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Heat 2 : Michael Mann, écrivain à la tête froide

À l’occasion de la sortie de son roman Heat 2, à paraître en France aux éditions Harper Collins, retour sur l’œuvre-maîtresse de Michael Mann.
Heat 2 : Michael Mann, écrivain à la tête froide

Contemporain de la génération des « movie brats » (Scorsese, Spielberg et les autres), Michael Mann a mis un certain temps avant de devenir, à son tour, un cinéaste américain majeur. Avant cela, il s’est d’abord rêvé en écrivain, a tenté sa chance une première fois en Angleterre avant de revenir aux États-Unis, comme scénariste à la télévision. Plus tard, il écrira le script de la plupart de ses films. À l’occasion de la sortie de son roman Heat 2, à paraître en France aux éditions Harper Collins, retour sur l’œuvre-maîtresse de Michael Mann.


Par Aubry Salmon

La première version de Heat est écrite au terme des années soixante-dix, alors que Michael Mann, qui s’est d’abord fait un nom sur quelques séries policières à succès (Starsky & Hutch, Police Story, etc.), entame sa carrière au cinéma. C’est pour injecter un peu de réalisme aux scripts qu’on lui confie que Mann s’intéresse d’abord au milieu de la police criminelle, qu’il rencontre des professionnels, s'acoquine avec certains d’entre eux, allant même jusqu’à les suivre au cœur du danger. Un beau jour, on lui présente Chuck Adamson, inspecteur proche de la quille, originaire comme lui de Chicago. Issu des quartiers immigrés de la ville, Mann a grandi avec la mythologie du grand banditisme associé à la cité venteuse, aussi, en plus d’un ami il trouve en Adamson un puits d’anecdotes auquel il ne cessera de venir s’abreuver, tout au long de sa carrière. Mais la grande histoire de ce flic vieillissant est celle de la traque du véritable Neil McCauley – traque qui dura plusieurs années et qui finit par aboutir à la mise hors d’état de nuire du malfrat et de sa bande en 1964. Comme dans le film que réalisera Mann, bien des années plus tard, c’est l’inspecteur à ses trousses qui tue McCauley. Le duel entre les deux hommes entrera ainsi dans la légende.

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À la même époque, désireux de se frotter au septième art, Mann décroche un job de scénariste sur le premier film en tant que réalisateur de l’acteur-vedette Dustin Hoffman. Il s’agit d’une adaptation d’un premier roman intitulé Aucune bête aussi féroce, dont l’auteur, un certain Edward Bunker, est encore incarcéré en prison pour divers méfaits. Une fois dehors, grâce à l’intervention de l’acteur, Bunker embarque Mann pour une tournée des grands-ducs à la découverte de tout ce que la Californie compte de braqueurs, dealers, tueurs, etc. Le futur cinéaste découvre ainsi l’envers du décor qu’il avait arpenté avec la flicaille. Bunker l’introduit à Folsom où il arpente les couloirs à la rencontre des détenus et découvre l’univers des gangs ; et dans sa tête commence à germer des idées de films en série. Ainsi réalisera-t-il rapidement Comme un homme libre dans l’enceinte même de la prison, avec des prisonniers comme acteurs et figurants. Quant à Bunker, à l’instar d'Adamson, il accompagnera Mann tout au long de sa carrière et aura une influence déterminante sur Heat.


Si le projet de Hoffman a fini par aboutir sous le titre Le Récidiviste, finalement réalisé par Ulu Grosbard, le nom de Michael Mann a sauté en route et n’apparaît pas au générique. Pourtant, on y trouve bien les traces de son passage à bord et à certains égards le personnage de Max Dembo est annonciateur du héros mannien à venir… Qu’à cela ne tienne, armé de toute cette connaissance du milieu et soutenu par ses nouveaux amis, issus des deux côtés de l’échiquier, Mann écrit donc une première version de Heat qu’il garde d’abord au chaud pour réaliser ses premiers films. Régulièrement, cependant, il y revient, retravaille le script, le propose à un confrère, mais rien n’en sort. Si les années quatre-vingt ne permettent guère à Michael Mann de se forger une situation solide côté cinéma, ses attaches à la télévision sont pérennes et le succès de Miami Vice fait de lui un producteur demandé. Aussi finit-il par ressortir son script pour en tirer le pilote d’une nouvelle série. C’est à la faveur de ce nouveau départ que le cinéaste fait passer l’histoire de Chicago à L.A, le flic s’appelant déjà Hanna, le braqueur n’ayant pas encore repris l’identité de son aïeul de chair et de sang. En cours de route, le projet de série est annulé, le pilote devient un téléfilm diffusé sous le titre de L.A. Takedown ; une goutte d’eau dans l’océan télévisuel, un brouillon dans l’œuvre du maître.

