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Adult Swim : Destroy’R’Us

Depuis 2001, la chaîne Adult Swim s’est imposée comme un empire multimédia à la fois sur le câble américain et sur Internet.
Adult Swim : Destroy’R’Us

Depuis 2001, la chaîne Adult Swim s’est imposée comme un empire multimédia à la fois sur le câble américain et sur Internet. Une destination pour beaucoup de talents comiques qui viennent y chercher une récréation provoc’. Mais comment ses programmes (maintenant diffusés en France sur ENORME TV) ont-ils conquis l’Amérique ? Et surtout, c’est quoi l’identité d’un programme Adult Swim ?


Au commencement, il y avait… Space Ghost Coast To Coast. Et un employé de Cartoon Network à court d’idées : Mike Lazzo. En 1992, Ted Turner créé Cartoon Network, ou la première chaîne câblée à base de dessins animés classiques, rediffusant toute la bibliothèque de dessins animés de la MGM (Tom & Jerry, etc.) et des studios Hanna-Barbera. Mais Turner, alors magnat des médias avec CNN, refuse de dépenser un centime pour des programmes maison. Il faut alors imaginer des émissions spéciales créatives réutilisant les classiques de la chaîne comme on ne les a jamais vu : ainsi, Lazzo et les cadres imaginent, entre autres idées, un remontage des Fous du Volant montant toutes les scènes de course pour donner l’impression que Satanas, Diabolo et les autres courent les Etats-Unis. Nom imaginé : Wacky Races Coast To Coast. Sauf que voilà, une nuit, Lazzo tombe sur une autre idée : il imagine un héros de seconde zone de Hanna-Barbera, Space Ghost, à la tête de son propre talk-show. Le matin suivant, il donne l’ordre d’annuler le film des Fous du Volant et de mettre en développement… Space Ghost Coast To Coast. 


A première vue, c’est plutôt simple : remonter les dessins animés existant et les redoubler et superposer avec des interviews de vraies personnes. Mais les premiers tests sont un désastre : aucun charme. Résultat : Space Ghost Coast To Coast sera produit localement, presque sans thunes, avec un réalisateur qui double également des personnages, Turner ayant refusé de faire revenir les doubleurs originaux. Le concept tourne moins autour des invités et plus sur Space Ghost devant composer avec son équipe de production inepte, dont ceux qui sont ses ennemis dans le dessin animé original, Moltar et Zorak. La série, dont les épisodes durent 15 minutes (11 sans les pubs), débute en 1994. Le succès, même pour la case tardive -23h30 – est au rendez-vous, et très vite Space Ghost est enrôlé comme speakerine de Cartoon Network. En 1997, Space Ghost Coast To Coast produit 27 épisodes – nombre qui décroîtra avec les envies de Mike Lazzo et son équipe. Dans ce talk-show pas comme les autres, on retrouve les prémisses de tout ce qui fera Adult Swim : ce mélange entre anarchie et absurdité et hommages amusés aux cartoons qui constituent leur source. C’est également la base d’un autre format déconstruisant le talk-show, programmé des années plus tard : The Eric Andre Show. Le comédien Eric Andre se lance dans les mêmes soliloques que son comparse animé, détruit le décor et les instruments de son groupe dès le générique, et aliène ses invités de marque. Des happenings permanents qui valent à la série d’avoir été renouvelée pour une quatrième saison.

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Les programmes animés

Les premières tentatives d’Adult Swim dès leur ouverture une belle nuit de 2001, restent dans l’esprit de détournement qui avait engendré Space Ghost Coast To Coast. Harvey Birdman, un autre héros oublié de Hanna-Barbera, devient avocat pour défendre de multiples personnages ayant commis des crimes, dans Harvey Birdman : Attorney At Law. Aux côtés de Sealab 2021, c’était une suite irrévérencieuse d’un des multiples cartoons oubliés de Hanna-Barbera, et exhumés par Cartoon Network dans les années 1990. Mais le premier programme a vraiment prendre forme met en scène un menu fast-food quasi-complet : une boulette de viande (Meatwad), des frites (Frylock) et un gobelet de coca anthropomorphiques. Ça s’appelle Aqua Teen Hunger Force et c’est un des programmes qui a tenu presque 15 ans à l’antenne.


