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The lost years, ou comment Shane Black a disparu... pour mieux revenir ensuite

En 1994, à l'apogée de son règne, il touche la somme record de 4 millions de dollars pour le scénario de The Long Kiss Goodnight, mais bientôt Shane Black ne sera plus qu'un lointain souvenir, un nom définitivement accroché à une époque révolue...
The lost years, ou comment Shane Black a disparu... pour mieux revenir ensuite

L'histoire est connue, alors faisons la courte. 1986, Warner acquiert les droits d'un script écrit par un aspirant acteur, fraîchement diplômé de UCLA, pour 250 000 dollars. Le film sort l'année suivante sur les écrans et cartonne. Son titre, Lethal Weapon (L'Arme fatale par chez nous). Son auteur, inconnu jusqu'ici, s'appelle Shane Black et les dix années suivantes vont le voir mettre Hollywood à l'envers et empocher le pactole à chaque fois que son nom apparaîtra au générique d'un film. En 1994, à l'apogée de son règne, il touche la somme record de 4 millions de dollars pour le scénario de The Long Kiss Goodnight, mais bientôt Shane Black ne sera plus qu'un lointain souvenir, un nom définitivement accroché à une époque révolue... 



Bon, parfois, à trop vouloir la faire courte on perd quelques infos en route, infos qui auront toute leur importance par la suite, alors avant de poursuivre, revenons quelques instants sur les dix premières années de Shane Black à Hollywood, celles qui ont précédé sa « disparition ». Pour être parfaitement honnête, tout n'a pas été aussi idyllique que le laisse croire le chapeau introductif que vous venez de lire. Certes, L'Arme fatale fut un carton qui mit le nom de son auteur dans toutes les bouches baveuses et mâchouillantes des mecs en costume dont grouille Hollywood, mais le ton du film de Richard Donner tel qu'on le connaît est bien loin du script original qui se voulait sombre et aussi sec que son modèle avoué, Dirty Harry (« le meilleur film d'action jamais fait » selon Black lui-même). En fait, L'Arme fatale fut remanié à la demande de Donner qui souhaitait déjà à l'époque injecter un « brin » d'humour dans cette histoire de flic dépressif... 


On connaît la suite, L'Arme fatale deviendra une pure saga comique laissant son géniteur sur le bas-côté dès le second opus que Black souhaitait conclure par la mort de Riggs, conclusion jugée anti-commerciale par le studio et sans doute trop sérieuse par Donner. Black claqua la porte, fou de rage ! Cette rage à l'égard du milieu hollywoodien, il en tartinera son script suivant, encore plus sombre, pour ne pas dire psychotique, qui suivra les aventures d'un détective à la ramasse dans un autre milieu corrompu à souhait, celui du football américain. Cela n'empêchera pas le script de The Last Boy Scout de rapporter à son auteur près de 2 millions de dollars. Seulement, au fil des versions que Black s'attelle à livrer au studio, en bon élève, le film, encore une fois, perd de sa noirceur et ne sera finalement qu'à moitié assumé par ses têtes de proue (Tony Scott, Joel Silver, Bruce Willis), surtout après qu'il se plante au box-office. Malgré tout, ce Dernier Samaritain est une franche réussite qui fera bientôt le plein de fans lors de sa sortie en vidéo. Mais Shane Black, lui, en sortira rincé et déçu. Pour rebondir il accepte donc de jouer les script doctors sur Last Action Hero, dirigé par John McTiernan. Les deux hommes se connaissent et s'apprécient depuis le tournage d'un certain Predator, mais cela n'empêchera pas la version de Black de passer entre les mains d'une flopée d'autres « docteurs » avant le tournage du film qui finira de toute façon par se faire dévorer par les dinosaures plus vrais que nature d'ILM et de Steven Spielberg. Tranquillement, un certain âge d'or du film d'action touche à sa fin et Shane Black, lassé de voir son travail continuellement réécrit avec ou sans son aide, commence déjà à songer à passer un jour derrière la caméra pour n'être mieux servi que par lui-même.

