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Jim & Andy : The Great Beyond

Presque vingt ans après la sortie de Man on the Moon, biopic signé Miloš Forman dans lequel Jim Carrey incarnait le lunaire comédien américain Andy Kaufman, l’acteur revient sur la performance qui lui avait valu un Golden Globe et révèle pour la prem
Jim & Andy : The Great Beyond

Presque vingt ans après la sortie de Man on the Moon, biopic signé Miloš Forman dans lequel Jim Carrey incarnait le lunaire comédien américain Andy Kaufman, l’acteur revient sur la performance qui lui avait valu un Golden Globe et révèle pour la première fois les images d’un tournage où, selon ses propres termes, il était devenu Andy Kaufman. Le résultat s’appelle Jim & Andy : The Great Beyond.


En 1998, Jim Carrey est une des plus grandes stars de la planète. Trois ans plus tôt, il a enchaîné les succès de Ace Ventura, détective pour chiens et chats, The Mask et Dumb & Dumber. Entre-temps, les sorties de Disjoncté et de The Truman Show ont contribué à prouver que son répertoire ne se limite pas aux mimiques faciales qui ont fait initialement son succès. Lorsqu’il apprend que le réalisateur Miloš Forman (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Amadeus) prépare un film sur le comique américain Andy Kaufman dont il est un fan absolu, l’acteur suppose donc qu’il lui suffira de demander le rôle pour l’obtenir. On imagine donc sa surprise lorsque Forman annonce que Jim Carrey est loin d’être son premier choix. Mettant de côté son ego, l’acteur enregistre alors une bande démo où il interprète « Mighty Mouse », un des sketchs les plus célèbres de Kaufman. Finalement convaincu par la performance de Carrey, Miloš Forman lui confie donc le premier rôle de Man on the Moon. Comme souvent, le studio Universal décide d’engager une équipe afin de documenter le tournage et constituer un electronic press kit, sorte de making-of dédié à la promotion du film auprès de la presse. Jim Carrey propose de confier ce rôle à Lynne Margulies, réalisatrice de documentaire et compagne de feu Andy Kaufman. Lorsque les producteurs donnent leur aval à Carrey et Margulies, ils ne peuvent se douter que l’acteur va s’investir au point de s’immerger dans le rôle d’Andy Kaufman, et surtout de Tony Clifton, alter ego insupportable de ce dernier, devant et derrière la caméra. Tout au long des quatre mois que dure le tournage, Jim Carrey va donc se révéler quasiment ingérable, enchaînant les coups de gueule et les coups d’éclat. Grimé en Tony Clifton, il débarque ainsi dans les locaux d’Amblin, la société de production de Steven Spielberg, pour expliquer à celui-ci qu’il n’a jamais fait mieux que Les Dents de la mer. Lorsque l’acteur est invité par Hugh Hefner pour une fête à la Playboy Mansion, il explique qu’il viendra sous les traits de Tony Clifton. Reproduisant un célèbre canular d’Andy Kaufman, c’est en réalité Bob Zmuda, collaborateur de Kaufman et consultant sur le film de Forman, qui arrive chez Hefner dans le costume de Clifton. 


Croyant s’acoquiner avec Jim Carrey, Hugh Hefner lui réserve donc un accueil princier… jusqu’à ce que Jim Carrey lui-même arrive sur place sans maquillage, révélant la supercherie à un Hugh Hefner blême d’avoir été pris pour un idiot. Mais le comportement de Jim Carrey/Tony Clifton ne se limite pas à ce genre de blagues relativement bon enfant. Le comédien considère également que son immersion dans ses personnages nécessite qu’il soit odieux envers le réalisateur Miloš Forman et avec les techniciens qui travaillent sur le film. Effrayés à l’idée qu’un de leurs acteurs les plus bankables passe aux yeux de la presse et du public pour un parfait connard, les cadres d’Universal demandent à Jim Carrey de ne pas utiliser les images tournées par Margulies. Elles resteront donc pendant presque vingt ans dans les coffres de Jim Carrey jusqu’à ce que celui-ci autorise leur diffusion dans le cadre de Jim & Andy : The Great Beyond, un documentaire alternant les images tournées par Lynne Margulies et une interview contemporaine de Jim Carrey à propos de sa carrière et de ses souvenirs du tournage.

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Que l’on ait vu ou non Man on the Moon (et on ne saurait trop recommander de voir Man on the Moon), Jim & Andy : The Great Beyond est un documentaire fascinant. L’implication et le jusqu’au-boutisme de Jim Carrey sont à eux seuls passionnants et on passe une bonne partie du film à se demander comment l’acteur a pu émuler une personnalité aussi extrême durant quatre mois.


