Il était Robert Conrad
La triste nouvelle a tourné sur les réseaux sociaux. On devine facilement la moyenne d’âge qui se cache derrière les comptes, la mienne, des quadras presque quinquas. Robert Conrad est mort en Californie a 84 ans. Et si l’on désire prendre la plume pLa triste nouvelle a tourné sur les réseaux sociaux. On devine facilement la moyenne d’âge qui se cache derrière les comptes, la mienne, des quadras presque quinquas. Robert Conrad est mort en Californie a 84 ans. Et si l’on désire prendre la plume pour parler de lui – lui rendre hommage n’a guère de sens- c’est d’abord parce que l’acteur a sûrement donné ses lettres de noblesse et de créances à l’objet narratif qu’est une série télé. Et à toute une génération une raison d’aimer le petit écran sans avoir à s’en cacher . Si aujourd’hui vous pouvez gloser sur GOT et même lui attribuer une place égale voire supérieur au cinéma dans cette fameuse pop culture, c’est certainement à des acteurs comme lui que vous le devez.
On aimerait vous conter combien la vie de ce chicagoan dont les parents n’avaient pas 16 ans à sa naissance, ensuite boxeur poids plume et chanteur mexicain raté, était en soi, derrière le masque trop lisse du héros sans peur ni reproche, une saga digne de la plume d’un Nick Tosches. Du Jack Kerouac anonyme qui aurait fini par passer des auditions chez CBS. Mais à l’époque impossible, sauf à en discuter avec lui, de le savoir. Et ce genre de background était rarement évoqué dans les interviews du Télé Poche abandonné en salle d’attente du dentiste. Le dimanche après-midi des français restait donc nimbé d’une innocente fascination pour ces shows qui débarquaient de cinq a dix ans après leur diffusion aux States. Entre Magnum et Star Trek (et dont le casting ne perçait ensuite jamais dans celui des « vrais films »), il y eut donc les Mystères de l’Ouest et les têtes brulées. Avec en héros étendard de la virilité wasp de l’oncle Sam, un Robert Conrad petit et trapu, pétri de bon sens et d’ambivalente camaraderie.
Revisiter ces deux piliers du petit écran à l’aune de nos grilles de lecture actuelles envers l’univers des séries, qui exige de la profondeur philosophique et des références géo-historico-politiques, peut sembler un exercice un peu vain et anachronique. Il existait pourtant déjà quelque chose de décalé, derrière un premier degré assumé et bienheureux, dans ce qui était dit et raconté des USA et de leur mythologie nationale (pardon à Raoul Girardet et Roland Barthes). Les mystères décrivent un pays parano hanté par la guerre de sécession ou un génial Migelito Loveless, difforme mais si humain face à la plasticité trop parfaite d’un James West, fuit la justice en se réfugiant dans des tableaux, aujourd’hui encore une splendide parabole de la signification profonde de l’art dans le monde moderne. Les Têtes Brulées offrirent le visage, loin d’un quelconque manichéisme, d’un conflit où les japonais ne se résumèrent à de sanguinaires et fanatiques ersatz de samouraïs. L’épisode où Papy Boyington se retrouve, une fois abattu, sur une île avec son alter ego nippon Harachi donna lieu a une étrange mise en abîme dans un face a face surréaliste sur une plage en attendant, chacun, d’être secouru. On pourrait aussi beaucoup s’amuser sur le moment ou les « terreurs du pacifique sud » durent accueillir une star d’Hollywood en tournée de propagande. Autant de belles thématiques pour une production qui débute sa diffusion au moment ou les hélicos des marines évacuent Saigon.
Pour nous dont les grands-parents vécurent la Seconde Guerre mondiale et nos pères s’étaient forgés leur rêve américain devant les western en Cinemascope, Robert Conrad enjamba peut-être sans que nous nous en rendions comptes nos imaginaires hérités des trentes glorieuses, préparant dans le même temps nos esprits à la grande révolution HBO. Puis vint le temps de la maturité. Un soir d’insomnie. Un Robert Conrad face à Columbo, dans son propre rôle de fantasme masculin version self made man de second rang incapable de monter en grade et finalement coincé par un des acteur fétiches de Cassavettes. Falk campant presque physiquement la réincarnation revancharde du plus magnifique nain diabolique du far-west. La boucle était bouclée. Nous pouvions passer à la suite.
Nicolas Kssis-Martov