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Au revoir à jamais

Nous voilà revenus en cette bonne vieille année 1994, nous sommes en été, il fait chaud, Schwarzy s'apprête à se refaire une santé avec True Lies, McT bûche sur le troisième Die Hard et Shane Black, donc, bat tous les records en vendant le script de The Long Kiss Goodnight à New Line (fraîchement racheté par le magnat Ted Turner) pour 4 millions de dollars ! Jusqu'ici, tout va bien. Le studio « indépendant » a remporté la mise sur deux points : la promesse que le film se fera à coup sûr et l'implication à ses côtés du duo créatif formé par le réalisateur Renny Harlin et son épouse, l'actrice Geena Davis. Seulement il y a un hic, le couple est déjà engagé sur la production de Cutthroat Island pour Carolco. Black hésite, mais sa sympathie pour les deux tourtereaux – et le montant de l'offre de New Line – finit par le faire « plier ». The Long Kiss devra donc patienter, mais Harlin s'engage à en démarrer la pré-production dès la dernière bobine de Cutthroat mise en boîte. Sauf que le tournage de ce dernier s'enlise, les frais explosent, Harlin sème la terreur et Carolco menace à tout moment de jeter l'éponge faute de fonds. Le film finit tout de même par sortir... et se plante monstrueusement au box-office. Résultat : Carolco met la clé sous la porte tandis que Harlin et Davis sont déjà occupés à la production de The Long Kiss Goodnight, échappant ainsi au bouillon, du moins pour l'instant. À la sortie de The Long Kiss à l'automne 1996, le naufrage de Cutthroat Island l'année précédente est malheureusement encore dans toutes les mémoires, à un point tel qu'on remarque peu la belle audace du script de Black qui a survécu malgré les sempiternelles réécritures. The Long Kiss Goodnight ne se plante pas au box-office, mais ne brille guère non plus, tout le monde à Hollywood s'en moque, comme si Renny Harlin et Geena Davis étaient déjà rayés de la liste, et comme si, surtout, les pitreries (même un poil plus matures) de Shane Black étaient déjà d'un autre temps. Les années quatre-vingt-dix que Black avait lui-même inaugurées avec le dialogue définitif qui clôturait The Last Boy Scout sont déjà sur le point de laisser place à la suite...


Mais Black, lui, voit les choses d'une autre manière : « Les gens étaient sacrément remontés lorsque j'ai pris le pognon. Mais si on vous offre 4 millions pour un script, qu'êtes-vous censé répondre ? “Non merci, je préfère le vendre pour cent mille ?” Cela a engendré beaucoup de colère, j'ai même perdu des amis à cause de ça. Et plus personne ne m'a jamais parlé de la valeur artistique de ce que je faisais. Ils ont tous décrété que j'étais le mec qui avait trouvé la formule secrète, celle qui marche à tous les coups. [...] Mais moi, tout ce que je voulais, c'était écrire des histoires, devenir un meilleur auteur, améliorer mon style, changer de genre, essayer de nouvelles choses. » C'est ainsi que peu à peu rongé par la frustration d'être incompris (et d'aucuns diront par une bonne dose de parano...), Shane Black va quitter le grand cirque hollywoodien qui a fait sa gloire et se terrer chez lui, dans son « château » niché au cœur de Fremont Place, un quartier résidentiel privatisé bien connu situé à deux pas... d'Hollywood.

