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House, la maison d'Obayashi

On doit ce film aussi bien aux Dents de la mer de Steven Spielberg qu’à l’imagination débordante d’une jeune fille qui se peigne les cheveux devant son miroir.
House, la maison d'Obayashi

On doit ce film aussi bien aux Dents de la mer de Steven Spielberg qu’à l’imagination débordante d’une jeune fille qui se peigne les cheveux devant son miroir. Au milieu des années soixante-dix, Nobuhiko Obayashi est un réalisateur de publicité en vogue qui parcourt le monde pour réaliser des pubs avec Charles Bronson, Sophia Loren, Catherine Deneuve, Ringo Starr ou Kirk Douglas. Il travaille à Rome, dans les studios de la Cinecittà, ou à Hollywood, et tourne des clips pour la pop star Momoe Yamaguchi, tout en menant une double vie de cinéaste expérimental. Absolument rien ne le prédestine à réaliser House. Un film culte à tous points vue : un succès commercial improbable, novateur, absurde et psychédélique, donc fou, qui convoque toutes les obsessions d’un cinéaste, Obayashi, premier metteur en scène issu du monde de la publicité à réaliser un film pour l’un des plus grands studios de cinéma japonais, Toho.


Article par Malik-Djamel Amazigh Houha.


House, en salles dès le 28 juin dans sa nouvelle version restaurée.

Flash-back

Au début des années soixante, Obayashi est un pionnier du cinéma expérimental japonais. Il tourne en 8 ou 16 mm, c’est l’un des premiers — avec Yoichi Takabayashi et Takahiko Limura — à réaliser des films dans ce format, traditionnellement réservé aux films familiaux. Il devient un acteur majeur de la scène culturelle d’avant-garde de Tokyo. Il fréquente Shuji Terayama et Toshio Matsumoto. Il réalise des courts-métrages expérimentaux, mais ne se considère pas comme réalisateur : « je n’avais pas l’impression d’être un réalisateur de cinéma. J’ai eu ma première carte de visite à 20 ans et elle disait “artiste de cinéma”. » Ses amis et lui acquièrent rapidement une petite notoriété dans le microcosme artistique tokyoïte, et se mêlent à des musiciens ou des plasticiens en pleine ascension comme Genpei Akasegawa et Yoko Ono. C’est l’époque du cinéma libre, sans studios ni sans entraves. 


En 1964, à la suite d’une projection au Kinokuniya Hall à Shinjuku, la petite troupe – alors surnommée par les magazines d’art le «?nouvel art cinématographique?» – est démarchée par un producteur de la Dentsu, l’une des plus grandes agences publicitaires du Japon qui cherche à moderniser ses spots publicitaires. Il propose à Obayashi et sa bande de mettre leur expérimentation au service de la publicité, d’utiliser du matériel professionnel et d’être payé pour leur travail. Obayashi accepte. C’est le début d’une nouvelle carrière : le cinéaste expérimental devient une star de la publicité. Il innove et expérimente, dans le montage comme dans le rythme, et introduit les effets spéciaux dans les spots publicitaires. Obayashi fait appel à des stars occidentales et tourne à l’étranger. Il transforme la publicité en un authentique art cinématographique et se sert de ce nouveau médium en pleine croissance comme d’un véritable laboratoire expérimental. 


Il n’abandonne pas pour autant le cinéma expérimental. En 1966, il réalise Émotion. Obayashi tourne le film le soir et sur son temps libre, après avoir passé la journée à travailler sur des spots publicitaires. Il met une année pour le terminer. Le moyen-métrage se propage rapidement dans la plupart des universités japonaises, dans les circuits du cinéma expérimental et voyage jusqu’à New York. C’est sa manière de vivre le cinéma ; loin des cadres et des conventions, et bien loin des grands studios. Pour lui, le cinéma est un geste artistique qui relève de son histoire personnelle et d’une vision avant-gardiste. Il a pour modèle Un chien andalou (1929) de Louis Buñuel et ne s’imagine pas en réalisateur établi. De toute façon, le système des studios japonais est trop complexe pour aspirer à une telle chose. «?J’aimais regarder des films, mais je n’ai jamais imaginé que je pourrais réaliser un long-métrage destiné à être projeté dans les salles de cinéma. Je n’ai jamais pensé à faire des films. Pour moi, c’était un monde à part. » La publicité lui offre la chance d’expérimenter, de laisser libre cours à son imagination, de bien gagner sa vie et de côtoyer de grands noms du cinéma international, et ça lui convient parfaitement.

