuites. L’une des raisons pour lesquelles Yuki est un assassin efficace est que son attitude attrayante et distinguée attire ses cibles dans un faux sentiment de sécurité. Lady Snowblood dépeint le sexe sous un jour relativement négatif – la mère de Yuki est violée et s’avère aussi être une nymphomane, la fille d’un des criminels se prostitue. Le sexe dans le film est affiché comme quelque chose de sale et laid. Cela ajoute quelque chose de spécial au personnage principal – Yuki est toujours dépeinte comme une femme élégante et belle. La seule fois où elle est considérée comme un objet sexuel par certains villageois excités, ceux-ci finissent presque tous par être assassinés. Il est très intéressant de voir un personnage féminin attrayant dans un film comme celui-ci, sans romance forcée ni utilisation de son corps pour poursuivre ses objectifs.

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Il y a de nombreux points intéressants et de thèmes abordés dans Lady Snowblood, mais le long-métrage brille grâce à son image. Visuellement, c’est tout simplement l’un des plus beaux films japonais. Les couleurs sont éclatantes, belles et la photographie est superbement composée. La première fois que nous voyons Yuki adulte, elle marche dans la neige à l’orée d’un petit village. Sa peau est blanche comme le lait, son kimono est raffiné et porte quelques éclats de jaune (mais deviendra vite rouge sang) et elle porte un parapluie violet qui dissimule sa lame. Tout cela avec une fine neige tombant sur le sombre et morne temple du village, créant un fantastique contraste de couleurs. Le film est lancé et avec une telle introduction nous gardons les yeux rivés à l’écran pendant toute sa durée. Un composant visuel extrêmement intéressant du film est le sang. Lady Snowblood est impitoyablement violent – Fujita n’hésite jamais à montrer les exécutions, démembrements, éventrations et ce dans les moindres détails. Cependant, même la violence dans ce film est magnifique à voir. Fujita et son équipe semblent avoir utilisé une peinture vive au lieu du faux sang typiquement utilisé dans la plupart des films. Cela fait éclater les scènes de violences brutales et leurs donnent une qualité visuelle enivrante.


Chaque plan de Lady Snowblood est filmé avec beaucoup de soin – il semble qu’il n’y ait jamais eu un décor ou une scène où tout n’était pas arrangé et composé avec la plus grande application, des acteurs aux objets en arrière-plan et au premier plan. Même si vous ne regardez pas le film avec cet œil avisé, vous ne pouvez pas vous empêcher, inconsciemment, de réaliser à quel point chaque détail est minutieux. Certaines scènes se déroulent dans des décors d’un noir pur, donnant presque au film le sentiment d’une performance scénique. La cinématographie reflète souvent la façon dont les personnages se sentent à travers l’absence de lumière. Les scènes de la mère de Yuki en prison sont présentées de manière très claustrophobe avec peu de lumière. Vous ressentez une compréhension très intime des personnages. Tout a été enlevé, vous laissant pris au piège avec eux. Ces personnages sombrent dans les ténèbres. D’autres fois, les couleurs vives contrastent avec les événements ignobles – la scène de l’annihilation de la famille de la mère de Yuki se déroule dans un village ensoleillé et la grande scène violente du film se déroule lors d’un bal masqué.


Des falaises rocheuses et son littoral bleu profond, aux kimonos et à la neige peinte d’un sang rouge vif, en passant par les intérieurs sombres et claustrophobes, Lady Snowblood est une claque visuelle. Le long-métrage de Toshiya Fujita rend hommage au manga et à ses racines tout en créant un style frappant. Lady Snowblood est entré dans les annales du cinéma japonais et c’est l’un des films les plus visuellement époustouflants jamais réalisés.


Lady Snowblood, l’intégrale du manga disponible aux éditions Kana.

Lady Snowblood, l’intégrale Blu-Ray et DVD disponible chez HK Vidéo.


Pierre Sauveton


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