Peu importe le semblant d’histoire qui lie les épisodes, tout ce qui reste est le sens d’absurdité et d’explosion des conventions de leur propre série. Un esprit bien propre à l’identité de la chaîne, qui aime faire partir des concepts bizarres mais tangibles et les jeter par la fenêtre après quelques épisodes. Ici, la Aqua Teen Hunger Force combat le crime contre de l’argent pour ses premiers épisodes, mais va très vite laisser tomber. Ce que cela veut dire n’est pas une simple trahison du concept, mais une signification que dans les cartoons de la chaîne, tout peut arriver. Son trio principal est devenu emblématique, plastronné sur bien des t-shirts des facs américaines, les premiers alliés et les premiers téléspectateurs d’Adult Swim. Pendant de nombreuses années, Adult Swim émettait dès la fermeture de l’antenne de Cartoon Network, soit 23 heures. Un temps idéal pour des nuitées dans les dorm rooms, et aussi une terra incognita qui n’était pas l’apanage des concurrents américains d’Adult Swim en comédie alternative : Comedy Central et IFC. Comme tout peut arriver, beaucoup d’expérimental fait partie du pedigree.


A l’inverse, la chaîne a pu produire des séries qui construisaient leur univers et le passé de leurs personnages pour pondre une mythologie et une continuité certaine. C’est ainsi que The Venture Bros. n’a cessé de prendre des breaks de plus en plus longs, pour favoriser la qualité des épisodes – écrits à quatre mains entre Doc Hammer et Jackson Publick - mais aussi la production d’une animation 2D bien indépendante. Arrivée sur les écrans en 2004, après un pilote produit en 2003, elle part d’une idée bien barrée, celle d’un Jonny Quest qui aurait grandi après plusieurs aventures extraordinaires qui l’auraient traumatisé, et hériterait du complexe militaro-industriel de son père. Doc Venture, puisque c’est son nom, est ensuite appelé à combattre plusieurs ennemis jurés flanqué de ses deux fils, les jumeaux Hank et Dean. Entre deux vannes pipi-caca, The Venture Bros. sert un propos plutôt noir autour de la thématique de l’échec. Les « daddy issues » de Doc Venture et son incapacité à reproduire les exploits de feu son père le rendent très frustré. En introduisant des morts, des conséquences et de la continuité, Publick et Hammer donnent à leur série un aspect ultra-feuilletonnant qui détonne sur leur propre chaîne, rendant le chaos de leurs références pop culture tout à fait cohérent et maîtrisé. Une non-peur de thèmes dramatiques plus lourds et d’une noirceur souvent limpide qui détonne parmi les programmes Adult Swim. Mais c’est aussi ce qui leur a permis de bâtir leur propre univers, patiemment et en récoltant un public dévoué de saison en saison grâce aux coffrets DVD et rediffusions.


La réputation internationale de la chaîne ne s’est pas bâtie sur des programmes underground, mais sur des pastilles crues d’animation détournant l’usage de figurines diverses et variées. Robot Chicken est un programme émérite (plusieurs nominations aux Emmy Awards), ce qui lui permet d’avoir un certain crédit à l’international, et d’être plus en vue. L’autre intérêt de Robot Chicken c’est qu’il se base sur beaucoup de parodies de pop culture, dessins animés, séries et lignes de jouets ; il se rapproche ainsi beaucoup plus de Saturday Night Live et MadTV, et a pour vocation d’être beaucoup plus populaire et accessible. En y regardant de plus près, on y retrouve la même anarchie créative que les autres séries d’Adult Swim : des chutes gore, des répliques souvent dérangeantes et des sketches qui peuvent être uniquement une seule blague, ou une blague répartie sur tout l’épisode de manière aléatoire. Les émissions parodiant de manière officielle les héros DC ou Star Wars ont aussi aidé à la notoriété du programme, qui utilise aussi la stop motion de manière très appliquée. 


Un programme à peu près présentable, à l’opposé total de Mr. Pickles qui est un des programmes de rentrée du bloc français sur ENORME TV. Il s’agit de la rencontre entre une sitcom familiale de type Lassie avec une famille idéale de l’Americana moderne… et un chien sataniste surpuissant, qui cache son identité de tous et commet plusieurs massacres par épisode à leur insu. Les dix épisodes sont un cauchemar permanent : de la niche sur laquelle est bâtie l’antre de Mister Pickles, que vont rejoindre plusieurs victimes au cours de la saison, jusqu’à l’environnement professionnel oppressant du père de famille, la série tape très fort là où ça fait mal. Grand écart permanent entre une ville traditionnelle perpétuellement aveugle sur les menaces qui pèsent sur elle et un esprit gonzo porté par son chien antihéros, Mister Pickles représente la dernière tendance des séries animées Adult Swim : celles du « network qui vous déteste ». Animation crue, personnages volontairement laids, humour très macabre… l’équipe de Mike Lazzo n’a eu de cesse de donner leur chance à des séries qui pourraient être improgrammables ailleurs.