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Renaissance

Au milieu des années soixante-dix, le cinéma nippon est au bord de l’épuisement et la télévision est devenue la nouvelle source de divertissement familial. Une partie du public se détourne des salles obscures pendant que l’autre préfère les pinku eiga ou les films de yakuza. La Toho cherche un second souffle et, de l’autre côté du pacifique, Les Dents de la mer de Spielberg est un succès. Cela donne des idées à des producteurs. Et si la Toho réalisait une version japonaise des Dents de la mer?? Mais qui, pour le réaliser?? La vénérable institution ne veut pas impliquer les cinéastes maison, mais elle ne peut pas faire appel à des metteurs en scène d’une autre compagnie. Les règles sont strictes et figées. Un film de la Toho doit être réalisé par un metteur en scène de la Toho, et c’est aussi valable pour les autres studios, sous peine de déclencher des piquets de grève. 


Mais il y a Obayashi qui a un pied dans la maison. Il réalise des pubs dans les studios et compte de nombreux amis au sein de la compagnie. D’une certaine manière, c’est une star du petit écran grâce à ses publicités – il réalise 2000 spots publicitaires entre les années soixante et quatre-vingt –, et c’est aussi un cinéaste expérimental reconnu. Sans compter les propos de Nagaharu Yodogawa, le célèbre critique de cinéma qui déclare que « si Obayashi peut faire de telles publicités pour la télévision, il peut aussi être capable de rendre les films japonais plus excitants?». 


Kenichiro Tsunoda, producteur de Toho Images – une filiale du studio – lui rend visite, et lui propose de faire un film comme Les Dents de la mer. Obayashi n’est pas trop emballé par l’idée, il essaie de lui refiler le script de Hanagatami, une adaptation d’un roman de Kazuo Dan qu’il souhaite réaliser à la manière d’un film de François Truffaut. Mais Tsunoda insiste, ce qu’il cherche, c’est produire un film d’horreur qui attire les foules dans les cinémas, comme Les Dents de la mer, avec un canevas simple, des humains sont attaqués et dévorés par quelque chose, et peut importe quoi, mais un animal de préférence.


Obayashi accepte le projet, mais il n’est pas convaincu par l’idée de départ. Il décide de demander de l’aide à Chigumi, sa jeune fille de onze ans, fan de cinéma. Alors qu’elle se brosse les cheveux devant son miroir, il lui demande si elle a des idées pour un projet de film sur lequel il travaille. Obayashi l’interroge sur ses frayeurs, elle lui répond que ce qui pourrait la terrifier, c’est que son reflet dans le miroir en sorte et vienne la dévorer, mais aussi que quand elle joue des thèmes difficiles au piano, elle a l’impression que les touches lui mordent les doigts. Obayashi présente ce film comme le rêve – ou le cauchemar – de sa fille qu’il crédite au générique comme l’autrice de l’idée originale. 


