Blade Runner 2049 : les androïdes rêvent-ils toujours de moutons électriques ?
Un soir de 2016, Denis Villeneuve, Harrison Ford et Ridley Scott dînent ensemble à Budapest.Un soir de 2016, Denis Villeneuve, Harrison Ford et Ridley Scott dînent ensemble à Budapest.
Scott vient d’arriver dans la capitale hongroise où est tourné Blade Runner 2049 depuis la mi-juillet dans des décors construits et un plateau spécialement aménagé (agrémenté d’effets spéciaux à la pointe, of course, supervisés notamment par les Français de BUF et, surtout, les Néo-Zélandais de WETA Workshop). Très peu de fonds verts au final : « 99% des plans sont ‘naturels’ » atteste Villeneuve. Ryan Gosling, star de cette suite très attendue est impressionné : « C’est vraiment incroyable, J’ai été submergé par la taille de ces décors et par leur degré de détail. Et aussi par le fait qu’ils soient si beaux bien qu’ils soient glauques. » Les retrouvailles de Scott avec Ford, 34 ans après les derniers tours de manivelles de Blade Runner, étaient inespérées. A table, la discussion, d’abord amicale, dévie bientôt sur un sujet plus touchy. Du genre à échauffer les esprits. Le sujet qui fâche, particulièrement entre ces deux-là : qui est Rick Deckard ? Quelle est sa nature profonde ? Le Blade Runner du Los Angeles de 2019 est-il un humain ou un replicant qui s’ignore ? Licorne, origami,... tout ça, quoi. « C’était amusant, je dois dire, de me retrouver dans la ligne de tir entre Harrison et Ridley, en train de se disputer sur le fait que Deckard se doit d’être un replicant et pourquoi il doit être humain. » racontait Villeneuve à Entertainment Weekly. « En tant que fan, c’est un dîner dont je me souviendrai toute ma vie. » Scott a toujours insisté sur le fait que Deckard était un replicant, allant à contre-courant de la conviction profonde du scénariste Hampton Fancher et de l’interprète principal du projet. « C’était une question qui était au cœur du processus à l’époque du premier film”, précise Harrison Ford, “et je ne suis pas certain d’avoir obtenu une réponse claire de la part des gens avec qui j’ai travaillé à ce moment là. Je pense que la réponse à votre question vaut bien le prix du billet ». Le 6 octobre, les fans du monde entier sauront a priori à quoi s’en tenir, après trois décennies de débats enflammés sur le sujet. Le metteur en scène Canadien, très concerné, ne prend rien à la légère et a fait ses devoirs ; Il estime avoir vu le film original plus de mille fois.
La pression est terrible sur les épaules du Québécois, qui traverse au début du projet une « intense période de terreur » avant de se relaxer quelque peu dans la salle de montage, située dans les locaux de Sony à Culver City, en découvrant les premières séquences tournées. « Il y a un sentiment de soulagement, à présent, car j’ai vu des images et j’ai sentis que nous allions dans la bonne direction. » Le metteur en scène regagna confiance en lui à l’idée de collaborer une fois encore avec un monteur de confiance, Joe Walker, collaborateur régulier de Steve MacQueen (Hunger, Shame, 12 Years a Slave) et nouvel atout de Villeneuve depuis Sicario et Premier Contact. Le technicien, qui vient de l’univers de la musique, a proposé à Villeneuve de travailler simultanément sur le montage son et sur le montage image. Une méthode payante, selon le réalisateur, qui permet à ce dernier de construire le film comme il l’entend et de façon immédiate.