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Les programmes live-action

Adult Swim  a une relation très complexe avec les multiples programmes dont elle s’inspire pour ses propres créations. D’un côté ils ont un profond respect pour le style et les tics visuels ou narratifs de la télé américaine ; de l’autre, ils l’utilisent pour mieux l’exploser de l’intérieur. C’est ainsi que Eagleheart part comme une parodie surréaliste de Walker Texas Ranger, avec le pape de la comédie surréaliste Chris Elliott en marshall égoïste et volontiers sanguinaire. Mais il évolue très vite en objet à l’humour grinçant, qui respecte autant les procéduraux comme The Closer ou New York Unité Spéciale, à qui ils empruntent beaucoup d’acteurs habitués aux apparitions d’un épisode. 


Les menaces affrontées par le marshall Chris Monsanto flirtent souvent avec le fantastique, et les gags visuels abondent… mais la réalisation –et souvent, la musique – reste respectueuse de son original. L’autre grande force d’Eagleheart est son trio principal, et une héroïne féminine, Suzie (l’excellente Maria Thayer) qui n’a rien du sidekick ou du faire-valoir. Au contraire : les scénaristes d’Eagleheart la rendront souvent la plus délurée du trio, avec un épisode qui la voit métamorphosée en ersatz poilu de Patricia Arquette dans Human Nature, et un autre qui la voit marionettiste de trognons de pomme. 


La franchise live-action la plus connue d’Adult Swim on la doit à deux comiques perpétuellement fauchés, et au style très lo-fi – et par lo-fi on entend qualité VHS dégueulasse, éreintée par trop de rediffs : Tim Heidecker et Eric Wareheim, créateurs et hommes-à-tout-faire de leur Tim & Eric Awesome Show, Great Job! Celui-ci part des programmes de « community access ». Un concept bien abouti dans la télé américaine, soit des achats d’espace par des petites associations sur des télés locales pour faire des émissions absolument cheap et très peu pro… et donc un terreau fertile pour des comédiens mal intentionnés comme Tim et Eric. Mike Lazzo a gardé le programme à l’antenne surtout car il divisait les téléspectateurs. A sa grande joie. « On a beaucoup de séries qui divisent carrément les gens, mais ils ont été les premiers à en avoir un », précise-t-il. Avant leur Awesome Show, Tim et Eric ont eu un dessin animé fauché, Tom Goes To The Mayor, et de nombreux téléspectateurs ont appelé la chaîne pour le faire retirer de l’antenne.


La spécialité de Tim et Eric ? Le « cringe humor », ou des sketches volontairement fauchés, durant beaucoup trop longtemps ou de piètre qualité. Il ne s’agit pas de mettre le public forcément mal à l’aise, comme certains de leurs comparses britanniques, mais de lui faire tester sa résistance à ce qui se veut quasiment comme de l’anti-humour. Et pour ce faire, ils ne reculent devant rien, surtout pas engager des acteurs non-professionnels pour des résultats désastreux. Mais le Tim & Eric Awesome Show, Great Job! a sa niche d’aficionados, et c’est ce qui importe pour Adult Swim. C’est pourquoi la franchise a engendré un spectacle live – qui continue à travers les Etats-Unis, un film – produit pour 3 millions de dollars, mais qui s’est hissé à peine à 200 000 $ de recettes au box-office – et plusieurs spin-offs. Car Tim et Eric ont des accolades de plusieurs comiques américains de marque, comme Zach Galifianakis, Will Ferrell et surtout John C.Reilly. Ce dernier incarne un médecin bégayant et complètement à l’ouest dans la série de Tim & Eric, et a son propre spin-off depuis maintenant 3 saisons, Check It Out! With Dr. Steve Brule. La notoriété de C. Reilly, qui improvise toute la série, aidant, la série a connu une plus grande longévité que Tim & Eric sur l’antenne. Après une émission spéciale, Check It Out est renouvelé pour une quatrième saison, alors que Tim & Eric se contentent d’une série d’émissions spéciales, Tim & Eric Bedtime Stories. Après 1 saison de 7 épisodes l’an dernier, ce pastiche étrange d’histoires fantastiques en anthologie reviendra la saison prochaine pour 2 épisodes. Tim et Eric font partie des talents qui ont été développés avec le concours de la chaîne.