Obayashi tient son histoire, une maison mangeuse d’adolescentes, avec un groupe de sept collégiennes, comme les sept samouraïs. Et comme dans les sept nains, le nom de chacune des protagonistes est le reflet de son caractère : Angel, Fanta (pour fantasia), Gari (diminutif de gariben, frénétique du travail), Kung-fu, Mac (pour stomach), Sweet et Melody. Pour trouver le titre, il demande conseil à son amie et scénariste Chiho Katsura qui a écrit le scénario de Hanagatami. Elle lui suggère le titre House, en anglais. Il présente son idée de film à Tsunoda qui adhère au projet, mais reste perplexe quant à la possibilité de le réaliser, car il juge l’histoire abracadabrantesque. La Toho tergiverse et y va petit pas par petit pas. Produire le film d’un metteur en scène issu de la publicité, et qui plus est, sans star, c’est un pari audacieux que tous ne sont pas prêts à prendre à la Toho… Mais le vice-président de la compagnie, Isao Matsuoka se réjouit de toutes les idées folles d’Obayashi : «?Je ne comprends pas du tout l’histoire. C’est la première fois que je vois un scénario aussi vide de sens. Mais c’est peut-être une bonne chose que je ne comprenne pas. S’il vous plaît, n’essayez pas d’en faire quelque chose que je puisse comprendre.?» Quant au producteur du film, Matsuo Katsu, il déclare : « je n’ai jamais vu un projet comme celui-là, qui n’a ni queue ni tête […] les films que je produis ne se vendent pas alors on peut essayer. »

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Obayashi fonde sa société de production pour co-produire le film avec la Toho. En 1976, une première version du scénario est écrite, il la signe sous le pseudonyme de Mario Baba. Mais il faut pousser le projet pour qu’il ne tombe pas dans l’oubli, et pour ce faire, Obayashi a une idée de génie : il fait vivre le film dans les médias pendant deux ans alors qu’il n’est pas encore réalisé. Il lance une campagne promotionnelle sans précédent dans l’histoire du cinéma japonais pour créer le désir et piquer la curiosité. Il dessine l’affiche et la diffuse dans les médias, édite une novélisation du long-métrage, engage le groupe de pop, Godiego, et sort la BO d’un film qui n’existe pas encore. Le disque est un succès et tout le monde connaît la musique. Un manga est publié et une version audio drama est diffusée à la radio. Obayashi se sert de ses relations à la télévision et dans les magazines people pour faire parler de lui, et donc du film. Tout le monde attend ce projet. En 1977, la Toho ne peut plus reculer, la pression populaire et l'attente des médias sont trop fortes, elle donne son feu vert pour la réalisation du film. 


Une fois le film terminé, les producteurs sont effrayés et décontenancés par le résultat. Ils ne croient plus au succès de ce long-métrage qui ne ressemble à rien de connu. Pour la sortie, la compagnie décide de le diffuser en double programme, en support de la romance Dorodarake no junjo de Sokichi Tomimoto, avec les jeunes stars Momoe Yamaguchi et Tomokazu Miura. Mais au bout de deux semaines, devant le succès du film, l’ordre s’inverse, et House devient la tête d’affiche. Devant certaines salles de cinéma, les adolescentes font des queues interminables. Obayashi réussit son pari. C’est un succès populaire, même si « certains acteurs du monde du cinéma ont rapidement critiqué le fait que House ressemblait plus à une publicité qu’à un film. La réponse d’Obayashi a été d’affirmer que le film était une publicité – pour le cinéma japonais lui-même, visant à ramener le public dans les salles de cinéma ». Mais peu importe les controverses, Obayashi reçoit en 1978 le prix Blue Ribbon du meilleur nouveau réalisateur et devient, au début des années quatre-vingt, le cinéaste fétiche du seishun eiga, des films qui racontent l’adolescence et la jeunesse et qui sont justement destinés aux adolescentes et aux jeunes. 


On ne peut pas vraiment raconter tout ce que l’on voit dans ce film, Obayashi y met tout ce qu’il aime, toutes ses influences, ce qui l’anime ou l’obsède, comme s’il pensait que l’occasion ne se représenterait jamais, que c’était là, assurément, à l’approche de la quarantaine, son unique chance de réaliser un film qui ne soit pas expérimental et, qui plus est, diffusé dans un circuit classique et produit par la Toho, le studio pour qui Akira Kurosawa a réalisé ses plus grands films. C’est probablement un rêve qu’il avait, sans jamais vraiment se l’avouer, tant cet univers est bien loin du sien, et surtout, inaccessible pour quelqu’un qui n’est pas du sérail. Le film ne ressemble à aucun autre à l’époque. C’est un véritable ovni cinématographique qui navigue entre plusieurs genres : bluette adolescente, drame familial, comédie musicale, film d’horreur, et réminiscence de la Seconde Guerre mondiale. Le film convoque Méliès, Murnau, Godard, Et mourir de plaisir (1960) de Vadim, le cinéma d’animation, l’univers esthétique du cinéma muet (européen comme japonais), Tora-san, la tradition fantastique japonaise, Opération Peur (1966) de Mario Bava, Bram Stoker, Keaton, Chaplin et le gag manga, entre autres. 


