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PROFIT : mais pourquoi est-il aussi méchant ?

Tony Soprano, Vic Mackey, Dexter Morgan, Walter White, Frank Underwood… Voici votre père : Profit, Jim Profit, premier anti-héros TV des années quatre-vingt-dix. Mais contrairement à vous, il est parti trop tôt et tombé dans l’oubli. Profit, la série
PROFIT : mais pourquoi est-il aussi méchant ?

Tony Soprano, Vic Mackey, Dexter Morgan, Walter White, Frank Underwood… Voici votre père : Profit, Jim Profit, premier anti-héros TV des années quatre-vingt-dix. Mais contrairement à vous, il est parti trop tôt et tombé dans l’oubli. Profit, la série devenue culte en seulement huit épisodes, raconte l’itinéraire d’un golden boy au lourd passé prêt à tout pour réussir. Avant-gardiste, visionnaire, hyper sombre et cynique pour son époque, Profit est surtout l’histoire d’une rencontre ratée. Attention, cet article est très riche en spoilers.


« C’est génial, mais c’est annulé. On pourrait graver ces mots sur une pierre tombale. » Adrian Pasdar fait de l’humour noir. Le comédien n’en revient pas de la décision de la Fox.


Fin avril 1996, la chaîne du conservateur mogul Rupert Murdoch vient de suspendre la diffusion de sa nouvelle série, après cinq épisodes à l’antenne – la faute au manque d’audience, mais pas seulement. Des centaines de coup de fil, la plupart venant de mouvements religieux, se plaignent de ce personnage, ce Jim Profit qui supprime ses collègues de boulot, couche avec sa mère… « Un satan en costume ». L’équivalent du MEDEF US est scandalisé par cette représentation du monde des affaires. Dans les couloirs de la Fox, on va jusqu’à dire que Monsieur Murdoch en personne trouve que la série donne une mauvaise image des entreprises américaines. Certaines chaînes locales affiliées à la Fox préfèrent même remplacer le programme. Pourquoi tant de haine ? Tout partait pourtant d’une bonne intention. Et surtout d’une belle rencontre.


Richard III et le serial killer

John McNamara a 34 ans à l’époque. Le scénariste vient de faire ses armes sur Loïs et Clark, les nouvelles aventures de Superman diffusé sur ABC. David Greenwalt, de 13 ans son aîné, a été formé par Stephen J. Cannell, l’homme derrière L’Agence Tous Risques, 21 Jump Street, Rick Hunter, et qui accessoirement fait voler ses feuilles après les avoir tapées sur sa machine à écrire. En pleine ébauche pour une nouvelle série, plusieurs histoires vont inspirer les créateurs de Profit. En 1992, Ian McKellen (encore trop jeune pour porter le casque de Magneto) part en tournée américaine d’une nouvelle version de Richard III, le roi des manipulateurs imaginé par Shakespeare. Un personnage qui cache des zones d’ombre. Un jour, McNamara assiste à une répétition de McKellen. La pièce s’ouvre sur un monologue de Richard qui dévoile au public la manière dont il va s’emparer de la couronne de son frère Edouard IV. Ce genre de personnage, malfaisant, qu’on adore détester, n’est pas encore l’apanage des séries, monde pourtant impitoyable régi à l’époque par Melrose place ou X-Files. Après avoir convaincu Greenwalt de développer ce Richard III pour les années quatre-vingt-dix, reste à savoir dans quel milieu le faire évoluer. Là aussi les gars veulent innover dans un monde rarement dépeint sur le petit écran, celui de l’entreprise, de la cogip, mais à la sauce américaine. C’est vrai, quelle série a jusqu’ici levé le voile sur les dures réalités des cadres dynamiques (outre Ma sorcière bien-aimée avec l’agence de pub McMann & Tate) ? Le Wall Street d’Oliver Stone en 1987 a marqué les esprits. American Psycho de Bret Eston Ellis explose encore les ventes et fait polémique. Cette histoire de golden boy sociopathe et fan de Phil Collins a de quoi faire des émules. Les dernières recherches de McNamara et Greenwalt vont finir de les convaincre. Parmi leurs ouvrages consultés, il y a ces mémoires d’un ancien du FBI qui raconte comment un petit garçon maltraité par ses parents a fini serial killer… Jim Profit prend forme. Cet enfant, abusé par ses parents, forcé à dormir nu dans un carton siglé Gracen & Gracen, va intégrer la société une fois adulte pour froidement y prendre le contrôle – coûte que coûte, manigance après manigance, calcul après calcul. Il est mystérieux, glauque et drôle, comme les rapports incestueux qu’il a avec sa mère, une junkie elle aussi manipulatrice qui le fait chanter. Shakespearien, on vous disait.

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Certes les décors, les costumes, les coupes de cheveux, les ordis (!!!) suent les années Clinton, mais le récit de ce sociopathe qui nous prend à témoin dans sa quête sans limite du pouvoir est intemporel. La mise en scène, très polar est également novatrice, notamment quand Profit se balade via des lunettes 3D dans les bureaux de sa société. Tout cela avant de nous dire bonne nuit, face caméra, et de se coucher nu dans son carton, au milieu d’un vaste appartement vide. Stephen J. Cannell, producteur exécutif de la série, apporte à l’intrigue des enjeux et des retournements que l’on trouve dans ses fictions policières. Une fiction au budget pas énorme, avec un casting confidentiel. Le rôle principal est confié au jeune Adrian Pasdar, vu brièvement dans Top Gun. Dès sa diffusion en deux parties sur Fox, le 8 avril 1996, le pilote intrigue les critiques. La presse est séduite par le côté sulfureux du personnage principal, le manque de moral et la satire du monde de l’entreprise. Entertainment Weekly classe le programme dans son top 10 des séries de l’année. Les audiences en décideront autrement…


Postérité


Il faudra quelques années pour que la série obtienne le statut d’objet culte. En 1996, HBO n’a pas encore misé sur les séries. Showtime et Cannel ont eu pour projet de relancer d’autres épisodes, en vain. La chaîne diffusera dix longues années plus tard une série qui a pour héros un serial killer expert en autopsie pour la police de Miami, joué par un ancien croquemort gay… La télévision n’était décidément pas prête pour Profit. Les trois épisodes qui avaient été tournés et mis au placard ne seront diffusés sur la confidentielle chaîne canadienne Trio qu’en 2002. La sortie de l’intégrale en DVD se fera trois ans plus tard. Un carton.


Adrian Pasdar connaîtra plus tard une plus longue reconnaissance, dans la peau du président Nathan Petrelli de Heroes. Cet échec d’audience provoquera la séparation du duo Greenwalt-McMamara. Le premier ne reproduira pas la même erreur puisqu’il produira dans la foulée Buffy contre les vampires. Le second continuera d’écrire pour la télé et le cinéma. Jim Profit, le premier des salopards qu’on n’a pas envie de voir se faire pincer, n’aura pas marqué l’esprit des téléspectateurs à son époque mais a le mérite d’avoir fait des petits, beaucoup de petits. Des petits monstres.


Reza Pounewatchy


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