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Mi casa es su casa

Situé au 104, Fremont Place, la propriété en question fut construite, d'après Black, en 1929 et a un temps appartenu au producteur-scénariste Ed Weinberg, notamment connu pour avoir créé la sitcom Taxi, chère aux fans d'Andy Kaufman, aux côtés de James L. Brooks. Mais l'homme qui nous intéresse en devint, lui, l'heureux propriétaire en 1995, contre la modique somme de 2,2 millions de dollars – au moins sait-on à quoi lui servit l'argent de The Long Kiss Goodnight. Ce sera là qu'il passera le plus clair de son temps lors des années à venir, à peaufiner sa dépression en bonne compagnie. « Il faut savoir que cette maison est probablement hantée. Je ne connais pas trop l'histoire derrière tout ça, mais pas mal de gens qui ont logé ici m'ont dit avoir vu “quelque chose…” Et à chaque fois, c'est dans les mêmes coins de la propriété, ce qui corrobore leurs dires. Ce qui m'inquiète n'est pas tant la capacité des fantômes à me nuire physiquement, mais plutôt leur capacité à subtilement distiller une sorte de malaise ou de dépression latente. » Cela ne l'empêchera pas de recevoir d'autres invités lors de fêtes grandioses qui feront très vite la réputation du nouveau maître des lieux. Ainsi, en même temps que sa cote à Hollywood dégringole lors de la seconde moitié des années quatre-vingt-dix, Shane Black se refait une santé comme organisateur des soirées les plus mémorables du patelin. Au point que ses voisins, plutôt du genre à aspirer à la tranquillité, observent bientôt d'un mauvais œil les frasques de ce nouvel arrivant accueillant régulièrement dans son jardin jusqu'à deux cents invités réunis autour d'un groupe de rock jouant plein gaz. Face au mécontentement des voisins, Black finit tout de même par réduire la fréquence de ses fiestas, jusqu'à n'organiser plus qu'une seule fête par an, pour célébrer Halloween avec le Tout-Hollywood. « Il pouvait y avoir entre cinq cents et huit cents personnes pour Halloween, au point qu'on faisait même de l'ombre au manoir Playboy. Les gens allaient à Playboy et venaient ensuite ici, ou inversement. Je n'ai pas arrangé mon cas avec cette foutue fête d'Halloween. »


Et de fait, le mal est fait. Shane Black, tel un Gatsby à peine magnifique en jean troué et casquette de baseball vissé sur la tête, a beau avoir livré quelques-uns des scripts les plus brillants de ces dix dernières années – ouvrant même la voie, avec ses trouvailles stylistiques et ses dialogues réflexifs, à un Quentin Tarantino, par exemple – et tenté de se faire une place à Hollywood avec ses fêtes délirantes, il n'en demeure pas moins un parvenu, un sale gosse aux mauvaises manières désopilantes, certes, mais ô combien agaçantes lorsqu'on sait ce que lui rapporte chacun de ses scripts et ce qu'il fait de cet argent (par exemple, remplir ses étagères d'éditions originales de comics parmi les plus rares du marché). « Si vous faites un tour chez moi, vous verrez une tonne de livres. Vous réaliserez que j'ai passé des nuits entières à lire des histoires de fantômes datant de la période édouardienne, le plus souvent en édition originale. Et ce alors que la plupart des gens à l'époque m'imaginaient vivant entouré de mannequins en tenue d'Ève, occupées à me servir du raisin sur un plateau. Je pense que tous ces gens ne me connaissaient pas et présumaient que j'étais jeune, riche et inconséquent. »

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Je ne suis pas un animal

En 1998, alors qu'il consomme « paisiblement » sa retraite anticipée, Shane Black décide que, comme tout bon retraité riche et libéré de toutes contraintes, il lui faut rejoindre un club afin de passer du bon temps avec ses congénères. Encouragé par quelques proches il envoie donc, sûr de son fait, sa candidature à l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences pour intégrer le congrès des scénaristes et pouvoir voter aux Oscars. La réponse de l'Académie est cinglante : « Vous n'êtes pas éligible, mais vous êtes libre de vous porter candidat à nouveau lorsque vous aurez plus de crédits. » Black se souvient : « C'est à ce moment précis que j'ai réalisé que ce n'était pas le fruit de mon imagination et qu'on me snobait délibérément. Et tout ça à cause de mes faits d'armes ! » Pour bien comprendre l'affaire, il faut savoir que les critères pour qu'un scénariste intègre l'Académie sont on ne peut plus clairs : il suffit d'avoir été nommé une fois ou à défaut d'être crédité au générique d'au moins deux films « reflétant les valeurs de l'Académie ». Or, à l'époque, Black était apparu aux génériques de The Monster Squad (réalisé par son pote Fred Dekker), les deux premiers Arme fatale, The Last Boy Scout, Last Action Hero et donc The Long Kiss Goodnight. Alors certes, nous n'avons pas à faire là à des drames historiques ni à quelques-unes de ces gentilles bluettes débordant de bons sentiments qui savent si bien remuer l'intérieur des votants aux Oscars, mais tout de même, au risque de paraître factuel, il convient de remarquer que les deux films de Donner ont chacun récolté une nomination dans une catégorie technique, preuve s'il en est qu'au moins deux des films nés de la plume de Black furent remarqués et salués, a minima certes, par l'Académie. Mais au fond peu importe, car pour Black la messe est dite : Hollywood ne veut pas de lui ni de son coup de clavier post-moderne en diable, il est donc temps d'en prendre acte et d'en tirer les conséquences en se retirant dans son antre luxueux. Dans les années à venir, Shane Black ne sera plus que l'ombre de lui-même, une présence vaporeuse au cœur d'Hollywood, une rumeur, à l'image des fantômes partageant son manoir et sa neurasthénie prononcée. Ou plus simplement un has been.