La figure du chat par exemple – symbole de ce grand mix culturel – est omniprésente tout au long du film, et réunit les deux traditions du fantastique, européenne et japonaise. Le chat démoniaque occidental, coupable en tout temps d’être un allié indéfectible du malin d’un côté, et de l’autre, le bakenoko du folklore nippon, chat fantôme qui appartient au monde des yokai, mais aussi la kaibyo, femme assassinée dont le sang a été lapé par un chat et qui devient un fantôme vengeur dont le corps prend une forme mi-humaine mi-chat et qui cherche à dérober la jeunesse des adolescentes. C’est une histoire de vampire aussi, le film fait échos à son moyen-métrage Émotion, qui met en scène des adolescentes, un vampire, et la campagne japonaise. 


Pour ce film, Obayashi utilise la caméra légère Panavision – plus maniable et plus mobile – dont il se sert pour la réalisation de ses publicités, et non pas les lourdes caméras Mitchell utilisées traditionnellement dans les productions Toho. Sur le tournage, il est extrêmement pointilleux, il fait attention au moindre détail du décor, mais aussi des acteurs et des actrices. Rien ne lui échappe, ni le maquillage ni les coiffures. Il utilise toutes les techniques possibles : le stop motion, l’animation, des filtres de différentes couleurs, l’arrêt sur image, le plan sur plan, l’exposition multiple, l’incrustation, les trucages optiques, la surimpression, la transition en volet, et les toiles peintes pour les paysages et les couchers de soleil. Tout y passe, dans un délire cinématographique surréaliste généreux qui en met plein les yeux.

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Mais derrière ce théâtre absurde filmé, passionnant dans sa mise en scène et toujours jouissif, se cache la grande déchirure de la guerre. Obayashi est un réalisateur politique – sans être un metteur en scène militant –, en ce qu’il est un des grands cinéastes de la guerre. « J’ai toujours recherché dans mon cinéma à filmer la guerre, filmer l’ombre de la guerre, son influence. Je l’ai vécue et j’en fais du cinéma, pour aller vers une recherche du bonheur et du rêve […] J’avais sept ans quand j’ai fait l’expérience de la bombe atomique. Je suis né à Hiroshima. » L’analyse du film qu’en fait Monsieur Bobine est évidente, si House emprunte au cinéma et aux mythes occidentaux, il s’inscrit également dans toute la tradition du cinéma fantastique japonais, de Kwaidan de Masaki Kobayashi (1964) à Godzilla (1954) d’Ishiro Honda, « bien que House soit exempt de kaiju, le film suppose que le réveil des forces surnaturelles est en partie lié à des événements tragiques ayant profondément marqué le Japon, quelques années auparavant. Comme Honda, Obayashi part du principe que la nature et les esprits qui la hantent se vengent du monde moderne, au point que la maison se transforme en arbre vivant ».


À la suite de ce long-métrage, Obayashi entame une seconde vie et tournera pas moins de 43 films, en plus de nombreux drama pour la télévision japonaise et quelques vidéo-clips. En 2016, on lui diagnostique un cancer et les médecins ne lui donnent que quelques mois à vivre, il trouve néanmoins la force de réaliser deux films, Hanagatami (2017) – son vieux projet qui lui tenait tant à cœur –, et Labyrinth of Cinema (2019). Le cinéaste s’éteint à l’âge de 82 ans, le 10 avril 2020. Il aura pratiquement passé toute sa vie avec une caméra dans la main. Un cinéaste passionné, jusqu’au bout de son dernier souffle.


Article par Malik-Djamel Amazigh Houha.

House, en salles dès le 28 juin dans sa nouvelle version restaurée.