Carrie Fisher : notre princesse éternelle
Dans un dernier élan de cruauté malsaine, la déjà meurtrière année 2016 nous arrachait Carrie Fisher au lendemain de Noël.Dans un dernier élan de cruauté malsaine, la déjà meurtrière année 2016 nous arrachait Carrie Fisher au lendemain de Noël. C’est un drame dont on a encore du mal à se relever tant elle est une figure incontournable de notre grand monument de la pop culture.
Parlons d’un moment qu’on connait tous très bien : ce moment primordial, fondateur, où l’on a glissé dans le magnétoscope de la maison une VHS du Retour du Jedi. Peut-être qu’on l’avait déjà vu en salle mais peu importe. La bande se déroule dans le lecteur et devant nos yeux, la princesse Leia, dans son inoubliable bikini d’esclave, achève Jabba le Hutt en l’étranglant avec les chaînes qui la retenaient prisonnière. C’est une libération autant qu’une affirmation d’ordre politique et philosophique. Cette femme est une princesse. Une rebelle. Une amante. Un leader. Un exemple. On ne prend peut-être pas totalement conscience de ce que Carrie Fisher nous offre alors dans cette prestation parce que bon, on a que dix ans et on mate le Retour du Jedi ! Mais au fil des années qui suivent, son précieux message se révèle à nous dans toute sa limpidité : la femme est plus forte que l’homme. La vraie héroïne de Star Wars, celle qui se dresse, seule, face à une dictature unanimement masculine, c’est Leia. C’est Carrie Fisher. Son interprétation est sans faille, l’osmose est parfaite entre le personnage et son actrice. Cette évidence donne naissance à l’un des rôles les plus forts et les plus emplis de sens de l’histoire de la pop culture. On doit ça à Carrie Fisher.
Ça et bien plus, parce que Star Wars n’est qu’une facette, la plus évidente pour nous mais aussi la plus étouffante pour l’actrice. En 2005, dans un discours très pince sans rire en « hommage » à George Lucas, elle déclare « Je suis une alcoolique car George Lucas a bousillé ma vie. ». Elle prononce ce discours devant Steven Spielberg, Warren Beatty, Bret Easton Ellis, John Williams et Ally MacBeal alors que George Lucas reçoit le Lifetime Achievement Award de l’American Film Institute. Cela demande un certain courage, du talent comique et une vraie distanciation auto-parodique. Peu de femmes en sont capables et encore moins d’hommes, souvent plus consensuels, plus attendus. Personne, encore moins les acteurs et actrices, ne souhaite passer pour la grande gueule de service, à moins que ce ne soit pour une bonne cause. Carrie Fisher ne défend ici aucune cause sinon la sienne.
Comme nous le disions, Star Wars a phagocyté la vie de Carrie Fisher. Si se montrer nue face à la caméra n’avait pas été un problème pour elle, elle aurait peut-être été la Carrie de Brian De Palma. Mais à ce double casting de 1976 (l’un pour George Lucas, l’autre pour De Palma), le destin en a décidé autrement. Elle devait bientôt ne plus s’appartenir. Devenir Leia pour le monde entier, littéralement. Ce rôle éclipsera tous les autres. L’ex complètement cinglée des Blues Brothers. April chantant The Way You Look Tonight chez Woody Allen. Marie, la bonne copine de Meg Ryan dans Quand Harry Rencontre Sally. La carrière cinématographique de Carrie Fisher est chaotique, à l’image de la femme, mais pleine de moments savoureux. Malgré ces prestations solides, elle ne retrouvera pourtant jamais un rôle à la mesure de Leia. Les années passant, Carrie Fisher s’amuse de plus en plus de cette situation, joue à en désamorcer la tristesse. Dans une courte scène de Scream 3 de Wes Craven, elle incarne Bianca, une ancienne actrice ratée qui a loupé le rôle de la Princesse Leia, faute d’avoir accepté de coucher avec George Lucas.
Tout comme Mark Hamill, Carrie est une survivante de Star Wars. Car l’histoire est bien connue : si la popularité d’Harrison Ford a littéralement explosé, celle des deux autres têtes d’affiche est restée bloquée dans une galaxie très lointaine. Et Carrie Fisher a un désavantage que Mark Hamill n’a pas : c’est une femme. Une femme au franc-parler dévastateur qui lui fera passer plus d’un contrat d’actrice sous le nez mais l’aidera probablement dans sa carrière plus discrète de scénariste. L’écriture fut aussi pour elle un moyen d’avancer durant les périodes difficiles de dépression et d’alcoolisme – périodes sur lesquelles elle n’a jamais fait de secret (probablement pour contrecarrer les journaux qui s’en seraient chargés pour elle). Tout le drame est là, celui d’une vie passée dans l’ombre de la princesse et qu’elle trouvera la force de transformer en une comédie dans Wishful Drinking, un spectacle de stand-up d’une honnêteté désarmante qu’elle joue sur scène en 2008 (le texte sera également adapté en livre, édité chez Simon & Schuster). Cette hilarante auto-analyse est un exercice que peu de personnalités de sa trempe oseraient tenter, une fois de plus.
Mais l’univers de Star Wars est revenu envahir la vie de Carrie Fisher en 2015, trente huit ans après que tout ait commencé. A-t-elle accueilli ce retour comme un beau cadeau du destin ou comme le retour d’une malédiction ? Star Wars, la légende, exige de Carrie Fisher qu’elle se donne à nouveau. Et comme le monde avait besoin d’elle, la Princesse Leia est revenue. Une fois encore, elle prend sur ses épaules le poids des erreurs ou des faiblesses des hommes de sa vie : son amant toujours en fuite, son frère exilé, son fils séduit par le côté obscur et le terrible héritage de son père. Sans rien demander en retour, elle consacre sa vie à la rébellion, quitte à perdre ce qu’elle possède de plus cher. Leia s’abandonne à sa mission comme Carrie Fisher s’abandonne au personnage. Aujourd’hui, c’est nous qui avons perdu ce que nous avions de plus cher. David Bowie. Prince. Gene Wilder. Muhammad Ali. Alan Rickman. Carrie Fisher. Notre princesse éternelle. La femme qui, en traversant l’un des plus grands chefs d’oeuvres de l’histoire du cinéma, a discrètement tout changé à jamais.
Merci Carrie.
On t’aime.
Tu sais.
Joe HUME