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Être et avoir été

En 1998, toujours, on retrouve la trace de Shane Black à Deauville, au festival bien connu consacré au cinéma américain. C'est dans Impact n°77 que ça se passe. En une trône fièrement le visage désincarné (et pour cause...) de Kurt Russell dans Soldier du sympathique Paul W. S. Anderson, mais dans un coin de la couverture on nous promet une « rencontre avec un scénariste star de l'action ». Dans le chapeau de l'article, Black nous est décrit « en jean et baskets, draguant une plantureuse étudiante dans une cocktail party huppée ». Pas de doute, c'est bien de notre homme qu'il s'agit et il serait de passage sur les côtes normandes, hors de tout protocole officiel, simplement pour donner une conférence aux élèves de la FEMIS. Dans l'interview, Black se montre fidèle à lui-même, c'est à dire affable et sans filtre, n'hésitant pas à dézinguer Hollywood et laissant apparaître quelques signes de sa dépression chronique. Et lorsqu'on lui demande ce qu'il fait de ses journées, il cite ses séries préférées du moment : Law & Order et Buffy contre les vampires. En un mot (ou plutôt trois), la belle vie. Mais lorsqu'il s'agit de parler projets, Black évoque un obscur travail pour l'American Film Institute, sans plus de détails, avant de se lancer dans la description confuse d'un script « sur la déception, la désillusion, la foi, toutes ces choses. » Point important : ce script, Black envisage déjà à l'époque de le réaliser lui-même, « afin d'avoir l'expérience d'un vrai contrôle créatif. » Mais la route est encore longue...


L'année suivante, Black, s'il en avait encore besoin, vérifie d'une manière plutôt cruelle que sa cote est définitivement au plus bas lorsqu'un journaliste vient le voir pour les besoins d'un article. « Il m'a dit : “Je suis un grand fan de votre travail ; j'aimerais écrire un truc sur vous”. Et après m'avoir interviewé, il m'a rappelé : “Eh, au fait, je vais mixer vos propos pour rendre ça plus vivant. De sorte qu'il n'y ait que votre voix.” En fin de compte, l'article [...] traitait des has been. Sauf qu'il avait tourné mes propos de telle sorte que j'apparaissais complice de l'article. Genre : “En tant que has been, voilà ce que j'ai à dire sur le sujet.” » Un brin naïf sur le coup, il faut reconnaître que Black était habitué, il y a seulement quelques années de cela, à offrir aux journalistes son avis et des indiscrétions sur les coulisses de l'industrie et notamment sur les ventes records de ses scripts. Très vite, les reporters d'Hollywood avaient repéré ce type à qui tout réussissait et qui avait la langue spectaculairement bien pendue. Mais Black est alors au plus bas, son seul contact avec l'industrie demeurant sa fameuse fête d'Halloween ou les quelques occasions où il loue son manoir pour les besoins d'un tournage, on peut donc imaginer qu'il se soit laissé berner. Si cette leçon ne l'empêchera pas – pour notre plus grand bonheur – de s'épancher à nouveau dans la presse, elle marque tout de même un moment décisif dans sa carrière, ce genre de moment qui n'aurait pas fait tache au cœur d'une bonne vieille péloche hollywoodienne des années Reagan où notre héros comprend qu'il est en chute libre et décide de repartir de zéro pour mieux remonter au sommet. Un « moment Rocky », en quelque sorte.