La loyauté envers les talents comiques est ce qui permet à Adult Swim  de proliférer. Et une des séries les plus longues de leur histoire vient du vivier du Web. Avec la grève des scénaristes en 2007, certains créatifs et comédiens, se retrouvant au chômage technique, se retrouvent à créer des projets juste par simple ennui. Rob Corddry, alors un des correspondants du Daily Show, se retrouve à passer à l’écriture de Childrens Hospital, une vague parodie de séries médicales qui est également une vraie série médicale à succès, lauréate de multiples Emmys. 


Corddry joue Cutter Spindel, qui, lui-même incarne le Dr. Blake Downs, qui est autant un clown thérapeute que le clown de Ça est un comique troupier. Il est entouré de médecins volontiers incompétents et plus occupés à leurs histoires de coucheries et leurs lubies que leurs jeunes patients. La première saison a été diffusée sur le site de la Warner Bros., pour une initiative de webséries qui n’a pas marché : Studio 2.0. Lorsqu’elle a été récupérée par Adult Swim, ses ambitions ont décuplé et très vite, Childrens Hospital a pris ses marques. Il compte surtout avec un des auteurs les plus respectés de la comédie américaine : David Wain, dont le carnet d’adresses est long comme le bras. C’est lui qui a transformé Childrens Hospital en un ensemble show déluré, et violemment drôle : des quelques vacheries d’Henry Winkler jusqu’à Megan Mullally, qui n’a jamais été aussi drôle qu’en Chief en déambulateur, tout le monde est utilisé à la perfection. Et la série donne droit de cité à des comédiens peu connus mais très efficace : dans le staff médical, Lake Bell et Erinn Hayes ont ainsi pu prouver tout leur talent. Et la première, jusqu’ici cantonnée à des rôles dans des séries de SF médiocres (Surface) a pu passer derrière la caméra pour son premier film, In A World… grâce à l’expérience fournie par la série, entre autres. L’anarchie propre à Childrens Hospital passe surtout par son goût du meta : les producteurs jouent avec l’idée que la série ait du succès, et n’ont pas hésité à aller tourner au Brésil pour une scène en plein milieu d’un épisode, car c’est là que la (fausse) série est prétendument tournée. Au cours des saisons, des versions internationales de la série ont ainsi remplacé tout le cast, pour se moquer des remakes qui sont souvent des pâles copies mal transposées de leur original. Sans compter des fausses pubs et des faux making-of, tournés avec leur pote, et qui ont engendré de vrais spin-offs. L’un d’entre eux est Eagleheart. 


Un autre est NTSF : SD : SUV. Il ne partage avec Childrens Hospital que le surréalisme et l’inspiration – très libre – de gros succès de série télé. Avec un agent antiterroriste très, très nihiliste en son centre (hello , Jack Bauer), la NTSF : SD : SUV (diminutif de National Terrorism Strike Force: San Diego: Sport Utility Vehicle) est nettement plus dans les clous, avec une grande menace par épisode. La sensibilité de NTSF, par ailleurs une création du comédien et scénariste Paul Scheer, est plus dans ses dialogues aux menaces toujours plus hyperboliques, aux effusions de gore çà et là, et aux épisodes à la tension très, très embrouillée. Le fun de la série, qui a duré 3 saisons avant d’être officiellement en hiatus, est ainsi beaucoup plus « accessible » que les autres programmes de la chaîne. 


Du côté de Loiter Squad, c’est également une création beaucoup plus prévisible : la cour de récré du collectif Odd Future, réduit à Tyler The Creator, Jasper et à quelques sketches Earl Sweatshirt. Mélange entre des parodies petit budget d’émissions américaines, de cascades « vite fait » et de caméras cachées, l’intention de faire le Jackass de la banlieue de L.A. est assez vite respecté. Ce pot-pourri est assez proche d’un produit dérivé de la galaxie Odd Future. Plaisant mais pas forcément parmi le haut du panier.