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En 1995, Heat sort enfin sur les écrans du monde entier. C’est un événement, d’abord pour la confrontation entre deux acteurs déjà mythiques qui s’apprêtent tous deux à gentiment décliner. Mais par delà les noms au sommet de l’affiche, l’événement véritable est bien la consécration d’un cinéaste qui reste tout de même en retrait de ses acteurs et surtout, la naissance d’un univers. Mann le dit en interview, le spectateur le sent bien à l’écran, Heat est un film en monde ouvert. Les personnages portent sur eux leur passé, leurs blessures, tandis que la ville de Los Angeles semble riche de mille secrets, mille histoires non révélées. Par ailleurs, la structure chorale du film, l’entrecroisement des destinées des personnages et l’intervention du hasard ou de la fatalité renforcent cette impression et font toute la profondeur et la simplicité de l’histoire qui nous est contée. Seulement, un film a tout de même une fin, et même si parfois la tentation est grande d’imaginer la suite des événements, cela vaut mieux pour tout le monde. D’autant plus que dans le cas de Heat, le duel final venait clore implacablement les débats. McCauley est mort, Hanna est vivant, et là-dessus, il n’y a rien à redire.

Tout cela vaut bien un roman

Au terme de leur œuvre, il arrive souvent que les artistes ne puissent s’empêcher de revenir sur leurs pas pour éclairer d’une nouvelle lumière leur grand sujet. La singularité du cinématographe est qu’un film coûtant de l’argent et des contingences matérielles, et même physiques, étant ce qu’elles sont, une telle possibilité n’est pas toujours loisible. Ainsi, certains cinéastes terminent leur carrière en rongeant leur frein, bâillonné par l’époque en quelque sorte. Alors, ils écrivent leurs mémoires ou jouissent d’une retraite bien méritée sous le soleil de Californie. Michael Mann n’ayant pas réalisé de films pendant près d’une décennie, la télévision qui l’a vu débuter aurait pu accueillir seule ses derniers efforts. Il reviendra pourtant sur grand écran en 2023, avec Ferrari. Mais à l’aune de ces dernières années inattendues, il semble que le cinéaste ait également tenu à revenir à ses vieux rêves en s’attelant à l’écriture d’un livre, d’un roman même. Reste à trouver un sujet et l’on imagine que c’est sans trop de délibérations préalables qu’il fut décidé de revenir à son sujet : Heat.

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S’il s’agit là d’un choix aussi curieux qu’évident, reste que le livre dédié par l’auteur à son père, et plus proche du pavé que de la plaquette, ne peut inspirer méfiance, si ce n’est par ce titre sans grande originalité – mais après tout, depuis Le Parrain 2 (auquel d’ailleurs, le livre emprunte sa structure) on sait qu’il ne faut pas se fier au titre pour juger une suite. Voici donc Heat 2, écrit par Michael Mann et Meg Gardiner, qui prend ses racines dans la friche du dernier duel pour y faire pousser quelques fruits fragiles, car blessés. En premier lieu Chris Shiherlis, jadis campé par Val Kilmer et seul rescapé de la bande de McCauley ; et bien sûr Vincent Hanna dont l’addiction aux drogues dures n’est plus un secret de polichinelle. Quant à McCauley, il est tout de même de retour dans des séquences flash-back redoutables d’efficacité qui permettront de refermer le cercle de l’intrigue à l’orée des années deux mille.


Tout cela est écrit dans un style sec et robuste ne permettant pas plus que la caméra de percer le mystère contenu dans le crâne des héros manniens. Tout est sous contrôle, tout reste à la surface. Le monde est un lieu empli de haine et de violence où l’amour est une porte de sortie qui se referme bien souvent au pire moment. Les maniaques en série, les hackers impassibles et les hommes de main patibulaires sont de sortie aux quatre coins du globe, rien d’inhabituel chez le cinéaste. De véritables moments de bravoure parsèment le livre : braquages hyper-préparés, prises d’otages bouillantes, fusillades sifflantes. Pourtant, le moment le plus beau demeure l’apparition ténue d’Eady, que l’on retrouve hagarde, quelques heures seulement après la fuite de l’homme qu’elle s’apprêtait à suivre contre tout bon sens. À cet instant, peu importe les mots, peu importe l’absence de chair et de pellicule, la belle Amy Brenneman revient nous hanter, comme si l’on déterrait devant nos yeux ébahis la plus secrète des scènes coupées au montage du chef-d’œuvre d’antan, pour l’accoler à nos souvenirs abîmés par le temps qui passe. Alors oui, la douleur de ce visage, ces yeux perdus dans le vague, ces morceaux que tente de recoller Hanna en interrogeant la jeune femme au sujet de McCauley, tout cela vaut bien un roman.


Heat 2 de Michael Mann et Meg Gardiner, édité chez HarperCollins, sortie en librairie le 15 mars 2023.