Mais bien plus qu’un simple document à la gloire du talent de Jim Carrey, Jim & Andy : The Great Beyond est un superbe film sur la mort. Même si le ton du film est relativement léger, le thème est présent tout au long du documentaire, et ce, dès son titre. À l’origine, The Great Beyond est une chanson composée par le groupe R.E.M pour le film de Miloš Forman… qui reprenait déjà le titre d’une chanson de R.E.M évoquant Andy Kaufman. Même si la mort n’était pas spécialement le sujet de la chanson (mais bien malin qui peut interpréter les paroles cryptiques de Michael Stipe), The Great Beyond est un titre parfaitement approprié pour un documentaire où un acteur doit rejouer la vie d’un comédien mort, depuis ses débuts sur scène jusqu’à sa mort d’un cancer du poumon.


Même si le sujet n’est jamais frontalement abordé, la question de la mort de Kaufman est présente en filigrane tout au long du film. Dès le début du documentaire, Jim Carrey raconte que lorsqu’il a appris qu’il avait obtenu le rôle de Kaufman, il s’est demandé où Kaufman serait et ce qu’il ferait. C’est durant cette période de préparation qu’il aurait été visité par l’esprit de Kaufman et que le comédien se serait emparé de son corps pour le reste du tournage. Dans le documentaire, le fond sonore illustrant ce moment est une version de la chanson Friendly World par Andy Kaufman. Chantée par Andy à diverses occasions (notamment lors de son émission spéciale à la télévision en 1979 et son spectacle au Carnegie Hall en 1980), un enregistrement de cette chanson fut également joué lors des funérailles de Kaufman lui-même. Comme si au moment même de la (re) naissance de Kaufman à l’écran, la fatalité de sa mort prématurée à l’âge de 35 ans était déjà incontournable. On peut également remarquer que, tout au long du tournage, Jim Carrey/Andy Kaufman semble écouter le David Bowie de la période glam : il écoute et chantonne Changes lors d’une séance de maquillage, on entend Starman durant un dialogue en coulisse entre Carrey et l’acteur Gerry Becker qui interprète le rôle du père d’Andy Kaufman, il chante Space Oddity pendant qu’on lui lave les cheveux et cette dernière chanson est utilisée par les producteurs du documentaire pour illustrer des images du tournage lorsque Carrey interprète un Kaufman extrêmement malade.


Difficile de ne pas faire le parallèle entre la performance de Carrey/Kaufman/Clifton et celle de Bowie/Ziggy Stardust/Aladdin Sane. L’un et l’autre ont dû créer et incarner un personnage en sachant qu’ils allaient devoir le tuer et donc faire mourir une partie d’eux-mêmes. Pour Bowie, cette « mort » a eu lieu lors du dernier concert de Ziggy Stardust & The Spiders from Mars le 3 juillet 1972 sur la scène de l’Hammersmith Odeon. Pour Kaufman, elle a eu lieu à la fin du tournage du film de Miloš Forman. Durant les quatre mois du tournage, Carrey aura donc vécu en permanence dans le rôle d’un mort, revenu parmi les vivants. C’est probablement un des motifs les plus récurrents du documentaire : d’anciens amis et co-acteurs de Kaufman (notamment Danny DeVito, Judd Hirsch et Carol Kane qui avait joué avec Kaufman dans la sitcom Taxi) ne cessent de dire à quel point il leur est bizarre de revoir Kaufman à travers Jim Carrey.


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L’omniprésence de la mort de Kaufman se traduit également dans la relation de Jim Carrey avec ceux qui ont été le plus touchés par le décès de Kaufman, à savoir sa famille. Lorsqu’il s’adresse au père ou au frère de Kaufman, Carrey ne joue pas seulement Kaufman tel qu’il était de son vivant, il interprète un Kaufman sachant qu’il est mort et qui a, par l’intermédiaire d’un acteur, une dernière chance d’aider ses proches à surmonter leur deuil. Cette logique atteint son paroxysme lors d’une rencontre entre Carrey et la fille d’Andy Kaufman. Celle-ci ayant été mise à l’adoption alors que Kaufman était encore adolescent, elle n’avait jamais rencontré son père. Jim Carrey décrit alors l’entretien comme l’occasion pour Kaufman de s’adresser enfin à sa fille et de lui expliquer pourquoi il l’avait abandonnée à sa naissance. 


Le récit par Carrey de cette rencontre (dont il n’existe aucune image puisqu’il était seul avec la fille de Kaufman) est certes émouvant, mais il n’en est pas moins moralement discutable. Après tout, quelle légitimité avait-il réellement pour prétendre incarner Andy Kaufman auprès de la propre fille de celui-ci ???Paradoxalement, c’est probablement en se permettant de s’immiscer dans la vie émotionnelle d’une personne qui lui était totalement étrangère que Carrey montre qu’il avait la légitimité pour incarner Kaufman, et en particulier la face la plus transgressive et autodestructrice de ce dernier.


