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Rick Moranis : Son nom est Personne

Il n’est ni l’acteur le plus beau, ni le plus talentueux, ni le plus connu, ni le plus riche, ni le plus prolifique de sa génération. En fait, Rick Moranis n’est personne, en tout cas pas grand-monde. Aujourd’hui encore plus qu’hier, aucun budget ne
Rick Moranis : Son nom est Personne

article initialement publié dans Rockyrama Spécial Ghostbusters


Il n’est ni l’acteur le plus beau, ni le plus talentueux, ni le plus connu, ni le plus riche, ni le plus prolifique de sa génération. En fait, Rick Moranis n’est personne, en tout cas pas grand-monde. Aujourd’hui encore plus qu’hier, aucun budget ne se montera sur son nom, et son visage sur une affiche ne suffira en aucun cas à attirer davantage qu’un petit cercle de fanatiques dans les salles. Rick Moranis n’est personne, mais il est quelque chose: un visage. Et derrière les lunettes, trop grosses, les lèvres, proéminentes, et globalement, une vraie tête de nerd mal-aimé, une tristesse, et des souvenirs.


Frederick Allan Moranis voit le jour au Canada, à Toronto plus précisemment, le 18 avril 1953. Adolescent, dans les années 70, c’est derrière le micro qu’il fait ses armes, en temps que DJ. Déjà, l’homme se cache. Il faut dire qu’il n’a pas le physique des premiers rôles, loin de là. En fait, il fait rire. Sa tête est rigolote, tout simplement. Il en jouera, toute sa carrière. En 1980, son ami, acteur et scénariste Dave Thomas, l’embauche pour la troisième saison d’un programme populaire canadien, Second City Television. Une émission à sketches, rien de plus, que le duo contribue à transformer en véritable phénomène de société avec les personnages de Bob and Doug McKenzie, deux canadiens très canadiens qui auront même droit à leur film, Strange Brew, en 1983. Le premier grand rôle au cinéma de Moranis. Et d’une certaine façon, le début de la fin d’une époque, celle de la liberté. Inconnus chez nous, les personnages de Bob et Doug sont des stars en leur contrée, bien plus que les acteurs qui les interprètent. Ainsi, Rick Moranis peut faire ce qu’il aime le plus: improviser. “Je ne suis vraiment pas un acteur”, confiera-t-il des années plus tard lors d’une interview sur SCTV, la chaîne qui l’a vu débuter, “je suis un mec qui vient de la comédie, et j’ai toujours voulu réécrire mon texte pour le rendre encore plus drôle. Déclamer les mots d’un autre, ça ne m’intéresse pas plus que cela. Quand j’ai commencé à être la star des films et que les producteurs me soufflaient ce que je devais dire, ce n’était plus pour moi”. En 1997, il arrêtera tout. Mais pour l’heure…


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Ghostbusters (et sa suite), La Petite Boutique des Horreurs, Spaceballs, Chérie J’ai Rétréci Les Gosses, The Flintstones et Little Giants. En moins de dix titres, Rick Moranis aura durablement marqué la comédie américaine des années 80, et dans une moindre mesure, des années 90. Une certaine idée de la comédie enfantine, culte, intemporelle aussi. Moranis y trimbale son physique de Woody Allen de ligue 2, lui qui n’a ni les mots ni l’esprit du réalisateur de Manhattan. L'intelligentsia ne se moque même pas de lui, elle l’ignore. Il s’en fiche, il veut juste rire, et faire rire. Dans les pages du Hollywood Reporter, l’acteur se souvient du tournage du mythique Spaceballs, de Mel Brooks: “C’est le dernier jour de tournage, et nous devons tourner cette scène d’action, avec une sorte de chorégraphie, dans laquelle nous nous échappons du vaisseau. George (Wyner, le Colonel Sandurz, ndlr) me lance une blague sur mon casque, et me demande si je compte le ramener à la maison après le tournage. Je lui réponds, quelques secondes avant que Mel ne dise Action, que je dois d’abord réserver la cloison (traduction quasiment impossible avec le mot bulkhead, qui fait également référence à la taille du casque porté par Moranis, ndlr). La blague n’était pas très drôle mais le fait que je garde ma réponse pour quelques secondes avant la prise, a ruiné la scène. C’était une très belle façon de terminer le tournage”.


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Brillant dans ses choix, Moranis le sera aussi dans ses échecs et ses refus, et particulièrement dans deux d’entre eux. En 1984, John Hugues embauche l’acteur pour jouer le rôle de Carl, le concierge du lycée de Breakfast Club. Moranis dit oui, le tournage commence, mais il sera finalement, au bout de quelques jours, remplacé par John Kapelos, qui commentera plus tard cette démission: “Je crois que Hughes et Moranis avaient des visions très divergentes. Rick insistait pour porter des dents en or, et une chaîne avec des dizaines de clés qui pendaient entre ses jambes et avec lesquelles il jouait de façon provocante, le tout avec un accent russe. Je pense qu’il voulait le jouer comme à l’époque de SCTV”. Dix années plus tard, il se verra offrir le rôle d’Ace Ventura sur un plateau, mais refusera, laissant la place vacante pour un Jim Carrey qui en fera un gigantesque tremplin. Sans Breakfast Club, Moranis se prive du cachet ‘cinéma d’auteur’ dont sa filmo manque. Sans Ace Ventura, il passe à côté des nineties.


“Je suis un père célibataire et il est devenu trop difficile de tourner et donc de voyager tout en m’occupant de mes enfants. J’ai donc décidé de faire un petit break, qui est devenu une longue pause. Puis, j’ai réalisé que jouer ne me manquait pas plus que cela”. Après le décès de sa femme Ann en 1991 d’un cancer, Rick Moranis se fait discret, puis distant. Il reprend son rôle de canadien couillon pour l’anniversaire de Bob et Doug, mais à part cela, pas grand chose. Quand il refuse d’apparaître dans le Ghostbusters de Paul Feig, il tient cependant à mettre les choses au clair: “je ne suis pas à la retraite, je veux seulement être sélectif sur mes prochains rôles”. Pourtant, il prête sa voix au film Frère des Ours et à sa suite, sortie directement en vidéo. En 2013, il sort un album, son troisième, My Mother's Brisket & Other Love Songs. C’est tout. Depuis, Rick Moranis a disparu.


Aujourd’hui, il n’est qu’un souvenir, il n’est personne. Et pourtant, son visage a la valeur des choses précieuses, préservées dans un imaginaire daté, celui de nos premières comédies, de nos premiers rires et de nos premiers classiques. Des souvenirs qui n’auront pas l’occasion d’être ruinés, piétinés par cette modernité qui n’a plus d’idée (ce premier trailer du Ghostbusters 2016, mon dieu !). Ne plus tourner, c’est ne rien gâcher. Disparaître, c’est devenir mythique.


Nico Prat