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Le légendaire Leonard Cohen, un visionnaire fidèle à son art jusqu’à la dernière note

« I’m ready my Lord ».  Ainsi les mots de la chanson You Want It Darker, résonnent de manière particulière aujourd’hui, comme le « Look up here i’m in heaven » du Lazarus de Bowie en janvier.
Le légendaire Leonard Cohen, un visionnaire fidèle à son art jusqu’à la dernière note

« I’m ready my Lord ». 


Ainsi les mots de la chanson You Want It Darker, résonnent de manière particulière aujourd’hui, comme le « Look up here i’m in heaven » du Lazarus de Bowie en janvier. Deux artistes visionnaires, venant de sortir leurs derniers albums avec la pleine conscience de leur disparition prochaine, mais restant fidèles à leur art jusqu’à la dernière note. Deux chanteurs hors-normes qui auront su faire évoluer leur travail en permanence, sans jamais chercher à plaire ou à flatter les bas instincts d’un public avide de tubes. Le succès viendra de lui même, attiré par tant de classe et de talent naturel. D’ailleurs, bien trop sombre et intello pour toute une frange du public folk américain, Cohen vendra finalement beaucoup plus en Europe ou au Canada, devenant une vraie référence qualitative, là où un Bob Dylan continuera d’électriser les foules américaines sans soucis jusque dans les années 80. Mais au moment où le Zim commence à décliner sévère, Cohen retrouve une seconde jeunesse en injectant des claviers dans sa production de plus en plus glacée. Various Position en 84 (Hallelujah, Dance Me to the End of love) puis I’m Your Man en 88 ( Everybody Knows, First We Take Manhattan, I’m Your man…) apportent leur lot de chansons incontournables, reprises depuis dans des dizaines de films ou séries en tous genres. 


On retrouvera avec bonheur le fabuleux Everybody Knows dans Pump Up The Volume, Exotica d’Egoyan jusqu’au Programme de Stephen Frears ou Infiltrator de Brad Furman, en passant par des séries aussi marquantes que Homeland ou Damages…Le canadien trouve un nouveau public et se rappelle au bon souvenir des anciens qui le laissaient déjà pour mort après le moyen Recent Songs (79). Mais jusqu’au bout, après un retour aux affaires en 2008 pour une tournée mondiale, Cohen restera prolifique et passionnant, sortant 3 albums en 4 ans (Old Ideas, Popular Problems, You Want it Darker), histoire de solder les comptes et de vider les carnets de notes avant que la grande faucheuse ne continue son hécatombe artistique en cette année 2016 plus que funeste. 

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Moine bouddhiste zen, le canadien aura de toute manière eut une approche détachée de la vie et de la mort jusqu’à la fin. Sage parmi les sages, ses chansons étaient empreintes de cette noirceur et de cette lucidité éclairantes que peu d’artistes savent manipuler sans risquer la sortie de route. Poète avant tout, Cohen aurait pu avoir le Prix Nobel de littérature parti chez son vieil ami Dylan, et ce n’eut été que justice. Homme à femmes, Cohen écrivait d’ailleurs cet été une lettre poignante après la disparition de Marianne Ihlen, sa Marianne, se disant près à la rejoindre, comme le témoignage bouleversant d’un artiste à sa muse. Une œuvre pleine de chansons d’amour, de ruptures et de scènes assez crues. Cohen a la plume acide et brûlante. Dans Paper Thin Hotel il entend sa femme faire l’amour dans la chambre d’hôtel d’à côté, dans Chelsea Hotel #2 il parle de sa brève relation buccale avec Janis Joplin, et dans Don’t go home with your hard-on, qu’il vaut mieux ne pas rentrer chez soi avec la gaule…Les femmes, l’amour, le sexe : la vie.


Quand on découvre Cohen à 10 ans, on ne saisit bien sûr pas les subtilités d’une langue bien trop érudite pour notre jeune âge. Mais là, dans la pile de vinyles paternels, entre le Nebraska de Springsteen et quelques vieux Stones, on se laisse intriguer par les pochettes de Songs of Leonard Cohen ou Songs From A Room. Et les premières écoutes de Suzanne, So Long Marianne, Bird on the wire ou The Partisan deviennent une expérience passionnante, puis un besoin, comme un refuge sonore où cette voix amie nous protège des mauvais sorts. Teachers et son jeu de guitare entêtant devient même une véritable obsession. Quel choc donc de découvrir en 91 tous nos héros d’alors (Nick Cave, REM, House Of Love ou James…) reprendre des chansons familières et d’en découvrir d’autres sur I’m Your Fan, formidable tribute album initié par les Inrocks et qui remet Cohen à la mode chez les indés. Peu de faute de goût, et, à la fin, une reprise fulgurante d’Hallelujah par John Cale, dont la version légèrement modifiée sera chantée quelques années plus tard par un certain Jeff Buckley avant d’être régulièrement massacrée dans divers télé-crochets avariés. D’ailleurs comme Bowie, dont la nouvelle génération pensait que The Man Who Sold The World fut composé par Kurt Cobain, Cohen sera un peu dépossédé de sa création, bien que moins passionnante dans sa version d’origine ! Qu’importe finalement, son œuvre se diffuse au plus grand nombre avec le seul risque qu’elle devienne un jour la bande-son idéale de tous ceux qui succomberont à sa magie. On ne compte plus les milliers de reprises de ses tubes à travers le monde : de Graeme Allwright (son Hugues Aufray à lui) à Lana Del Rey, de 16 Horsepower aux Last Shadow Puppets, l’œuvre du canadien est parmi la plus célébrée, souvent avec quelques guitares autour d’un feu de bois…


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D’ailleurs, depuis que j’écris, à chaque scénario ébauché, je sais qu’une chanson de Cohen sera nécessaire pour emporter mon futur chef d’œuvre dans des abîmes d’émotion. Ce que feront d’ailleurs des dizaines de réalisateurs avant moi ! Même Olivier Marchal aura le bon goût d’utiliser Avalanche dans MR 73 ! Le grand Léo apparaitra aussi dans un épisode de Miami Vice, grande série crépusculaire de Michael Mann, avant que son Nevermind de 2014 ne devienne le générique poisseux de la deuxième saison de True Detective. La boucle est bouclée. 


Avec sa voix d’outre-tombe, dans laquelle on sent passer les mêmes fantômes, les mêmes frissons que dans celle des derniers Johnny Cash, Léo est revenu une dernière fois en septembre nous rappeler combien il avait compté et combien il comptera encore dans les années à venir. You Want It Darker n’est pas un appel à l’amour multiracial, mais peut-être bien une mise en garde sur l’état du monde actuel : on le voulait plus sombre, on a tué la flamme. A l’aide de ses chansons comme de multiples chandelles, Cohen nous aura éclairé pendant 50 ans sur l’âme humaine, ses tréfonds et ses peines. Il part aujourd’hui apaisé, lucide et conscient du travail accompli. I’m leaving the table, I’m out of the game. A nous d’atteindre maintenant son niveau de sagesse et de zénitude. On risque d’en avoir plus que besoin pour affronter la suite : I’ve seen the future, brother : and it’s murder (The Future, 1992).


Fabrice Bonnet