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Il faut que tu retrouves ce regard-là

Toujours dans cette bonne vieille péloche hollywoodienne, cette prise de conscience et ce nouveau départ sont en général rendus possibles par l'intervention d'un ami ou d'un aîné qui trouve les mots justes pour créer le déclic nécessaire. Ainsi, c'est en James L. Brooks, réalisateur oscarisé de Tendres passions et producteur infatigable des Simpsons (entre autres titres de gloire), que Shane Black déniche une âme charitable, « un mentor » dira-t-il lui-même, qui lui tend une main sûre et bienveillante pour l'aider à monter la première marche vers la renaissance – la plus difficile, assurément. Brooks fournit à Black un bureau dans les locaux de Gracie Films, sa compagnie de production, sans exiger en retour un quelconque droit de regard sur le travail à venir du scénariste et futur réalisateur. « Il m'a juste dit : “Je crois que tu fais face à un blocage, mais je crois surtout que tu as du talent”, puis il m'a donné ce bureau. Il devait bien y avoir une arnaque quelque part, un intérêt quelconque pour qu'il fasse ça, mais je n'ai pas trouvé lequel. C'était juste l'action d'un type bien. » Mais se reconstruire entièrement, cela peut prendre du temps. « Ce qui est arrivé, c'est que je me suis senti blessé. Je veux dire, j'aime à penser que je suis un mec avec le cuir solide, mais c'est des conneries, et ce sera toujours des conneries. [...] Je me suis alors dit : “T'as pas besoin d'écrire toujours de l'action, mec ! Ce que je veux, c'est juste écrire des films.” Et j'ai essayé très fort. À l'école, j'étais le gamin qui essaye toujours d'avoir des A. C'est ce que je suis fondamentalement, un mec qui bosse dur quitte à passer pour un gros con. Et tous ces gens qui me voyaient comme le type qui écrit de la merde, empoche le pactole et file à la banque en se frottant les mains, j'en aurais crevé. Je suis trop sensible. Beaucoup trop sensible. Alors je me suis retiré. Et au lieu de faire avec mes armes habituelles, j'ai voulu pondre quelque chose de différent. J'ai voulu écrire une comédie romantique ou quelque chose de malin et de poignant où j'aurais pu caster un jeune acteur chouchou de l'Académie. Je voulais seulement gagner les faveurs de ces gens qui me voyaient encore comme un playboy, un mec qui sait trop bien ce qu'il veut. »


À force de charbonner, les choses commencent à prendre forme, doucement. Et à nouveau c'est Brooks qui sait trouver les mots pour remettre notre homme sur le bon rail. « De temps en temps, je lui montrais où j'en étais, et il me disait ce qui lui plaisait ou non. Je continuais à me taper la tête contre les murs, essayant d'écrire cette foutue comédie romantique. Un jour qu'on déjeunait ensemble, lui et moi, il m'a dit : “Écoute, tu essayes d'être moi, en un sens, mais je t'ai toujours imaginé écrire un truc du genre Chinatown, avec ces personnages merveilleux et ces interactions complexes entre eux. Pas besoin d'en faire un film d'action, ça peut être un film à énigme.” Et soudain, la solution m'est apparue. Je pouvais faire d'une pierre deux coups. Je pouvais faire ma comédie romantique et y glisser un meurtre pour en faire aussi un film d'enquête. [...] Finalement, je n'allais pas écrire à nouveau L'Arme fatale, mais je n'allais pas écrire Steel Magnolias non plus. J'allais faire un film moitié James Brooks et moitié Joel Silver, voilà tout. »