Si la plupart des personnes ayant connu Andy Kaufman sont tout au long du documentaire bluffées par l’interprétation de Jim Carrey, ce n’est clairement pas le cas de Jerry « The King » Lawler. Star locale du catch dans le sud des États-Unis au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, il s’était lié d’amitié avec Andy Kaufman lorsque le comédien s’était mis en tête de catcher contre des femmes pendant ses spectacles. Lawler et Kaufman avaient alors mis en scène une fausse rivalité qui avait culminé avec un combat de catch et surtout une double interview chez David Letterman au cours de laquelle Lawler avait giflé Kaufman en direct à la télévision.


Alors que Kaufman et Lawler étaient en réalité très bons amis, Kaufman étant particulièrement respectueux envers Lawler, Jim Carrey n’a eu de cesse de harceler Lawler alors que celui-ci jouait son propre rôle sur le tournage de Man on the Moon. Dans un premier temps patient avec l’acteur, Lawler a fini par laisser libre cours à ses nerfs et à sa frustration durant la reconstitution du match qui avait opposé Lawler et Kaufman en 1982. Comme son modèle, Jim Carrey a ainsi fini la rencontre à l’hôpital avant de se réconcilier avec le catcheur au moment de tourner la scène de l’interview chez David Letterman. À moins que le documentaire ne mente sur la relation réelle entre Carrey et Lawler, reproduisant en cela la relation entre Kaufman et Lawler, il faut bien constater que, dans sa relation avec le catcheur, Jim Carrey n’a pas agi comme Andy Kaufman avait agi de son vivant.

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À première vue, on pourrait soupçonner Jim Carrey de trahir le personnage qu’il prétendait incarner à la perfection. Mais en réalité, cette attitude est révélatrice de la démarche de Jim Carrey. Son objectif n’est pas de rejouer des moments de la vie d’Andy Kaufman. Comme il l’indique au début du documentaire, il cherche à interpréter un Andy Kaufman revenu de l’au-delà pour jouer dans un film sur sa propre vie. Dès lors, sa relation avec Lawler n’est pas un reflet de ce qu’elle avait été du vivant de Kaufman. Elle est ce que Kaufman aurait peut-être jugé nécessaire qu’elle soit pour que le résultat à l’écran rende justice au canular élaboré par Kaufman et Lawler. En harcelant Jerry Lawler, Jim Carrey/Andy Kaufman espérait donc recréer sous le regard de la caméra de Miloš Forman la même intensité que celle filmée par les caméras de télévision du début des années quatre-vingt. Conscient d’être mort et focalisé sur le tournage d’un film qui sera l’œuvre par laquelle il passera véritablement à la postérité, le Kaufman incarné par Jim Carrey est donc une personne totalement détachée des normes sociales.


Plus qu’un monument à la gloire de Jim Carrey, Jim & Andy est donc une sorte de négatif de Man on the Moon. Le film de Forman était une célébration de la force vitale d’Andy Kaufman. Il commençait par une image de Jim Carrey sous les traits d’Andy Kaufman s’adressant directement au spectateur de 1999 et se finissait d’abord avec les funérailles du comédien au cours desquelles Kaufman s’adressait à l’assistance par vidéo interposée, avant de conclure avec une scène où Bob Zmuda assiste à un spectacle de Tony Clifton suggérant que Kaufman pourrait avoir simulé sa mort et être toujours en vie. À l’inverse, Jim & Andy met en scène un acteur qui a accepté d’explorer l’idée de mourir et d’interpréter une vie entière à l’aune de sa fin prématurée. Si tant est que les déclarations de Jim Carrey soient sincères, on comprend alors pourquoi l’acteur a attendu aussi longtemps pour diffuser les images du tournage de Man on the Moon. Il lui fallait accepter l’idée de publier les images de sa propre disparition. Il lui fallait aussi être en position d’assumer le fait que sa plus grande performance appartient au passé. Alors que Jim Carrey s’apprête à revenir sur les écrans dans le cadre de Kidding, une série réalisée par Michel Gondry, Jim & Andy s’impose donc comme un testament anthume.


Il faut évidemment tempérer les considérations de l’acteur sur la réussite et le sens de la vie. Non seulement le documentaire passe sous silence les aspects les plus polémiques de sa carrière (son rôle trouble dans le suicide d’une ex-petite amie, ses positions anti-vaccination), mais il est évidemment beaucoup plus facile d’être détaché par rapport au succès lorsqu’on a été un des acteurs les plus célèbres au monde. 


Au final, avec son Jim Carrey/Andy Kaufman qui s’adresse à nous à travers des aphorismes d’outre-tombe, Jim & Andy évoque Ubik de Philip K. Dick et son fameux : « Regardez au fond de l’urinoir et plongez, vous êtes tous morts mais je suis vivant »... sauf qu’ici, nous sommes tous vivants et il est mort. Pas sûr, néanmoins, que nous ayons le sort le plus enviable...


Aurélien NOYER