Les Oscars de Buzz et Woody
En direct, devant des millions de téléspéctateurs, les deux jouets déposés sur le pupitre par le jeune réalisateur, vont s’animer et montrer au monde que le règne Pixar sur l’animation en image de synthèse ne fait que commencer.25 mars 1996, ABC
Si lors de cette soixante-huitième cérémonie des Oscars au Dorothy Chandler Pavillon, Downtown Los Angeles, c’est John Lasseter qui reçoit un Oscar « Pour une contribution spéciale », Buzz et Woody sont les vrais récipiendaires de la statuette et du message que sa remise envoya ce soir-là. Récompensé pour le pas gigantesque que représenta à l’époque la sortie (et le succès) du premier long métrage de Pixar, Lasseter et ses équipes préféreront laisser la parole à leurs deux héros.
En direct, devant des millions de téléspéctateurs, les deux jouets déposés sur le pupitre par le jeune réalisateur, vont s’animer et montrer au monde que le règne Pixar sur l’animation en image de synthèse ne fait que commencer. La cérémonie annuelle reste à ce jour la fenêtre incontournable sur les gens qui comptent le plus dans l’industrie du cinéma américain. Un événement télévisé qui maintenant la vitalité et étale autant qu’il préserve la force d’un secteur ennemi, le cinéma. Si aujourd’hui le revenu des studios dépend avant tout de la télévision, le cinéma reste l’industrie d’excellence des médias américains, sa vitrine de divertissement haut de gamme, l’atout maître grâce auquel sa culture dicte toujours les règles du jeu. L’effet produit du côté des professionnels est de distinguer les tendances et anticiper sur les moeurs et modes futures.
Pixar fut donc invité à étaler ses prouesses, une grosse poignée de seconde, effort suffisant lorsque l’ont sait à l’époque le travail que devaient fournir les animateurs pour livrer un tel résultat, sous la loupe des plus puissant dirigeants de l’époque. Ces quelques instants désormais mythiques, pendant lesquelles Tom Hanks et Tim Allen s’amusaient à rejouer leur complexe complicité et rappeler l’humain derrière la machine, nous disent l’immense croisade que le studio californien a livré pour rester aujourd’hui, après plusieurs secousses inquiétantes, le numéro un dans sa catégorie.
Revenons à ce soir de mars 1996, le 25 précisément. Whoopie Goldberg était (évidemment) la maîtresse de cérémonie idoine pour le job. Car passer derrière une image qui n’existe pas, en direct, avec comme simple filet de sécurité le montage malin de la séquence, n’est pas un exercice facile. Comprendre trop compliqué pour James Franco et Anne Hathaway par exemple. Ironiquement, tous les moguls présents ou attentifs ce soir là, récurent un message invisible depuis les fauteuils de la salle. Pixar a besoin de zéros et de uns pour exister, mais en 1996 ce concept était encore trop lointain pour l’arrière-garde. Et alors que Mel Gibson raflera, dans une ambiance de liesse, les Oscars du meilleur réalisateur et meilleur film (Heat et Seven n’étaient pas nominés, rappelons-le) que Sharon Stone laissera Susan Sarandon filer avec la statuette de la meilleure actrice, que Nic Cage pourra mettre un terme à la partie sérieuse de sa carrière grâce à son prix dans Leaving Las Vegas, c’est John Lasseter qui gravera en mondovision l’instant historique de la cérémonie.
Un moment de grâce purement télévisuel, riche de l’émotion la plus primaire que le média peut provoquer. Ce climax propulsera Pixar vers sa légende, la révolution numérique étant officiellement lancée ce soir-là. Un tour de force à destination du cinéma, réalisable uniquement à la télévision. Qui pour encore douter du génie des éminences grises du meilleur studio des 20 dernières années ?
Guillaume BARON
Texte issu du Les 51 moments les plus cultes de la TV américaine