Avant d’arriver à l’étape du montage proprement dite, il est important de préciser que les prises de vue ont contribué à l’excellente dynamique de l’ensemble. Contrairement au film original de 1982, en effet, le tournage de Blade Runner 2049, bien qu’intense (105 jours !), s’est déroulé dans des conditions très sereines. « Une atmosphère très canadienne, finalement » plaisantait Gosling. « Très agréable, extrêmement bienveillante, avec cette ouverture d’esprit caractéristique. Et une vraie générosité. Je ne parle que de Denis, évidemment. Il y a quelque chose de très Canadien dans toute cette entreprise. » En attendant que nous puissions voir le résultat produit par cette force tranquille, le voile du secret est jeté sur le film. La parano ambiante a évidemment conduit la production à distiller avec parcimonie la moindre information sur le scénario. Les producteurs de Alcon Entertainment osent tout au plus avancer le pitch suivant : « Trente ans après les événements qui se sont déroulés dans le premier film, un nouveau Blade Runner (Ryan Gosling qui joue le dénommé K) découvre un secret qui peut potentiellement plonger ce qui reste de la société dans le chaos. Ce secret le contraint aussi à remettre en question tout ce qu’il avait pris pour argent comptant jusque là ». Les pas de ce nouveau personnage le mèneront, comme l’ont montré les très jolis trailers du film, à la rencontre d’une vieille connaissance des spectateurs. A ce propos, l’équipe du film nous encourage à nous replonger dans le chef d’œuvre de Ridley Scott pour y glaner des indices. « Il y a une idée, une graine, qui a été plantée dans le premier film et qui va germer dans cette suite. » dit Andrew Kosove, co-président d’Alcon Entertainment, société qui a acheté les droits de la licence en 2011 après un an de négociations avec Bud Yorkin. « Notre suite n’est pas celle à laquelle les gens s’attendent au premier abord. Mais quand ils la verront, ils se diront ‘Bon sang ! J’aurais dû m’en douter’ ».
Alcon Entertainment a pris contact avec Ridley Scott au moment où ce dernier préparait Prometheus à Londres. « La première chose que nous a dite Ridley fut la plus importante », poursuit Kosove, « à savoir que Blade Runner n’a jamais été prévu comme un one-shot. Jamais. Une série de films était envisagée dès le départ, avec des prequels et des suites. Il avait ces idées là en tête quand il réalisait le film original. » Scott avait même annoncé en 2009 qu’il travaillait sur une web série, des épisodes de 5 à 10 minutes concoctés avec son frère Tony et son fils Luke, et situés dans l’univers Blade Runner (sans pouvoir en utiliser les personnages et certains concepts, puisqu’il n’en avait pas acquis la licence). Le projet, intitulé Purefold et envisagé comme une sorte de prequel, fut hélas abandonné. Deux ans plus tard, débarrassé de ses craintes de devoir traiter à nouveau avec Bud Yorkin (détenteur des droits via sa structure The Blade Runner Partnership), Scott accepte la proposition d’Alcon et se dit prêt à réaliser la sequel. Il planche alors sur un script avec le scénariste original, Hampton Fancher. Ce dernier est alors en pleine écriture d’une nouvelle SF - basée sur une idée jadis écartée durant l’écriture du film original - quand Ridley Scott l’appelle pour lui demander s’il est partant pour rempiler et s’il dispose déjà de certaines idées. Le scénariste évoque ce qu’il est en train de rédiger et, emballé, le metteur en scène invite Fancher à passer une semaine à Londres à travailler les bases d’un synopsis, puis accoucher d’un scénario d’environ quatre-vingts pages. Après quoi Michael Green (scénariste de Alien: Covenant mais aussi de Logan et de la série American Gods, qu’il produit) est appelé pour étendre l’univers et polir les détails. “Il y a des thèmes dans l’original qui reviennent dans 2049”, précisait Fancher au magazine Première. “La distinction entre l’artificiel et l’humain. L’éthique du monde. La manière dont il a empiré. Tout cela est intensifié : le virtuel est devenu réel ; l’économie du nouveau monde est d’autant plus dévorante. Blade Runner 2049 est plus extrême dans tous ses aspects.”
Ryan Gosling, nouvelle tête d’affiche, a été suggéré par Scott lui-même dès les tous débuts du projet (personne d’autre que lui ne fut d’ailleurs envisagé pour le rôle) et le comédien confirma son intérêt à Villeneuve lors d’une entrevue à New York. Le réalisateur canadien n’eut pas beaucoup de mal à convaincre son compatriote d’acteur, grand fan du film original. “J’étais trop jeune pour voir Blade Runner en salles au moment de sa sortie”, raconte-t-il à Première. “J’ai donc vu tous les films qui l’avaient pillé avant de le visionner. Et quand je l’ai découvert à 13 ou 14 ans, ce fut une révélation. J’ai été stupéfait de constater à quel point ce film avait influencé toute mon époque et comment Ridley Scott avait quasiment inventé toute la SF que j’aimais (...) Ce qui m’a frappé c’est son aspect prophétique. le film n’a pas seulement créé un système esthétique, il a devancé la réalité. (...) Le look, l’histoire, le mélange entre la mélancolie néo-noir et la SF. Ridley, Harrison et Rutger Hauer évidemment, la synergie entre les performances d’acteurs, le visuel somptueux, la musique de Vangelis… C’est tout cela qui en fait un classique !”.