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Back in business... soon

« En 2001, j'avais ce script qui deviendrait Kiss Kiss Bang Bang et j'en étais plutôt satisfait. Mais en l'espace de six ou sept ans, les choses avaient changé et les gens des studios me disaient : “On lit ça et on revient vers toi.” Et une semaine plus tard, rien. » Quand on sait que le film ne sortira qu'en 2005, on peut se faire une idée du chemin qu'il restait encore à parcourir à Shane Black pour imposer son retour à la face d'Hollywood. « Même des producteurs avec lesquels j'avais déjà bossé et que je connaissais très bien me répondaient : “C'est pas mal du tout, mais c'est un peu trop misogyne à notre goût.” » Et puis, comme toujours à Hollywood, certaines têtes étaient tombées et de jeunes loups avaient pris la relève. « Je me souviens d'une réunion avec des cadres de studio à peine sortis du ventre de leur mère, des abrutis totaux. Je venais de leur faire ma plus belle danse et l'un d'eux me sort : “C'est vraiment malin ce que vous venez de dire, vous voyez.” Je me suis dit en mon for intérieur : “Dieu du ciel, merci, mec. Tu sais, ça fait seulement vingt ans que je suis dans ce business.” Puis le gars poursuit : “Je pense que vous avez un grand avenir dans cette industrie, vous voyez.” C'est là que j'ai réalisé que ce freluquet n'avait aucune idée de qui j'étais. Quelqu'un avait dû lui souffler mon nom à l'oreille dix minutes avant la réunion et là il me sortait son baratin. [...] Les gens connaissent votre nom momentanément, vous savez. Ça ne dure jamais longtemps. Mais je m'en fous. » Il y a vraiment quelque chose de pourri au royaume d'Hollywood.


Face au manque d'enthousiasme des studios et alors qu'il ne cherche modestement à réunir qu'une dizaine de millions de dollars pour produire son premier film, Black se tourne finalement vers Joel Silver, l'homme qui le lança à l'époque du premier Arme fatale et dont la filmographie à elle seule coïncide plutôt bien avec la liste des meilleurs films d'action de ces trente dernières années (de Die Hard à Speed Racer en passant par Demolition Man et bien d'autres). Silver, par fidélité, répond présent, Black aura bien le droit à sa seconde chance. Et à la quarantaine bien tassée, voilà notre homme qui se lance dans la reconversion de sa vie. Simple caprice ou véritable nouvelle orientation, nul ne le sait à l'époque, mais une chose est sûre, il a bûché à sa manière pour ne pas être pris à revers. « J'ai passé des nuits entières à mater des films pour me préparer. Je pourrais presque vous décrire Panic Room plan par plan, simplement parce que je l'ai regardé encore et encore. [...] Je me taperai toujours n'importe quel film réalisé par David Fincher, idem pour Ridley Scott. C'est comme aller à l'école pour moi. » Et lorsqu'il en a marre d'étudier les films de ses réalisateurs préférés Black se détend en visionnant... les commentaires audio. « J'ai écouté les commentaires de Jim Brook sur tous ses films. C'est vraiment épatant d'avoir accès à ces films chez soi en DVD, avec tous ces bonus en prime. Vous ouvrez bien grands les yeux et les oreilles et bientôt vous ressentez ce que cela a dû être de participer à la conception de tous ces films. J'ai lu également des bouquins, un tas de bouquins. » Nous revient alors en mémoire une légende urbaine selon laquelle un commentaire audio de David Fincher visionné équivaudrait à une année d'école de cinéma chèrement payée ; « mon ring, c'est la rue », disait quant à lui Rocky. Mais Shane Black n'est pas boxeur, son ring à lui, c'est lui-même, pourrait-on dire.


Et au mitan des années 2000, il semble bien qu'il ait triomphé de lui-même pour revenir en haut de l'affiche. Kiss Kiss Bang Bang sera projeté hors compétition en séance de minuit au Festival de Cannes, l'année de la présidence Tarantino, relançant au passage la carrière de Robert Downey Jr., ex-golden boy déchu des eighties lui aussi, qui quelques années plus tard saura renvoyer l'ascenseur à son pote Shane Black. Mais ça, c'est une autre histoire.


Aubry SALMON


Les propos de Shane Black sont issus d'articles parus dans GQ, The Telegraph, The Hollywood Reporter, Venice Magazine et The A.V. Club.