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Les programmes spéciaux

La spécificité d’Adult Swim, c’est que ses créatifs fonctionnent en bocal. Faire une anti-télévision se rapproche beaucoup de faire de la télévision dans les bureaux de Williams Street près du QG de Cartoon Network, en plein Atlanta. Et en général une fois que ceux-ci accrochent à une idée bizarre ou qui les fait rire, ils laissent ceux qui les ont imaginés bosser dans leur coin. Cela implique aussi de donner libre cours à des acteurs qu’ils aiment : ainsi Brett Gelman, l’assistant un peu simple d’esprit de Chris Monsanto dans Eagleheart, a pitché sa propre émission spéciale. Elle part d’un dîner où il convoque cinq acteurs dans leur propre rôle, dont Richard Schiff (The West Wing) et Alison Pill (Scott Pilgrim) pour parler de tout et de rien… avant que les choses dégénèrent inévitablement. Dinner With Friends, c’est une inspiration d’une émission confidentielle initiée par Jon Favreau : Dinner For Five, où quatre personnalités d’Hollywood étaient choisies au hasard pour échanger autour d’un bon dîner. Mais très vite les tendances psychopathes de Gelman vont se révéler au grand jour, et il va piéger ses invités. Une sensibilité comique comme celle de Gelman aurait du mal à passer ailleurs, mais elle trouve un terrain idéal ici.


De la même manière, des émissions spéciales peuvent être des happenings, comme la série pompeusement intitulée Greatest Event In Television History. Un délire d’Adam Scott (Parks And Recreation), elle se distingue par des (faux) coulisses de sa création, puis un remake plan par plan d’un générique de série des années 1980. Les deux premiers étaient consacrés à Simon & Simon et Pour L’Amour du Risque. Et l’idée est d’en faire un making-of de blockbuster, totalement méticuleux et attendu par le tout-Hollywood, le tout avec en voix-off le très réputé présentateur de Survivor, Jeff Probst. Une folie des grandeurs qui se reflète un peu dans le vrai making-of : Adam Scott a ainsi jeté l’éponge après 4 éditions de son Greatest Event, trouvant que cela représentait beaucoup trop de travail. Ce qui en dit long sur les qualités de production qui peuvent être allouées à des programmes comme celui-ci.

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Adult Swim, rois des Internets

L’éthique de Mike Lazzo et son équipe, implantée dès les débuts de la chaîne, alors qu’ils n’avaient que 3 heures d’émission par jour, est celle de prendre des risques sans forcément perdre de l’argent. « Alors que sur des chaînes plus mainstream, les coûts de grille incitent les responsables à prendre les décisions les plus prudentes, on a conçu notre système pour être assez peu cher, de façon à faire des choix risqués ». Le co-créateur de Sealab 2021 ajoutait : « L’état d’esprit de Mike c’est : les gens regarderont ou pas. S’ils regardent pas, ça nous a coûté 5 dollars à faire. Et vous savez quoi ? Notre public en a rien à foutre non plus. Et où allez-vous pouvoir dénicher les téléspectateurs qui en ont rien à foutre pour vendre votre espace pub ? »


Les programmes qui-coûtent-5-dollars perdurent. Au fur et à mesure de son existence, la chaîne a grignoté de plus en plus de place sur la grille de Cartoon Network, passant à un bloc débutant à 20 heures pour se terminer à 6 heures du matin depuis ce printemps. Et en plus des diffusions d’anime –le bloc Toonami – elle peut se targuer d’un habillage volontairement hallucinogène et barré, jouant avec les attentes des insomniaques qui la regardent. 


En plus des jingles pubs, il y a aussi, en guise de speakerine, des textes interstitiels qui sont une sorte de moyen de communication entre la chaîne et ses fans. Entre souhaits d’anniversaire d’un membre de l’équipe, blagues d’un goût douteux et réflexions sur leur propre programme, une vingtaine de textes sont pondus chaque semaine par l’équipe créative de Williams Street. Un texte en Helvetica qui est devenu synonyme de la chaîne. L’autre synonyme ? La boîte à surprises souvent incommodantes qu’est devenue la case de 4 heures du matin. C’est de là qu’est parti le phénomène « Too Many Cooks ». 