Harrison Ford, quant à lui, n’accepte de reprendre son rôle qu’en 2014. Ca n’allait pas forcément de soi tant l’expérience du premier film fut un mauvais souvenir pour lui. « Blade Runner, c’était 50 nuits sous une pluie artificielle sur le plateau de la Warner, et c’était dur », se remémore l’acteur. “Mais il est intéressant de développer un personnage après une aussi longue période. Par ailleurs, Ryan apporte une intelligence émotionnelle authentique et originale. J’ignorais totalement ce que j’allais obtenir en partageant des scènes avec lui, et c’était une bonne chose.” Le retour de Rick Deckard dans l’univers dickien n’en fut que plus attendue par une équipe technique et un cast fébriles. « Harrison n’a commencé à travailler avec nous qu’un mois après le début du tournage”, rebondit Ryan Gosling. “Nous avions donc tout le temps du monde pour imaginer comment se déroulerait notre collaboration, attendre que cela arrive et espérer que nous faisions quelque chose qui allait le satisfaire. (…) A son arrivée, il a immédiatement mis tout le monde à l’aise et s’est mis tout de suite au travail. » Robin Wright, Barkhad Abdi, Lennie James, Ana de Armas, Edward James Olmos (le retour de Gaff !), Jared Leto et Dave Bautista (ces deux derniers ayant tourné deux courts-métrages disponibles sur a toile - Blade Runner 2049 - 2036: Nexus Dawn et Blade Runner 2049 - 2048: Nowhere to Run – réalisés par Luke « fils de Ridley » Scott, étoffant le background de leur personnage respectif), entre autres, complètent un casting alléchant. Si l’interprète inoubliable de Rick Deckard est de retour, Ridley Scott, lui, accaparé par Alien: Covenant, a dû renoncer au fauteuil de metteur en scène. Alcon, qui a produit Prisoners pour Villeneuve, propose alors le nom du réalisateur canadien. “J’ai accepté la proposition car le script était vraiment très bon”, confiait ce dernier au Hollywood Reporter. “Mais quoique l’on fasse, quelle que soit la qualité de ce que vous faites, le film sera toujours comparé au premier, qui est un chef d’oeuvre. Je l’ai accepté. Et si vous l’acceptez, vous êtes libre.
Ryan Gosling et moi nous sommes fait à l’idée que les chances de succès était très minces”. Scott met tout de suite son nouveau protégé à l’aise, insiste pour qu’il fasse son propre film. Celui qui n’avait jusqu’alors travaillé que sur des matériaux originaux qui lui étaient soumis directement se retrouvait confronté pour la première fois à un univers déjà bien établi. Avec ce faux blockbuster aux allures de film art et essai, il n’entre pourtant pas dans la catégorie des films de commande. “J’ai toujours abordé mes films de la même manière” déclarait Villeneuve à nos confrères de Première. “J’ai besoin d’envahir l’espace avec mon imaginaire. Que je les écrive ou non, il faut que dans le scénario, le livre, dans la structure même du texte, je puisse sentir que ça résonne, qu’il y a de la place pour m’y projeter. (...) J’ai Blade Runner dans mon ADN mais j’ai dû créer ma propre identité dans ce monde qui m’a nourri.” Pour surmonter ses craintes, il décide donc d’en faire son film, imprégné d’éléments très personnels. Il reprend quelque peu le script, estimant que certaines idées de Hampton Fancher s’éloignaient trop de l’univers décrit par Ridley Scott. “J’ai mis du temps à m’approprier correctement ce rêve, qui est le rêve de quelqu’un d’autre. (...) Le film original m’a profondément inspiré, marqué en profondeur; C’était difficile de passer après. (...) Blade Runner fut une étape majeure de la SF pour plusieurs raisons - l’esthétique, le mélange des genres, la narration… Accepter de signer la suite était un geste fou. (...) Mais on est tombé amoureux fou du script et esthétiquement c’était un rêve d’explorer cet univers. Je revenais aux sources de mon amour pour le cinéma”. Scott rassure également Villeneuve sur sa disponibilité en cas de besoin, mais se montre d’une grande discrétion, laissant toute latitude à son successeur d’aborder le projet à sa façon. “Il n’a pas été présent physiquement”, précise Villeneuve, “mais j’ai constamment senti sa présence car j’étais en train de pénétrer son univers. Donc, en un sens, il n’était à la fois pas là et présent en permanence.”
