Dans le laboratoire musical de Rick & Morty

En attendant la production d’une saison 4, la série de Dan Harmon et Justin Roiland, Rick & Morty, a rejoint le club très fermé des séries animées à avoir leur propre bande originale. Au menu : quelques pistes de shoegaze, le culte « Get Schwifty » mais aussi des versions longues de compositions souvent épiques signées Ryan Elder. Il nous donne un petit aperçu de l’arrière-cuisine du multiverse.

Quelques accords de banjo pour South Park, du ukulélé en transition pour Bob’s Burgers… Quand on n’a pas les moyens de se payer le génie d’Alf Clausen, qui a composé pendant près de trois décennies la musique des Simpson, les séries d’animation restent discrètes dans le choix de la musique. Mais ce n’est pas vraiment le fonctionnement de Rick & Morty. La série de science-fiction adulte, dont la saison 3 a été diffusée il y a près d’un an sur Netflix, mise beaucoup sur les escapades inattendues de Rick et les chansons – en apparence – dérisoires pondues par la voix de Justin Roiland, dont le désormais célèbre « Get Schwifty » ou encore la non-sensique « Rick Dance ». A la composition de la musique, un chanceux Californien : Ryan Elder, qui était là dès la production du pilote, après avoir passé une décennie à être compositeur pour des publicités. « Composer pour la pub, c’est très éclectique : on doit travailler avec différents styles, genres… Tout est différent chaque jour. », explique-t-il. « Et cela m’a préparé pour Rick & Morty, qui est une série qui change au quotidien et n’a pas peur de faire des références musicales étranges, que je n’aurais jamais cru être capable de faire. Et il y a quelque chose que j’ai appris à la fac : on ne peut pas attendre l’inspiration, on a juste besoin de commencer à écrire. C’est mieux d’écrire et de trouver l’inspiration au fur et à mesure du travail, que de rester là en attendant une bonne idée. »

Rick & Morty, l’album, avec sa jaquette rappelant les albums de prog-rock psychédélique barrée d’un Rick jovial et beurré, alterne les pistes orchestrales avec des délires référençant la musique FM des années 90 aux titres aussi génériques que Alien Jazz Rap. Un trait commun à l’équipe de Dan Harmon, Justin Roiland et Elder. « Justin, Dan et moi avons grandi dans les années 1990, et on aimait beaucoup ces titres-là. Et ils adorent trouver ces titres rétro à incorporer à la série. Mon père avait un studio d’enregistrement, avec toutes les boîtes à rythme et le matériel vintage nécessaire. Et donc, je m’en suis servi ! » Un pot-pourri assez bordélique, qui renferme deux titres inédits de signatures Sub Pop (qui sort l’album), dont un hommage rapologique signé clipping., « Stab Him In The Throat ». « Ce sont des fans, et ils comprennent les éléments de science-fiction. Ils m’ont dit d’envoyer les multipistes des musiques pour les épisodes, et ont composé le morceau à partir de là. »

Ryan Elder arrive pour composer les morceaux, en général, en plein milieu de la production. Objectif : caler ses compositions sur des animatiques, des storyboards pré-animés et calés sur les dialogues enregistrés par les comédiens (Sarah Chalke et Chris Parnell, entre autres). « C’est une version assez proche de la version finale, et il y a plein de choses avec lesquelles je peux travailler, vu que les créateurs ne changent pas énormément de choses jusqu’à la diffusion. Et de toute manière, la version quasi-finale en couleurs est assez proche du moment où l’on a terminé avec la musique. Très occasionnellement, si une chanson doit faire l’objet d’animation, j’écris avant, comme avec « Goodbye Moonman », que j’ai écrit pour Jemaine Clement. L’animation devait être calée sur la musique. C’est une des premières choses que j’ai écrite pour la saison 2, car ils en avaient besoin très tôt. »

Dans le processus créatif de Rick & Morty, peu de choses à jeter, et plus de choses à recycler. Si l’album comprend des versions longues et réenregistrées de quelques morceaux choisis, il y a peu de compositions inédites qui dorment dans les locaux de la production. « Il n’y a pas tellement de choses qui ne sont jamais sorties, à part des démos, mais j’ai enregistré des versions complètes des chansons pour les besoins de cette BO. J’ai aussi enregistré une version d’un univers alternatif de « Get Schwifty ».

Un atout reste central : la capacité d’improvisation de Justin Roiland, qui improvise en studio les élucubrations de Rick et ses raps défiants, ou alors les fulgurances lunaires de Dan Harmon, qui a donné l’élaboration de « Sons & Daughters », aussi connue dans les cercles de fans comme la chanson du « doo-doo butt ». « ». J’ai écrit ça une semaine avant la deadline pour l’épisode, et sur la démo, je chantais « doo-doo » pour la mélodie en référence, en demandant que quelqu’un fasse les voix pour la chanson. Dan a loupé un dîner d’anniversaire avec sa copine pour enregistrer ces voix ! »

Vu le statut culte de la série aux Etats-Unis, une place de choix a été réservée par sa chaîne de diffusion, [adult swim] pour son premier festival, Adult Swim Presents, qui s’est tenu début octobre à Los Angeles. Soit une réorchestration symphonique avec un orchestre de 30 musiciens sous la houlette de Ryan Elder, Roiland et le groupe Chaos Chaos. « On joue 5 ou 6 chansons de la série en live que le public n’a pas entendu de cette manière. Cela va se rapprocher des concerts symphoniques de Doctor Who ou Game Of Thrones, en présentant la bande originale de manière un peu plus sérieuse. » Une apothéose qui garde la série dans l’inconscient collectif, alors que, dixit Elder, la production de la saison 4 n’a pas encore commencé. Le chaos organisé devrait se poursuivre pendant 70 épisodes de plus ; quant à Ryan Elder, il a transféré ses talents sur d’autres productions de Harmon, comme l’annulée HarmonQuest ou encore Good Game, une sitcom dans le monde de l’e-sports visible sur YouTube Premium.

Florian Etcheverry

Rick & Morty, bande originale disponible en CD, cassette, double vinyl standard et deluxe, et sur les plateformes de streaming (Sub Pop/PIAS). Coffret vinyl en édition limitée disponible le 23 novembre.