Interview : Shane Black, le dernier samaritain
Après plus de trente ans de carrière, Shane Black est toujours là. Le véritable auteur derrière L’Arme fatale, Le Dernier Samaritain et Au revoir à jamais propose aujourd’hui sa propre version de Predator, avec une suite qui souhaite faire honneur auAprès plus de trente ans de carrière, Shane Black est toujours là. Le véritable auteur derrière L’Arme fatale, Le Dernier Samaritain et Au revoir à jamais propose aujourd’hui sa propre version de Predator, avec une suite qui souhaite faire honneur au chef-d’œuvre de John McTiernan. En attendant de pouvoir découvrir le film, une interview-carrière sous forme de thématiques s’imposait !
Stéphane Moïssakis : Vous êtes un grand amateur de littérature pulp et cela s’en ressent dans votre travail. Pouvez-vous nous expliquer d’où vous vient cet amour du roman de gare ?
Shane Black : J’ai grandi dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Enfant, j’étais obsédé par la littérature, je lisais tous les livres qui me passaient sous la main. Quand j’avais 8 ans, le libraire me surnommait « The Mystery Man », car chaque semaine, j’empruntais les nouveaux romans à suspense. À 10 ans, je lisais déjà James Bond et toutes les intrigues à suspense qu’il pouvait me fournir. Je ne saurais pas vous dire pourquoi j’adorais ça. Mais si l’on s’en tient à l’explication la plus simple, toutes les intrigues sont des intrigues à suspense, non ? Le but de l’auteur est de donner envie à ses lecteurs de tourner la page pour savoir ce qui va se passer par la suite. Et si le lecteur veut poser le livre, ou si le spectateur sort de la salle pour aller acheter du pop-corn, c’est que vous avez raté votre coup et que vous n’avez pas réussi à les impliquer dans votre processus dramatique. En ce sens, la littérature pulp a toujours été considérée comme un médium littéraire au rabais, moins glorieux, imprimé sur du papier de mauvaise qualité, avec des couvertures qui cherchaient à attirer le chaland en misant sur l’exploitation du sexe et de la violence. Et pourtant, c’est le pulp qui a révélé certains des plus grands écrivains de notre génération, des auteurs comme Jim Thompson et Raymond Chandler.
Donc pour moi, quand je me plonge dans cette littérature, l’idée est de trouver le diamant au beau milieu d’un tas de boue, de tomber sur du pulp pur et dur, quelque chose de sombre, noir et excitant. J’aime l’idée que certains écrivains de pulp devaient rédiger très rapidement une petite histoire pleine de suspense et d’action pour pouvoir gagner leur croûte et faire vivre leur famille, mais que dans le même temps, leur amour du travail bien fait les a poussés à écrire un récit de qualité. Ce sont les écrivains que je recherche : ceux qui ont écrit de pures intrigues d’exploitation, mais qui ont néanmoins cherché à en faire de l’art. Selon moi, il n’y a pas meilleure aspiration que faire ce que John McTiernan est parvenu à faire avec le premier Predator : créer une œuvre « Pop art » accessible, simple et efficace. C’est un véritable film d’exploitation d’une certaine manière, et pourtant, il a traversé l’épreuve du temps. Plus de trente ans après, les gens continuent de le revoir, de l’apprécier et de le considérer comme un grand film.
Laissez-moi tenter de résumer ma pensée sur le sujet : pour certaines personnes, la qualité d’écriture consiste à prendre une grande idée philosophique très complexe et de l’exprimer à travers un vocabulaire riche et varié. Mais selon moi, la véritable difficulté est de prendre cette même grande idée philosophique et de tenter de la retranscrire à travers un personnage simple, limité dans son vocabulaire. L’intérêt de l’écriture serait alors de le représenter en train d’essayer d’exprimer cette idée dont il n’arrive même pas forcément à avoir conscience. Et la façon dont l’écrivain doit trouver un moyen de faire passer cette idée complexe à travers ce protagoniste au vocabulaire limité, c’est selon moi l’art pulp dans toute sa splendeur.
SM : Comment vous est venue l’idée de L’Arme fatale, qui est votre premier scénario, je crois ?
SB : En fait, The Monster Squad a été écrit avant, mais le film est sorti après L’Arme fatale. Pour moi vous savez, tous les films sont des films à suspense, tous les films sont des westerns. J’ai grandi en lisant et en écrivant des intrigues pulp, et j’avais envie d’écrire un thriller policier. Je voulais écrire une intrigue dure, très réelle, vraiment crue et avec de l’action dedans, mais qui ne donne pas forcément lieu à un film d’action pour autant. Par exemple, tout le monde se souvient de la scène de poursuite dans French Connection, mais ce n’est pas seulement une scène d’action, c’est aussi une scène de caractérisation. Le spectateur découvre à quel point le personnage de Gene Hackman est dingue et obsessionnel. Je voulais donc faire un thriller qui ne soit pas forcément un film d’action, mais plutôt un western urbain qui mette en scène un flic qui soit une sorte de franc-tireur au sens le plus direct du terme, un véritable pistolero si vous préférez.