Une autre absence, sans doute plus pesante à gérer celle-là, est celle de l’auteur des inoubliables musiques, produites par ce synthé cosmique qui nous hante encore. Vangelis semble s’être retiré du monde du cinéma (il aurait, paraît-il, refusé au préalable de faire les musiques de Prometheus pour Scott) pour se consacrer à des expériences musicales plus personnelles. L’héritage du compositeur grec, dont les thèmes sont si emblématiques de l’univers Blade Runner, fut visiblement difficile à assumer. L’Islandais Johann Johannsson (Prisoners, Sicario, Premier contact) devait composer le thème principal avant de quitter la production, quelques temps après l’annonce par le réalisateur de l’arrivée en renforts de quelques pointures. « Au vu de l’ampleur de la tâche, confiait Villeneuve à Studio Ciné Live, Benjamin Wallfisch et Hans Zimmer ont rejoint l’équipe pour aider Johann. C’est difficile d’arriver à la cheville de Vangelis ! On a des sons atmosphériques ahurissants de Johann, mais j’avais besoin d’autres choses, et Hans nous a aidés. » A quelques jours de la sortie, c’est désormais Hans Zimmer qui paraît être officiellement maître à bord de la bande originale.
Pour prendre la relève du grand chef op’ Jordan Cronenweth (Au-delà du réel, Cutter’s Way, Peggy Sue s’est mariée, Les anges de la nuit), décédé en 1996 et auteur de la sublime photo du film original, Villeneuve a jeté son dévolu sur son go-to-guy Roger Deakins (DP fétiche des frères Coen, ainsi que sur Les évadés, Kundun, Un homme d’exception, Le village, Skyfall), avec lequel il a déjà tourné Prisoners et Sicario. « Roger… C’est un maître”, s’enthousiasme Ryan Gosling. “S’il y a un Mont Rushmore des chef op’, il y serait bien en vue au milieu. Il fait son métier de façon très modeste et discrète, mais on apprend tellement simplement en le regardant faire. Vous réalisez qu’une fois que vous êtes dans l’un de ses plans, la moitié de votre boulot est déjà faite. » Le chef opérateur était particulièrement excité à l’idée de travailler sur un film d’auteur avec des moyens d’un blockbuster, et tourner dans de vrais décors au détriment des fonds verts. “Roger nous a bluffé quand il a fallu ruser pour créer des paysages”, confiait Villeneuve, admiratif. “Je pense que je peux compter sur les doigts d’une seule main les fois où nous avons utilisé des fonds verts durant tous ces mois de tournage. Il y a des améliorations réalisées en CGI, évidemment, mais l’essentiel se fait en prise de vue réelle.” « La lumière réagit différemment quand on lui donne de véritables matières », précisait Deakins à Studio Ciné Live, « que ce soit de la neige, des façades d’immeubles et même du brouillard. C’est ce qui fait la couleur d’un film. »
Il nous tarde de nous replonger dans cet univers familier et d’être tout à la fois surpris et rassuré. Découvrir l’appropriation toute personnelle d’un rêve, celui de Ridley Scott et de Hampton Fancher, par l’un des réalisateurs les plus en vue de ces huit dernières années. Pour mieux retourner aux sources de notre cinéphilie.
Blade Runner 2049 in association with Columbia Pictures, domestic distribution by Warner Bros. Pictures and international distribution by Sony Pictures Releasing International. © Alcon Entertainment, LLC. All rights reserved.