Traditionnellement, le milieu de la nuit sur beaucoup de chaînes locales est dévoué à des longs programmes publicitaires, des « infomercials » ou publi-informations revenant en détail sur les bienfaits d’un produit. Certaines nuits, Adult Swim  dévouera une partie de leur antenne à ces pubs. D’autres… ils joueront à cache-cache en insérant des fausses pubs qui dérivent le plus souvent dans l’humour noir et l’horreur. Suivant la bonne réception de leur public, qui garde un œil attentif sur ces « surprises », Adult Swim les met en ligne sur leur site et leur chaîne YouTube. Too Many Cooks n’a pas dérogé à la règle : après 1 an de développement par Casper Kelly, créateur de Your Pretty Face Is Going To Hell, et un tournage en plein Atlanta avec des dizaines de figurants, le résultat a été discrètement mis à l’antenne un soir d’octobre. Et la viralité a pris : les médias télé américains ont commenté sur ce générique de comédie familiale avec le plus gros casting du monde, qui dérive sur celui d’une série policière et d’un cartoon façon « G.I. Joe », avant de voir un sociopathe décimer les comédiens un à un. Too Many Cooks a cumulé 8 millions de vues sur YouTube après la mise en ligne, et a certainement attiré plus de regards sur les expérimentations discrètes de la chaîne.


Comme pour les émissions spéciales, les « Infomercials » sont les tours pendables les plus vieux d’Adult Swim et développés en faisant confiance à leurs créatifs ou à des comédiens réputés, comme David Cross ou H.Jon Benjamin (la voix d’Archer). Mais la chaîne n’a pas attendu Too Many Cooks pour avoir une présence avant-gardiste sur Internet : beaucoup de pilotes mis sur le site de la chaîne ont été évalués par le public, puis mis à l’antenne, comme un stoner se retrouvant aspiré dans les Internets, Fat Guy Stuck In Internet. Ou, plus souvent, ont fait l’inverse : un des dessins animés les plus extrêmes, 12 Oz. Mouse et sa souris dépressive et sociopathe avec une animation à peine finie, a été mise dans son intégralité sur le site. Naturellement, la chaîne prend son éthique cheap à la lettre lorsqu’il s’agit d’inaugurer des podcasts vidéo : ainsi, plusieurs employés de la chaîne font un commentaire de l’aquarium de leurs bureaux et le comportement de leurs neuf poissons. Le tout en prenant des appels d’auditeurs comme si c’était une émission de commentaires sportifs. Cela s’appelle FishTank Live, et c’est diffusé quotidiennement à 16 heures sur le site d’Adult Swim. L’audience est passée de 120 à 5000 internautes en ligne, un succès assez relatif pour une idée aussi WTF. Une spontanéité qui a toujours été dans les cordes de la chaîne : en 2006-2007, ils utilisaient le site pour diffuser leurs soirées corporate dans leurs locaux. Entre autres (mais pas exclusivement) pour narguer leurs téléspectateurs, assez confus de leur politique de programmation consistant à arrêter des séries ou en programmer d’autres sans plus d’avertissement. Une grogne qui a aussi aidé à la réputation de la chaîne, à tel point que sur le forum du désormais défunt site de commentaires sur la télé américaine Television Without Pity, le sujet consacré à Adult Swim était sous-titré « The Network That Hates You » (la chaîne qui vous déteste). 


La case des Infomercials a aussi vu défiler depuis quelques années Off The Air, ou un assortiment d’archives et de plans visuels plus ou moins sur un certain thème, qui est un des rares espaces accordés à la « slow TV » à la télé américaine. Dave Hughes, qui produit le programme, explique que malgré son anarchie apparente, « je crois qu’une émission doit être une entité à part entière, au lieu d’un assemblage de séquences ». Le travail pour reprendre et payer les créateurs dont les vidéos sont utilisées est méticuleux, et donne un droit de cité à ces créateurs amateurs en les citant en fin d’émission. Un recyclage futé que ne tente pas la concurrence.


La dernière annonce de grille de programmes d’Adult Swim n’a jamais autant comporté de séries originales, avec une bonne vingtaine de programmes sur la grille 2015-2016, après une période de carence dûe au temps de production de beaucoup de leurs séries animées. Une saison qui verra la diffusion de l’ultime saison d’Aqua Teen Hunger Force, maintenant nommée Aqua Teen Hunger Force Forever, le retour des Venture Bros. et de Black Jesus. Parmi les nouvelles créations, la minisérie Neon Joe Werewolf Hunter, soit un chasseur de loups-garous toujours en tenue fluo, qui va devoir sauver une ville. Et un assortiment de sketches nommé TV Sucks, qui avertit : « prenez garde, cette série vous déteste ». La boucle est bouclée.


Florian ETCHEVERRY


Texte tiré du Rockyrama n°9 - Goonies




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