Martin Riggs est un personnage brisé, qui en a trop vu durant la guerre du Viêt Nam et qui sait que la violence et le mal absolu rôdent encore. C’est un reclus qui vit en marge d’une société gentrifiée, persuadée que tout va pour le mieux dans sa petite bulle banlieusarde. Les gens le regardent comme un taré, une sorte de monstre dont la seule fierté serait de savoir comment tuer des gens. Ce regard inquisiteur, ce jugement de la part de personnes qui se considèrent comme normales, Riggs l’accepte sans broncher. Il a pris conscience que l’époque de l’Ouest sauvage est désormais révolue. Et soudain, la violence refait surface et frappe la banlieue. Elle s’empare d’une jeune femme et sème le chaos. Et c’est à ce moment-là que la société se retourne vers Martin Riggs pour qu’il puisse régler le problème. Car Riggs est une sorte de créature de Frankenstein qui a été laissée dans sa cage et qu’il faut désormais libérer. Il est même le seul capable de résoudre le problème, le seul à savoir comment utiliser la violence à bon escient pour sauver la situation. C’est ce choc entre les deux mondes que je voulais raconter avec L’Arme fatale.
SM : Dans le cas de L’Arme fatale 2, le studio a exigé des retouches importantes sur votre première et unique version du scénario. Pouvez-vous nous raconter ce que devait être le film à l’origine ?
SB : C’est difficile d’en parler, car je sais que L’Arme fatale 2 a rapporté beaucoup d’argent et que c’est un film très populaire. Mais même si je dois accepter le résultat final, ce n’est pas le film que j’ai écrit. En fait si, beaucoup de choses que j’avais écrites sont encore dans le film, mais le studio voulait partir dans une direction différente. C’est un film avec beaucoup d’humour, alors que ma version était beaucoup plus sombre. Par exemple, le personnage interprété par Joe Pesci n’apparaissait que dans une seule scène de mon scénario et comme vous le savez, il est désormais dans tout le film puisque c’est le ressort comique.
Ma version était plus sombre, même s’il y avait quand même beaucoup de vannes et des dialogues percutants balancés à l’emporte-pièce en plein milieu des scènes d’action. À la fin du film, je tuais le personnage de Martin Riggs, interprété par Mel Gibson. À Hollywood, tuer la star de votre propre film revient à tuer la poule aux œufs d’or. Le studio n’était donc pas très chaud à l’idée de mettre cette idée à exécution !
Pour tout vous dire, j’aime bien L’Arme fatale 2 quand même. J’apprécie le fait qu’ils aient gardé plusieurs scènes que j’avais écrites, et je trouve que le scénariste Jeffrey Boam a fait du bon boulot pour s’assurer que cette suite soit vraiment divertissante. Ma version était beaucoup plus sombre et c’est la grande différence avec ce que vous avez vu sur grand écran.
SM : Vos films se déroulent régulièrement durant la période de Noël, qu’il s’agisse de L’Arme fatale, Au revoir à jamais ou encore Iron Man 3. Qu’est-ce qui vous attire dans cette toile de fond particulière ?
SB : Pour moi, l’idée de situer une intrigue durant la période de Noël m’a toujours semblé intéressante, car c’est une période très spécifique de l’année. Tout le monde est très occupé, c’est le rush et en même temps, tout le monde se souvient de ce qu’il a fait le soir de Noël, où et avec qui il a passé la soirée. Le paradoxe de cette période, c’est que le temps semble en suspens. C’est une période de réflexion et d’introspection. Les gens qui sont généralement tristes dans l’année le sont encore plus à Noël. Et les gens qui sont heureux sont encore plus heureux. C’est une période de pause, très brève, qui fait ressortir à la fois le meilleur et le pire chez les gens. Pour moi, c’est une période qui scinde l’humanité en deux et révèle le caractère de chacun. Et puis j’aime aussi l’ironie qui découle du fait de raconter un récit plein d’enjeux et de suspense, durant lequel mes protagonistes vivent le moment le plus important et le plus dangereux de leur vie, en utilisant des chants de Noëls et des guirlandes fluorescentes en toile de fond.
C’est une idée qui me vient du film de Sidney Pollack, Les Trois Jours du Condor et j’ai toujours trouvé que c’était une toile de fond intéressante. Mais depuis, les gens ont remarqué que j’avais tendance à l’utiliser dans mes films et j’ai même lu quelques articles qui en faisaient mention, donc je me suis dit que j’allais arrêter. C’était marrant à faire quand personne n’y prêtait attention, mais si ça se remarque, autant arrêter tout de suite. Dans The Predator, l’intrigue se déroule pendant la période d’Halloween et je garde la surprise pour la sortie du film, vous comprendrez pourquoi. Par contre, je pense que je vais laisser tomber la période de Noël pendant un bon moment.
Extrait de l'interview réalisée et traduite par Stéphane Moïssakis
Un entretien à lire dans son intégralité dans le Rockyrama n°20 Shane Black paru en Septembre 2018
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